» dans un temple de Sérapis, on voit une statue que l’on dit être consacrée à
» Metnnon, et qui rend tous lés jours un son au lever de l’aurore. »
La statue qui, au temps de Pline, rendoit des sons, est certainement celle que
nous désignons sous le nom de colosse de Memnon; cela paroît constant et n’a pas
besoin de développement. Pline s’accorde' avec Strabon pour placer cette statue
dans un édifice; mais, suivant le premier, cet édifice étoit consacré à Sérapis. Ce
temple de Sérapis ne peut être que le grand bâtiment où se trouvoient les deux:
colosses, puisque, par la suite de nos recherches, nous avons reconnu l’identité ( i )
des ruines qui sont au pied de la chaîne Libyque, avec d’autres monumens dont
les anciens nous ont conservé des descriptions. Mais comment deux auteurs, tels
que Strabon et Pline, qui se suivent à si peu d’intervalle, ont-ils pu désigner le même
édifice, 1 un sous le nom de Memnonium , et l’autre sous celui de temple de Sérapis!
Tout porte à croire que les temples de l’Égypte n’étoient point exclusivement
consacrés à une seule et même divinité, et que les palais de Thèbes renfermoient
des édifices destines au culte. Ainsi le Memnonium de Strabon pouvoit avoir dans
son enceinte un temple de Sérapis; ce qui le confirme, c’est une inscription (2)
gravée sur la jambe droite du colosse du nord, où on lit encore les deux noms
de Sérapis et de Memnon. Quoique cette inscription soit en grande partie effacée,
on y distingue encore des mots qui peuvent être ainsi restitués d’après la. copie
que Pococke en a faite, NEOJKOPOC TOT CAPAI1IAOC KAI TOT MEMNONOC•:
d où il résulte qu’un certain personnage, dont le nom se trouve probablement dans
1 inscription, et dont la charge, indiquée par le mot de néocore (3), étoit d’entretenir ■
et d orner le temple de Sérapis et de Memnon, avoit entendu le son de la voix
miraculeuse. Le mot A A P I A N O , que l’on peut lire à la fin de l’inscription, paroîtroit
indiquer qu’elle est du temps de l’empereur Adrien.
Tacite (’4 ) , en parlant du voyage de Germanicus, rapporte qu’entre autres
merveilles que ce prince s’étoit attaché à connoître en Egypte,: il alla visiter la
statue de pierre de Memnon, qui rend un son dès qu’elle est frappée par les
rayons du soleil. Tacite ne parle point de l’édifice où le colosse étoit renfermé.
Juvénal (y) fait mention de la statue de Memnon et de l’endroit où on la voyoit.
Quoique poète, son témoignage n’est point à négliger, puisqu’il avoit visité Thèbes
ut putantj Mernnonis statua dicatus : quem quotidiano solis
ortu contactum radiis crepare dicunt. ( Plin. JVat. Hist,
lib. x x x v i , cap. 7.)
( 0 Voyez la description de Medynet-abou, sect. J .Tl,
et celle du tombeau d’Osymandyas, sect. m de ce chapitre.
(2) Voye1 l’inscription x i i , à la fin de cette section,
pag. ito.
(3) -Le mot de viatu(y ç est composé de deux mots Grecs
nuç,vetàç, templum, et de wtpuv, verrereetornare. Ainsi viuxo-
çpç indique celui à qui étoit commis le soin de nettoyer
et d orner le temple. Les Latins l’ont appelé cedituus, et
ensuite neocorus. Le néocore étoit, dans le principe, un
simple valet charge de nettoyer et de décorer le temple :
il devint un personnage très-important, lorsque la richesse
des offrandes exigea un dépositaire d’un état plus distingue.
Dans la suite des temps, le néocore connoissoit
l’origine du culte qui se rendoit à la divinité dont il
gardoit le temple ; il apprenoit ce culte aux étrangers ; il
fut même chargé de tout ce qui concernoit les choses
sacrées.
Les peuples et les villes prenoient la qualité de néocores,
lorsqu’ils célébroient des jeux ou élevoient des temples
en 1 honneur des empereurs , et ils étoient néocores plusieurs
fois.
(4) Cceterùm Germanicus aliis quoque îrtiraculis intendit
animum, quorum prcecipua fuere Aiernnonis saxea effigies,
ubi radiis solis icta est, vocalem son uni reddens. . . . ( Tacit.
Annal. Iib. i l .)
(j) Quis nescit, Volusi Bithynice, qualia demens
Ægyptus par te rua colat! Crocodilon odorat *
Pars hac : ilia pavet taturam sèrpentibus ibin.
Effigies sacri nitet aurea cercopitheci,
Dimidio magica résonant ubi Memnone chorda,
Arque vêtus Thebe centum jacet obruta partis.
