» soumis, leur imposa des tributs proportionnés à leurs forces, et les obligea de
» les apporter eux-mêmes en Egypte, où il revint au bout de neuf années ( i ), avec
» une réputation supérieure à celle de tous les rois ses prédécesseurs. Il fit son en-
» trée, suivi d’une foule innombrable de captifs, et chargé d’immenses dépouilles. »
Les sculptures intérieures du péristyle du palais n’annoncent-elles point c.e
retour (2)' Cette marche triomphale que nous avons décrite, ces captifs que l’on
amène devant le vainqueur, ces sacrifices que l’on offre aux dieux, n’ont-ils pas
une conformité parfaite avec les circonstances du retour du héros dont Diódore
nous donne l’histoire !
Le témoignage d’Hérodote vient se joindre à celui de Diodore, pour nous
confirmer dans l’opinion que les sculptures du palais de Medynet-abou représentent
les exploits de Sésostris (3). « Ce prince, dit-il, fut, selon les prêtres, le premier
(]ui , étant parti du golfe Arabique avec des vaisseaux longs, subjugua les peuples
» qui habitoient les bords de la mer Erythrée. Il fit voile encore plus loin, jusqu’à
une mer qui netoit plus navigable à cause des bas-fonds. »
Ces circonstances sont parfaitement d’accord avec celles qui sont rapportées
plus en détail par Diodore de Sicile. Hérodote garde le silence sur la suite des
exploits de Sésostris dans cette région du globe : mais Diodore, comme nous l’avons
vu, y supplée par beaucoup de détails; et il ne nous paroît pas que l’on doive
inférer du silence du premier, que Sésostris n’ait pas pénétré dans l’Inde, puisque,
loin d avancer positivement ce fait, tout ce qu’il raconte conduit au contraire à
supposer ce voyage : car c’est une règle de critique qu’il nous paroît très-convenable
de suivre, que, pour des faits historiques dont le fond est le même et qui sont
différemment narrés par plusieurs historiens, on doit ajouter foi à celui qui donne
les circonstances les plus détaillées. Il est facile de voir qu’Hérodote et Diodore,
dans tout ce quils rapportent de Sésostris, ne se sont point copiés, bien qu’il y
ait entre eux une distance de plusieurs siècles. Ils ont puisé à une source commune
; car il y a de certains faits sur lesquels le premier historien s’étend davantage
et que le second a presque entièrement omis, tandis que d’autres faits qui
ont été exposés plus au long par l’un, n’ont été qu’esquissés par l’autre. Mais ce
qui, pour 1 objet dont nous nous occupons, fait une différence très-grande entre
les deux historiens, c’est que les récits de Diodore et les bas-reliefs représentant
la suite des exploits de Sésostris ont une conformité qui n’existe pas entre ces
sculptures et les faits rapportés par Hérodote. Nous conclurons donc de toute cette
discussion, que les deux auteurs ont puisé leurs matériaux dans les annales de
I Egypte, et que les prêtres de cette célèbre contrée leur ont fourni sur la vie de
Sésostris les détails qu ils nous ont transmis, mais qu’il ne paroît pas que ces mêmes
pretres aient montre a Hérodote les monumens historiques gravés sur la pierre, qui
devoient, pour ainsi dire, attester la vérité de leurs discours.
Nous ne quitterons pas ce sujet, sans appeler l’attention sur ce qu’a dit de
( J ) Voye^ la citation n .° v i I , pag. 74.
(2) V o y e z ci-dessus, pag. 47 et suiv., et la planche n , A, vol. II.
Í3) Voyez la citation n.° \ m , pag. 74.
Sésostris un célèbre critique, dont nous sommes loin de partager l’opinion. M. de
Pauw,,dans le premier volume de ses Recherches philosophiques sur les Egyptiens et les
Chinois, ne veut point accorder à Sésostris le titre de conquérant : il le regarde
seulement comme un des meilleurs rois qui aient gouverné l’Egypte, et qui, succédant
aux rois pasteurs, les plus impitoyables tyrans dont l’histoire fasse mention, aient
restitué au peuple la propriété des terres,' que ceux-ci lui avoient ôtée. Ce que
M. de Pauw ne peut sur-tout accorder, c’est que Sésostris ait fait construire sur la
mer Rouge une flotte nombreuse. Il se fonde particulièrement sur ce que les. Egyptiens
avoient une aversion invincible pour la mer. Il cst certain que les eaux de la
mer, dans leur système mythologique et religieux, leur inspiroient de l'horreur : ils
les désignoient, et nous en avons déjà fait la remarque, comme l'emblème de
Typhon, l’ennemi d’Osiris ( t j. C’étoit dans la mer que venoient se perdre
les eaux bienfaisantes et régénératrices du Nil, leur Osiris terrestre. Mais il faut
considérer ente ces opinions religieuses ne devoient pas plus faire renoncer les
Égyptiens à la navigation sur mer, que leur respect pour les animaux sacrés, tels
que le boeuf, la brebis, et tant d’autres, ne les empêchoit de se nourrir de la chair
de ces animaux, ou que leur haine pour les Arabes pasteurs ne les éloignoit de
l’éducation et de la garde des troupeaux. Il faut considérer encore que, nonobstant
cette aversion religieuse pour les eaux de la mer, les marins, au rapport
d’Hérodote; étoient cependant en assez grand nombre pour former une des sept
classes de la nation, et cela n’a pu sûrement être le résultat que d’une certaine
extension donnée au commerce. Si l’on ajoute à toutes ces considérations, qu il
est assez généralement reçu d’accorder aux Égyptiens des connoissances très-étendues
en géographie, et si l’on admet la science prodigieuse que S, Clément
d’Alexandrie (2) donne à l’hiérogrammatiste ou scribe sacré des Égyptiens, on
tombera d’accord que tant de connoissances ne peuvent provenir que de communications
extérieures depuis long-temps établies. Pourquoi Sésostris ne seroit-il
pas un des rois conquérans qui auroient le plus contribué à ces communications par
leurs expéditions militaires et leurs excursions lointaines ! D’ailleurs, tous les témoignages
historiques s’accordent à nous montrer, dans l’antiquité, le commerce de
l’Égypte principalement dirigé vers la mer Rouge. Ce n’est guère que sous les derniers
Pharaons que les Égyptiens firent, avec un assez grand éclat, le commerce de la
Méditerranée, et que les ports de l’Égypte sur cette mer furent ouverts aux étrangers,
Voilà comment, par une suite d’inductions et de témoignages fournis, soit par
les historiens, soit par les monumens encore subsistans en Égypte, nous sommes
conduits à conclure que l’esprit guerrier des anciens Égyptiens, leurs vastes conquêtes,
leurs communications avec l’Inde, ne sont pas des chimères, et que tous
les doutes que l’on a élevés jusqu’à présent sur l’expédition de Sésostris dans cette
contrée (3) et sur l’existence même de ce roi conquérant, doivent cesser entièrement.
Si, sous les rois qui ont succédé à Sésostris, les Égyptiens ont dégénéré de leur
( 1) Voyez le T ra ité d’ Isis et d’Osiris de Plutarque.
(2) Voyez la citation n.° I , pag.72.
(3) Voyez un mémoire de l’abbé Mignot dans les Mé moires
de l’Académie des inscriptions et belles-lettres,
totn. X X X I , pag. 177 et 178¡ — Z o e g a , De origine et usu
obeliscorum, pag. 577 et 578 ; — l’ Iconographie Grecque.,
par M. Visconti; — les Etudes de l’histoire ancienne, par
Lévesque, tom. I ."