
à la poésie, et qu’on les regarde en quelque sorte comme le compendium des
connoissances humaines, à l’époque éloignée dont ils retracent le souvenir! Ainsi
la réputatioii de grandeur et de magnificence qu’Homère a faite à Thèbes, a été
confirmée par tous les écrivains anciens et modernes, d’après ce que le poëte rapporte
de cette antique cité au livre ix de l’Iliade. On y voit en effet qu’Agamem-
non voulant forcer les Grecs à prendre la fuite, Diomède et Nestor s’y opposent.
A la persuasion de Nestor, on envoie des députés à Achille pour l’engager à
reprendre les armes. Celui-ci refuse de céder à leur prière : il se plaint avec amertume
d’avoir été trompé et offensé par Agamemnon; et pour prouver que rien au
monde ne peut le fléchir, il dit que, quand Agamemnon lui donneroit dix fois et
vingt fois autant de richesses qu’il lui en promet, quand il y ajouteroit encore toutes
celles qui arrivent à Orchomène, toutes celles que renferme Thèbes d’Egypte,
dans laquelle il y a beaucoup de trésors cachés, qui a cent portes par chacune desquelles
sortent deux cents hommes avec des chevaux et des chars, on ne le déterminerait
point à reprendre les armes.
Oé<N et /¿ol Settçpui te xo} eitutmtuf "mon. àbivt,
r/Ooju, te 01 vûv êçi, Katj.eï 'ttoÔeï oc Met yevotut,
OéA 00-’ êç’Opxp/uevov 'm'nviojïTiq, 0aa.
AÎyj'7iriÎcLÇ, ojl '7Th£\çtL St/uoiç ÇA/ X.TV\/ML7U. MlTiq ,
A i 3 ’ è X jjL T D / J iT n / iïs i £ ¡01, JÏVX .O0ÎOI CUI |} (5C-Ç>1V
3Avépe$ è^oi^vevcn ovv îWroioi x.cn o-yecxpiv.
I l i a d . l i b . i x , v . 3 7 9 .
Ce texte, mal interprété, a donné lieu à des opinions outrées sur la force
militaire et sur l’étendue de Thèbes ; mais il est cependant évident qu’il ne suppose
pas l’existence de plus de vingt mille chariots armes en guerre. Comme nous
savons d’après les scènes militaires sculptées sur les murs des palais Égyptiens (.1),
que presque toujours un seul guerrier est monté dans un char et suffit a le conduire
en même temps qu’il lance des flèches et combat son ennemi, il n y a vraiment
rien d’extraordinaire dans la force militaire que le poëte suppose a une ville
qui offre encore aujourd’hui d’immenses vestiges de grandeur et de magnificence.
Homère ne peut donc être même taxé d’une sorte d exagération permise dans
la poésie. Voyons s’il en est ainsi pour les cent portes quil attribue à 1 ancienne
capitale de l’Egypte.
Dans tout l’emplacement des ruines de Thèbes, on ne rencontre que des enceintes
particulières destinées à isoler et à renfermer les monumens publics : nulle
part on n’aperçoit de traces d’une enceinte générale qui aurait enveloppe toute
la ville, et par conséquent nul vestige des cent portes indiquées par Homère, s il
faut se représenter des portes telles que celles qui donnent entree dans nos cites
modernes. D’ailleurs la saine raison se refuse à admettre une ville aussi immense
que le supposeroit l’existence de ces cent portes. Paris, dont la circonférence est
presque double (z) de celle de Thèbes, n’a que cinquante-deux issues. Les anciens
( | ) F i n i e s s e c t io n « I , I I I , V I I e t V I I I d e c e c h a p i t r e . ( 2 ) V o y c i c e q u e n o u s a v o n s r a p p o r t é p a g . 4 2 2 ,
eux-mêmes, en citant le passage d’Homère, ont cherché à en donner une interprétation
sous ce rapport. C’est ainsi que Diodore de Sicile f i) pense que Thèbes n’a
jamais eu cent portes, mais que le surnom d’Hécatompyle lui vient des grands et
nombreux vestibules de temples et de palais dont elle est remplie. C’est, à notre
avis, l’opinion la plus raisonnable que l’on puisse se former à ce sujet. A l’autorité
de Diodore de Sicile se joint l’habitude que l’on a de temps immémorial dans
l’Orient, d’appeler du nom de portes les palais et les maisons des grands. Nous
en retrouvons à Thèbes même la conservation dans la dénomination de Bybân
cl-Molouk, c’est-à-dire, portes des rois, donnée aux magnifiques tombeaux creusés
dans la vallée voisine de Qournah. Actuellement encore, dans les pays Orientaux,
le principal luxe des habitations consiste dans la porte unique qui y donne entrée ;
c’est là que l’on fait la conversation, et que l’on donne une espèce d’audience et
d’hospitalité. C’est ainsi probablement que l’on a fait de tout temps en Egypte.