Ju v en . ia t. XV.
en
en se rendant au lieu de soh exil à Syène. « On voit, dit-il, briller la statue d’or
m d’un singe ou cynocéphale dans les lieux mêmes où l’on entend sortir des sons
n de la statue mutilée de Memnon, et où l’antique Thèbes est ensevelie sous les
» débris de ses cent portes. 33 Le cynocéphale étoit, comme l’on sait, un des objéts
du culte des Egyptiens. Son effigie ne pouvoit se voir que dans le sanctuaire d’un
temple, et ce temple étoit, selon Juvénal, celui même qui renfermoit la statue de
Memnon. Ainsi le témoignage de ce poète concourt à prouver ce que nous avons
établi par les rapprochemens précédens. Une autre conséquence que nous pouvons
en tirer, c’est que la restauration delà statue, telle qu’elle existe maintenant,
n’étoit point encore faite au temps de Juvénal.
Dans l’ordre chronologique, Pausanias vient après tous les auteurs que .nous
avons cités. Voici ce qu’il nous apprend sur les ruines dont nous avons donné la
description, et qu’il avoit vues lui-même. On sait combien son témoignage mérite
de confiance. Pausanias, après avoir parlé d’une certaine pierre que l’on gardoit
à Mégare, et qui, étant frappée .avec un caillou, rendoit un son semblable à celui
d’un instrument à cordes, poursuit ainsi (1) : « J ’ai été moins frappé de cette mer-
33 veille que de la statue colossale que j’ai vue en Egypte, à Thèbes, au-delà du
33 N il, non loin des syringes. Ce colosse est une statue assise du Soleil (2), ou de
33 Memnon, suivant la tradition la plus commune. On raconte que ce Memnon
33 est venu d’Ethiopie en Egypte, et qu’il a pénétré jusqu’à Suses. Mais les Thébains
33 eux-mêmes nient que ce soit Memnon; car ils prétendent que c’est Phame-
33 noph,né dans leur pays. J ’en ai même entendu qui disoient que cette statue
33 étoit celle de Sésostris. Cambyse l’a fait couper par le milieu; et maintenant la
33 partie supérieure, depuis la tête jusqu’à la moitié du corps, est renversée par terre
33 et abandonnée. Le tronc est encore debout, et tous les jours, au lever du soleil,
33 il rend un son tel que celui des cordes d’une cithare ou d’une lyre, qui, étant
33 fortement tendues, viendroient à se rompre. 33
Ce passage très-curieux ne dit rien de l’édifice où pouvoit être renfermée la
(1) Voyez la citation n.° V I, pag. n y .
(2) Nous adoptons ici la correction du texte proposée
par l’abbé Sevin, tome X IV , pag. iqy, de l’Histoire de
l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
cc Pausanias, dit l’abbé Sevin, fait la description de
» la statue colossale de Memnon, et marque avec beau-
» coup de netteté l’endroit précis où elle étoit placée :
» Ilapl% «As 77DMÛ) JAO.RIÇU. ( SotUptCLOOf ) AÎ'yJ'&'jÎcoV 0 XûAOflVDf év
» QnSetjç 7ttjf Ai'yj'srtieqç JjotCiot tiv N«Aoÿ irQpç rnç 2 i
» xaMptivctf ‘ eçj ytp tu Kcdjtipurov ayahpa HAHoy, Mt/tvora
» ¿vouetÇovoiv oi îidmo/. Les extraits de Phralitès présentent
» ici des différences assez considérables. La fin du pas-
» sage en question y est ainsi exprimée: lâç 'S.ue/.yyctç
» KaMpUraç otfiiY, tçi na^pSpov ayxxput, 'Ha/«; auquel cas il le
» faudra traduire de cette manière : Une chose encore plus
» digne d'admiration, c'est le. colosse qui se voit à Thèbes
» d'Egypte, sur la rive du N i l qui conduit aux souterrains
» connus sous le nom de Syringes1. Ce colosse est une statue
n assise du Soleil, ou de Aîemnon, suivant la tradition la
» plus communément reçue. Quant à la première partie
»du texte, elle n’a pas absolument besoin d’être corri-
A . D . '
» gée. II n*en est pas de même de la seconde : le mot
»»ixèiov ne saurait recevoir une explication raisonnable,
» et Sylburge a très-bien vu que le génitif'Ha/k conve-
» noit infiniment mieux en cet endroit ; conjecture dont
» le manuscrit du Roi ne permet pas de ^évoquer en
»doute la vérité. On ne doit pas omettre que Joseph
»Scaliger, dans ses notes sur la Chronique d’Eusèbe, a
» cru remédier au mal en changeant le terme lÎAêiW en
» celui d’u^èioy. I I appuie ce changement de divers témoi-
» gnages des anciens, dont la plupart assurent que la
» statue de Memnon rendoit une espèce de son", lorsque
» les premiers rayons du soleil.venoient à l’éclairer ; niais,
» tout bien considéré, il est plus sûr de s’en tenir à la
» leçon du manuscrit. II semble du moins que Pausanias
»s e propose ici de marquer la diversité des sentimens
» par rapport à l’objet que représentoit le colosse : les uns
» le prétendoient consacré au S o le il, et les autres à
» l’honneur de Memnon. JI ajoute que-le grand nombre
» avoit adopté la dernière de ces opinions. C ’est en effet
» la seule qui soit conservée dans les écrits qui sont venus
» jusqu’à nous. »
N