
ce qui regarde l'embaumement, attendu qu’un mémoire particulier rendra compte
au lecteur de tout ce qu’il pourroit desirer d’apprendre à ce sujet (1), mais l’arrangement
industrieux des bandelettes, les signes d’écriture tracés sur les toiles,
le caractère de la physionomie, les peintures qui ornent les enveloppes , enfin
l’art avec lequel on a, pour ainsi dire, caché la mort pour lui donner les formes
de la vie.
On sait quelle quantité de bandes de toile entroit dans la composition d’une
momie ; on sait encore qu on plaçoit sur le visage plusieurs masques en toile plus
ou moins fine, qui reproduisoient tous une image ressemblante*, mais ce qu on n a
pas remarqué (ce me semble), c’est que les mains et les pieds avoient aussi de ces
masques, c’est-à-dire que les toiles portoient une empreinte en relief, tres-mar-
quée, dés doigts et des orteils, même des ongles (2). Bien plus, pour remédier
à la contraction, à la dessiccation des chairs, et donner aux différentes parties du
corps toute la rondeur naturelle, on augmentoit au besoin le nombre ou l’épaisseur
des toiles, et l’on poussoit le soin, la recherche, jusqu’à rendre les formes
plus belles que la nature vivante. Je puis citer en exemple un bras de momie que j’ai
rapporté des catacombes (3). En parcourant un caVeau, je remarquai une petite
momie à cause de sa parfaite conservation, et je formai le projet de 1 emporter.
L ’entrée du caveau étoit une de celles dont j’ai parlé au commencement, où l’on
ne peut passer qu’en se traînant sur le ventre. J ’éteignis ma lumière, et, prenant
d’une main la momie par le bras, je m’avançai péniblement en m’appuyant sur
l’autre main Malheureusement l’issue se trouva encore plus étroite que je ne lé
pensois-; les efforts que je fis pour attirer la momie au dehors, la brisèrent sous
l’épaule, et le bras se sépara. Les circonstances ne me permettant pas de rentrer
dans le caveau, il me fallut renoncer a mon entreprise.
En considérant ce bras, je reconnus qu’il appartenoit à une jeune fille d’environ
huit ans ; je le trouvai d’une grande beauté, ses formes, étoient arrondies et gracieuses:
mais ce qui m’étonna le plus, c’est qu’en mettant à découvert les ongles de
la main, je les vis teints d’une couleur rouge, comme celle dont les femmes se
teignent aujourd’hui les ongles à 1 aide du henne. On sait que le henne est une
poudre verte, provenant des feuilles d’un arbrisseau (Lawsonia inermis, Lin.),
séchées au four et pulvérisées, et qu’il suffit que cette poudre humectée séjourne sur
une partie quelconque d’un corps vivant, pendant quelques heures, pour la teindre
solidement en rouge-orangé ; cette nuance y demeure jusqu’au renouvellement de
lepiderme. Les bandelettes particulières des doigts et de la main me parurent aussi
plus rouges que le reste du bras, et je conjectural que l’embaumeur avoit imprégné
les mains de henné après l’opération finie. J ’avoue cependant qu’on pourroit aussi
attribuer cette couleur à l’action du bitume ou à toute autre cause.
Cette momie m’a fait voir encore qu’on enveloppoit séparément chacun des
membres, chaque main ou chaque pied, et même chaque doigt, par des bande-
(ï) Voyei Te Mémoire sur l’embaumement, par avoit un moule en bois qui imprimoit sur la toile encore
M. Rouyer, A . Mémoires, vol. I , pag. 207. chaude la forme des doigts et des ongles. .
(2) Voyez pl. y2 , fig : 14 , A . vol. I I . Il paroit qu’on (3) Voyez U planche 4 8 , fig. 2 , A .vo l. I I .
lettes particulières, avant de mettre des enveloppes générales autour du corps.