Homère a voulu peindre ces usages à grands traits; et tout le merveilleux qu’on
a vu dans ses vers, vient des lecteurs, et non du poëte.
Plusieurs voyageurs, prenant le passage d’Homère au pied de la lettré, ont recherché
les vestiges des cent portes de Thèbes. L ’un d’eux (2) a cru les voir dans les
cent montagnes qui avoisinent la ville et où sont creusés les tombeaux des rois.. 11
seroit aussi difficile d’assigner sur les lieux les cent montagnes dont parle le voyageur
, que les cent portes dont parle le poëte.
S’il fklloit s’écarter de l’interprétation que nous venons de donner du passage
d’Homère, nous serions plutôt portés, comme nous l’avons déjà insinué, à voir
les cent portes de Thèbes dans les nombreuses ouvertures du vaste hippodrome (q )
de Medynet-abou, et dans celles qui ont dû probablement exister dans l’enceinte
située au sud-est de Louqsor. C’est en effet par ces portes que sortoient les
troupes nombreuses que l’on réunissoit très-probablement dans ces hippodromes,
à des époques et dans des circonstances déterminées.
Le passage d’Homêre, interprété et analysé comme nous venons de le faire, ne
présente rien d’incroyable ; mais il a été l’origine et la source première de toutes les
exagérations que se sont permises sur la ville de Thèbes les écrivains qui sont venus
après le poëte, et sur-tout ses commentateurs. Strabon, Diodore de Sicile, Juvénal et
Pomponius Mêla, ont fait usage du passage d’Homère en enchérissant encore sur
le merveilleux qu’ils ont cru y apercevoir ; mais parmi ces écrivains on doit plus
particulièrement distinguer Pomponius Mêla (4). En effet, il ne se contente pas
de dire d’après Homère que la ville avoit cent portes ; mais il ajoute, sur des
( 1 ) E vioi A ' (puoiv v nvhctf { ¡u t i iv it r ^ tu r a f ttiv , a W ( 3 ) V o y e ^ le s s e c t . i . ïc e t V I I d e c e c h a p i t r e , f
7reMa >(«4 fjj^etha. /oçs-m\a.\a. -mv kpuv, àf cor 'Ena.Tvlu7m?\oY âyo- (4) Viginti milita urbitim Amasi régnante habitarunt,
, X£t%.7itpei m\unvK ov. et nitnc militas habitant. Earum clarissimæ, procul à mari,
Tametsi sunt qui non centum portas ha baisse urbem Sais, Alemphis, Syene, Bubastis, Elephantis, et Thebcep
asserant, sed multa et ingentia templorum vestibula ; unde uti quai (ut Motnero dictum est) centum portas, sive (ut
Hecatompylus à centum, hoc est, multis portis cognominata alii ai uni) centum aulas habent, totidern ohm principum
sit. ( Diod. Sic. Biblioth, hist, lib. I , tom. I , pag. 5 5 , domos; solitasque singulas, ubi negotium exegerat, dena
edi t. 1746.) armatorum ■ millia effundere. ( Pomp: MeL de situ orbis
(2) M. Bruce, dans son Voyage aux sources du Nil. libri r r« ,Iib . I, cap. ix , pag. 65, ex edit. Abrahami Gro-
Voyez tom. I , pag. 14.9, traduction de M.Castera. novii, 17 8 2 , in-8.°)