
par une corde, et qui, muni d’un crayon, d’une règle et d’un flambeau, mesure
et dessine toutes les parties d’une circonférence de six mètres et demi ( i )
d’étendue.
L ’effet de ce portique ainsi enfoui est aussi difficile à décrire qu;il est frappant
pour celui qui le voit, parce qu’au plaisir de cet aspect se joint une vive curiosité de
connoître ce qui est dérobé à l’oeil, sans l’espoir de la satisfaire : une des planches
de l’atlas fera mieux juger que le discours, de l’état du portique et de l’impression
qu’il produit (2). Que peut-on imaginer de plus magnifique et de plus simple à-Ia-
fois, de plus riche et de moins chargé, que cette belle ordonnance d’architraves',
de dés et de chapiteaux, si bien assortis pour les proportions, sculptés avec tant de
finesse, décorés d’ornemens si légers et si bien entendus, et dont toutes les lignes
enfin se balancent avec tant d’harmonie ! Ces chapiteaux gigantesques semblent
tirer plus de valeur encore de l’amas de poussière d’où ils sortent : le spectateur
qui les eut aperçus du sol, c’est-à-dire, de trente pieds plus bas, n’eût pas joui
de leurs détails et de leur grande proportion, comme ici sur ce monceau de
décombres qui élève l’oeil jusqu’à leur niveau. C ’est là , plus qu’ailleurs, qu’on
admire à loisir cette tête du palmier, qui, dans la nature, est si magnifique, et
. que l’art Egyptien a si heureusement transportée dans l’architecture, pour en
faire un chapiteau vraiment national. On sait que les belles feuilles qui composent
la touffe du dattier, ont quelquefois vingt à vingt-cinq pieds de haut (3); la partie
basse est légèrement inclinée, parfaitement plane et droite, et la sommité fléchit
sous le poids. Il falloit d’aussi grands chapiteaux que ceux d’Edfoû pour donner
une idée de tous ces détails. Mais voyez comme l’artiste a su habilement copier
son modèle (4). Cette courbure du sommet de la branche, on la retrouve ici dans
le haut du chapiteau; c’est elle qui lui donne ce contour si gracieux, que la
perspective embellissoit encore en le développant davantage, comme le savoient
très-bien les architectes d’Égypte. La feuille du dattier est naturellement plus large
vers le haut que dans la partie inférieure; c’est encore ce que retrace la copie, et
ce qui a donné l’idée et le moyen de joindre ensemble toutes les feuilles en
forme de corbeille. Enfin le nombre des rameaux , les régimes de dattes, et
jusqu’aux écailles de la tige (5), tout a été l’objet de l’imitation, mais de l’imitation
conduite par le goût et l’intelligence. On sent trop bien la beauté de ces chapiteaux
pour que je m’arrête à les décrire plus long-temps.
J ’ai dit que le monument étoit peu dégradé : en effet, on ne peut citer que les
■murs d’entre-colonnement du portique et le couronnement des deux massifs de la
façade extérieure qui soient altérés d’une manière notable; et, ce qui est rare, la
sculpture elle-même a aussi peu souffert que l’architecture (6). Ces masses si étendues
en superficie, et qui ont près de trente mètres de hauteur (7), ont tellement
conservé leur assiette, qu’une pierre ne passe pas l’autre, que pas une assise n’est
( ') Vingt pie3s- ■ (s) R estes des branches que l’on coupe chaque année.
(2) Voyez planche y j. (6) Dans la p l. 49, qui est d’ailleurs fidèle pour l’aspect
(3) J ’en ai mesuré une dans la province de Qelyoub général et pour la vérité pittoresque, le graveur a indiqué
qui avoit près de trente pieds. trop de parties ruinées ou dégradées.