On admire communément l’art et le soin qu’il y a dans ce travail; mais on ne
fait pas attention à 1 habitude qu’avoient acquise les embaumeurs par une pratique
journalière.
La toile qui repose immédiatement sur la peau de ce même bras, est beaucoup
plus grosse que les autres; c’est l’enveloppe extérieure qui est la plus fine de toutes.
Celle-ci étoit taillée en pointe, et entouroit le bras à partir de la paume de la
main, en forme d’une manche bien serrée ; au lieu que les enveloppes de dessous
paroissent n’être que des bandelettes roulées en spirale. Ce seroit ici le lieu de
s’étendre sur les espèces de toiles employées dans les momies, et d’examiner l’industrie
qu’elles supposent dans les Égyptiens, et les matières végétales dont ils se
servoient pour les fabriquer. Comme on en a beaucoup rapporté en Europe, principalement
depuis ces derniers temps, il sera possible de lever toute incértitude
sur ce sujet. En attendant, on présentera ici quelques observations particulières;
mais on s abstiendra de rappeler des faits généralement connus.
On ne peut douter que le lin et le coton n’aient servi tous deux en Égypte
à faire de la toile, puisqu’Hérodote emploie séparément et d’une manière distincte
le tenne de lin et celui de byssus, et que ce dernier est certainement le
coton : or, quand il veut parler des toiles qui étoient destinées à l’embaumement,
il se sert du mot de byssus (1). Il est difficile de s’assurer aujourd’hui si la toile de
momie est en effet de coton ou de lin, lorsqu’elle est fortement imprégnée de
bitume, desséchée et cassante : mais il y a aussi des toiles parfaitement conservées,
aussi solides que si elles étoient neuves; et celles-ci, quand on les examine
attentivement, offrent beaucoup d’analogie avec le tissu de coton, tant à la vue
qu’au toucher. Cette observation s’applique aux plus grossières comme à celles
dont le tissu est le plus délié ; ce qui justifie le passage d’Hérodote. Je n’ai trouvé
d’exception à cette règle que dans les' toiles des catacombes de Philæ; on y recon-
noît la fibre du lin assez clairement : cela est d’autant moins difficile, qu’elles sont
excessivement grosses, à tel point que la chaîne a une ligne d’épaisseur (2). Ces
toiles ont sans doute servi pour des hommes de la classe la plus pauvre ; et ce qui
le confirme, c’est qu’elles sont chargées de natroun, et non de bitume (3).
Les bandelettes extérieures étoient quelquefois couvertes de caractères d’écriture
, tantôt en hiéroglyphes, tantôt en lettres courantes ou alphabétiques. Il y a
long-temps que ce fait est connu en Europe, parce que les voyageurs ont rapporté
de Saqqârah, le cimetière de Memphis, plusieurs de ces toiles écrites; mais ils n’en
avoient pas rapporté de la Thébaïde. J ’ai trouvé, sur une momie de Thèbes, une
bande écrite assez négligemment, dont les signes sont hiéroglyphiques, et non cursifs
(4 ) : il est aisé de les distinguer à leur disposition régulière, et en ce qu’ils sont
(1) Herod. Hist. lib. i l , cap. 86. de lin, est relatif aux prêtres. Pline (Natur. H¡st. lib .x ix ,
(2) Voyez la Description de l’île de Philæ, par feu cap. 1 ) est positif sur l’empïoi des habits de coton, même
Michel-Ange Lancret, A . D . ch a p .l, pag. 16. dans la classe sacerdotale. Enfin, selon Apulée (Metani.
(3) Herod. Hist. lib. 1 1 , cap. 88. Greaves a donc eu lib. x i , pag. 388), le coton servoit à l’habillement des
tort de penser qu’en Egypte toutes les toiles indistincte- initiés.
ment étoient faites en lin. Ce que dit Plutarque des habits (4) Voyez la planche 4 8 , fig. 4 , A . vol. I I .