cote et à peu de distance des rives du fleuve, elles s’offrent, pour ainsi dire, d’elles-
memes, aux regards de ceux qui y naviguent. Ils arriveront ainsi aux dernières
limites de l’Egypte, ayant satisfait cette première curiosité qui veut tout voir à-la-
fois et ne permet pas d’observer. Ils auront déjà acquis quelques idées générales
sur cette architecture, sur ces arts qu’ils vont étudier; et ils pourront même, en
commençant, comparer l’étendue, la disposition et lès formes principales des
édifices.
La ville de Syène, située sur la rive orientale du Nil, est la dernière habitation
de 1 Egypte. Des roches de granit, sortant du milieu du fleuve, annoncent les
approches de la cataracte, et marquent le terme de la navigation. Cependant,
au-delà des cataractes, de cette limite naturelle de l’Égypte, l’île de Philæ est
couverte de monumens Égyptiens. Les Grecs et les Romains l’ont possédée; et
larmee Française, conduite en Egypte par le général en chef B o n a p a r t e , e n a
pris aussi possession.
Cette île est à un myriamètre (i) au-delà de Syène. Lorsque l’on a quitté Syène
moderne, et qu’on a traversé la ville antique, située un peu plus au midi, dans
une position élevée, on descend dans une petite plaine d’environ douze cents
mètres (2) d’étendue, qui se termine au Nil vers le couchant. Le chemin qui la
traverse est fort inégal, moins par la forme même du terrain, que par les débris de
granit provenant des carrières, et par les autres décombres qui y sont répandus.
A gauche sont, en grand nombre, des tombeaux Arabes, dont la date remonte
jusqu au temps du khalyfe O mar ; a droite on aperçoit quelques minarets ,
quelques dômes qui ont été élevés pour servir aussi de tombeaux dans des temps
plus modernes.
Après avoir traversé cette petite plaine, la route s’élève assez rapidement. Elle
est bordée, du côté du Nil, par des rochers qui la séparent entièrement du fleuve;
de l’autre côté, on voit d’abord de vastes fondrières qui paroissent des excavations
faites de main d’homme : au-delà sont des carrières de granit. Bientôt, en
avançant, on voit le chemin redescendre, et l’on se trouve entre des sommités
de rochers dont les uns sortent du milieu du sable, et les autres sont d’énormes
blocs arrondis posés sur ce sable ou jetés les uns sur les autres, et accumulés à une
grande hauteur (3). Cependant, au milieu de ces roches éparses, on trouve une
espece de vallee que Ion suit pendant une heure et demie, et qui conduit sur la
rive voisine de 1 île. Le fond de cette vallée est uni, solide et recouvert d’un sable
fin. Les rochers qui 1 environnent, sont presque tous de ce même granit rouge si
brillant quand il est p oli, dont nous admirons les fragmens que l’on a transportés
en Europe : ici il se présente sous de moins belles couleurs ; il est recouvert d’une
couche brune, ouvrage du temps, qui en a fait disparoître toutes les petites
aspérités et le rend presque lisse. Ces rochers de formes très - irrégulières, et
toujours arrondis, ne montrent ni pointes ni arêtes tranchantes, ni ces cassures
anguleuses que sembleraient cependant devoir offrir des blocs qui, détachés du
H f T j eUX .. (l) ^ a c‘ e ces blocs qui ont plus de douze à quinze
[2] n quart e teue. mètres [trente-six à quarante-cinq pieds] en tout sens.
corps de la montagne, paroissent en être des fragmens : on diroit qu’ils ont subi
un long frottement ; ils portent la marque d’une extrême vétusté.
Strabon rapporte que le chemin de Syène à /Philæ étoit uni, et qu’on y
voyageoit en chariot. Ce chemin est encore le même aujourd’hui; et l’on pourrait
le parcourir en voiture, si les voitures étoient en usage en Egypte. Rien n’a. changé
dans cette contrée solitaire, depuis le règne d’Auguste; et l’on n’y prévoit d’autres
changemens, d’autresmouvemensfuturs, que ceux des sables que les vents chassent
entre les rochers. Il est surprenant que le géographe Grec n’ait rien dit de la
longue muraille construite dans cette vallée. Sans doute elle étoit dès-lors presque
entièrement détruite, recouverte de sable, et peu remarquable pour un voyageur
qui passoit rapidement dans un char. Encore aujourd’hui, les vestiges de cette
muraille paroissent, au premier aspect, n’être que des monceaux de terre placés
de distance en distance ; mais, en les examinant de plus près, on y reconnoît les
briques non cuites dont elle étoit formée.
En sortant de Syène, la muraille est à l’est du chemin : elle le coupe vers la
moitié de la vallée, le coupe encore à peu de distance, et, continuant de tourner
dans la direction de l’est, elle va se terminer au nord de la petite plaine qui
s étend vis-à-vis de Philæ. Dans les endroits où le chemin et la muraille se
rapprochent, on se trouve tantôt au levant, tantôt au couchant de cette muraille,
que Ion traverse ainsi, sans le remarquer, par les lacunes de plusieurs centaines
de mètres qui en séparent les vestiges.
Cette construction a un peu moins de deux mètres (1) d’épaisseur; sa hauteur
est d’environ quatre mètres (2), et quelquefois davantage ; mais, outre qu’elle est
dégradée au sommet, il est aisé de voir qu’elle est enfoncée en partie dans le sable;
et même, du côté de Syène, elle est totalement ensevelie, et se devine seulement
sous un amas de sable qui, dans cet endroit, partage en deux la vallée, suivant
sa longueur. Les briques qui la composent, sont semblables aux briques Égyptiennes
employées aux grandes enceintes des temples, à Thèbes, et dans quelques
autres endroits (3).
Cette conformité dans les matériaux, et sur-tout l’étendue de la construction,
qui occupoit toute la longueur de la vallée, donnent à cette muraille un caractère
tout-à-fàit Égyptien ; et l’on ne peut point inférer du silence de Strabon, qu’elle
n’existoit pas encore de son temps. La construction doit en être rapportée à une
epoque extrêmement ancienne, où les Égyptiens eurent à protéger la route de
Philæ contre les peuples qui habitoient au-dessus de la cataracte; car nous pensons
que la sûreté de cette route étoit le principal objet de ce rempart : nous n’avons
point appris, en effet, qu’on en retrouvât des traces en s’avançant plus loin dans
la Nubie (4); et, s’il se fût agi seulement de protéger Syène et de défendre
(1) Cinq à six pieds.
(2) Douze pieds.
(3) On a remarqué, en différens points de cette muraille,
des arrangémens divers dans les briques dont elle
est composée. Ou bien ces briquei sont posées .à plat,
suivant la manière ordinaire, ou bien il y a alternative-
A . D .
ment deux rangs de briques posées à plat, et un rang
de briques posées de champ ; ou bien encore ce dernier
rang est remplacé par un autre dont les briques sont
posées obliquement.
(4) Il y a cependant des habitans de Philæ qui ont
dit à l’un de nous, que ce mur se continuait de l’autre
A a