(4) Consultez aussi les planches 7 5 , fig. $ , et 89, f i g. j , (7) Cent dix pieds.
dérangée.
dérangée. Quand on est au sommet et qu’on place l’oeil dans le prolongement des
faces, on n’aperçoit qu’un plan parfaitement dressé ; je dis un plan, bien qu’elles
soient couvertes de sculptures, parce que ces sculptures sont taillées en relief dans
le creux (i). Enfin ces longues arêtes, garnies d’un gros tore ou cordon, sont
encore à l’état de lignes parfaitement droites. Ce seul fait donnera une idée du
soin et de l’adresse des constructeurs de l’ancienne Ëgypte.
Si l’appareil n’eût pas été aussi pur, et la coupe des pierres très-perfectionnée
chez les Egyptiens, comment, après tant de siècles, trouverions-nous encore ces
longues lignes, ces vastes surlâces, dans l’état où elles sont sorties du ciseau dès
sculpteurs, quand nous voyons nos édifices d’Europe s’ébranler au bout de quelques
siècles, et quand les batimens des Grecs et des Romains, bien plus solides que lés
nôtres, offrent si peu d’assises, si peu de pierres intactes.' C ’est à tort qu’on attri-
hueroit au climat seul une si grande différence : les Grecs et les Romains ont bâti
en Egypte, et leurs ouvrages ne sont plus.
On a traite.ailleurs avec quelque détail de la construction.chez les Égyptiens (2] ;
je dois me borner ici à ce qui est propre au monument d’Edfoû. .
Les deux masses pyramidales qui le précèdent, sont dignes d’être étudiées, surtout
a cause de la disposition parfaite et de la pureté d’exécution qu’on remarque
dans leurs deux escaliers : ce sont des vis rectangulaires, formées de onze révolutions,
ayant huit marches dans un sens, et cinq dans l’autre. Il y a quatre étages
de chambres (3) et quarante-deux paliers, éclairés par des jours étroits, en forme
de soupirail : les chambres sont aussi éclairées par des fenêtres de même forme et
plus grandes; mais la lumière qui en provient, est très-affoiblie à raison de la
grande épaisseur des murailles. Nous avons pénétré dans ces escaliers par l’une des
portes qui se trouvent a 1 extremite des galeries, au niveau de la terrasse. La
hauteur de chaque degré est d’environ douze centimètres, ou quatre pouces et
demi : aussi rien nest plus facile que d’arriver rapidement au sommet, malgré sa
grande élévation ; le voyageur éprouve même un sentiment d’aise et trouve une
sorte de plaisir à monter ces escaliers , parce qu’habitué à en parcourir de plus
roides, il y fait pourtant 1 effort accoutumé ; d’où résultent pour lui un excès de
force et une légèreté apparente.
Les assises de piefre qui composent ces massifs, régnent d’un bout à l’autre et
de chaque coté de la porte ; on les retrouve encore dans les escaliers avec la
meme élévation, qui est de cinq décimètres (4). A l’exception de quelques 'irrégularités
qu on a vues dans 1 appareil, le même soin se montre par-tout (y) ; toutes
les arêtes sont également vives, et les joints parfaitement fermés, bien qu’ils soient
(1) On a explique cette espèce de sculpture Égyp- remarquer du moins que les deux étages du bas n’auraient
ICni’ e ans e c laPltre • » S- IV. pas été éclairés: car on n’aperçoit à cette hauteur aucune
/ ! G H l ! T '™ o ’ S' VIU' ouverture à la muraille, soit en dedans, soit en dehors,
' 13) voyez planche jz . Pocockc suppose six étages de comme on en voit aux autres.
.chambres. II est possible qu’il y en eût effectivement (4) Dix-huit pouces et demi,
p iis e quatre . mais on ne les a pas vus, peut-être à (5) On a observé quelques dés qui ne sont pas à-plomb
cause de I encombrement des parties inférieures. Je doute de leurs chapiteaux, et quelques inégalités dans le dia-
que Pococke y ait pu réussir mieux que nous ; c’est mètre des colonnes,
probablement .l’analogie qui l’aura déterminé. II faut