commode et d’un plus grand effet : comme la pression que les coins exercent contre
les parois de l’entaille, se développe d’une manière uniforme et simultanée, le bloc
se détache toujours dans la direction qu’on a tracée; c’est cette méthode que l’on
suit de préférence pour détacher les grandes masses, sur-tout celles qui doivent
conserver certaines formes déterminées. 11 est bien probable que c’est celle qu’auront
suivie les Égyptiens, et nous ne concevons pas comment aucune autre auroit
pu suffire pour détacher des rochers de granit de cent pieds de long, tels que ceux
qui forment les obélisques; la percussion n’auroit jamais pu être instantanée dans
toute la longueur du bloc, et l’on auroit couru risque, en le détachant de la montagne,
de le briser au moins en deux parties.
Les traces semblables à celles de la scie attestent assez que les Égyptiens avoient
l’usage de cet instrument : comme il étoit peu expéditif, ils l’ont rarement employé,
et seulement pour les cas où tout autre moyen les auroit exposés à mutiler
le bloc.
Les traces du rocher où l’on a détaché le colosse, indiquent un procédé bien
plus énergique. Elles peuvent donner lieu à des conjectures variées : mais il me
semble impossible, vu leur régularité et la régularité de la matière, qu’elles aient
été faites par la simple percussion d’outils mis en mouvement immédiatement par
les bras des hommes ; on ne peut se refuser à croire qu’ils avoient des machines
très-puissantes, et capables d’imprimer à l’outil un violent mouvement de percussion.
D’après l’analogie qui règne entre ces stries et celles que l’on retrouve dans
les carrières de grès et de pierre calcaire, il semble assez naturel dé penser que les
Égyptiens, qui commencèrent par couper les matières tendres au moyen de la
'percussion d’un long outil, durent chercher aussi à appliquer cette méthode au
granit; alors ils auroient enlevé entre le colosse-et le rocher une certaine épaisseur
de pierre, qui, cependant ; ne devoit pas excéder quelques doigts : car, si elle
eût été plus forte, l’empreinte laissée sur le rocher n’auroit certainement pas
présenté une surface concave, c’eût été une difficulté sans objet; il eût été plus
naturel et plus facile de faire l’entaille droite du côté du rocher (i).
Exploitation des Colonnes.
L e mode d’exploitation des colonnes, soit qu’il vienne originairement des
Égyptiens, soit, comme il est plus probable, qu’il appartienne aux Grecs, est
au moins remarquable par sa simplicité. On voit, dans la carrière, tous les
fûts arrondis selon une partie seulement de leur circonférence, et dans toute
la longueur de la colonne; et cela résulte évidemment du mode même employé
pour les-détacher de la montagne. Plusieurs voyageurs, en faisant remarquer cette
courbure, ont tâché de l’expliquer. Je trouvai, dit Pococke, dans ces carrières de
Syène, quelques colonnes ébauchées, dont deux côtés étoieot achevés; et cela lui
donna lieu de conjecturer que l’on commençoit par tailler les colonnes tout
autour, avec des outils minces, pour les détacher ensuite avec de gros coins ;
(i). Voye^ la planche 3 2 , A . vol. I , et la description de ce monument dans le chapitre II des Antiquités.
mais ce voyageur, exact dans ses observations, n’est pas toujours heureux dans
ses conjectures; le moyen employé par les anciens étoit bien plus, expéditif, et
s’accordoit mieux avec l’immense quantité de colonnes jadis exploitées.
Après avoir marqué la longueur de la colonne par de profondes entailles à ses
deux extrémités, on pratiquoit dans lapartie supérieure et dans toute l’étendue du
fût, soit une rainure,. soit simplement des entailles à placer les coins; et voilà à
quoi se réduisoit toute l’exploitation proprement dite. Le bloc, en se détachant
de la montagne par l’effort des coins, prenoit de lui-même une surface convexe
du côté par lequel il adhéroit à la roche ; car on conçoit bien que, la rupture
ne pouvoit se prolonger verticalement : elle tendoit à se rapprocher le plus
promptement possible de la paroi antérieure, la seule qui fût libre; ce qui, se
faisant suivant une ligne courbe, offroit une surface concave dans la montagne,
et convexe dans le bloc détaché.
Ce procédé assez prompt, dont on ne fait pas usage chez nous, peut servir à
expliquer pourquoi les Grecs et les Romains, sans se rebuter par la dureté excessive
de la matière, en ont fabriqué une si grande quantité de colonnes. Les
Romains, après avoir emprunté de l’Ëgypte la méthode d’exploiter les granits,
en ont fait usage dans les montagnes de l’Europe, où l’on en trouve encore des
traces. Un naturaliste très-distingué, M. Faujas de Saint-Fond, a fait, près du
Rhin, les mêmes remarques que j’ai faites â Syène; il a observé dans d’anciennes
exploitations des Romains dans la montagne de Falsberg , à quelques lieues de
Mayence, les mêmes procédés pour détacher les colonnes des rochers; et ce n’est
pas la seule analogie que présentent ces exploitations avec celles de l’Égypte. On
voit qu’ici les Romains ont cherché, comme les Égyptiens à Syène, à employer de
préférence les grands blocs détachés, soit à cause de la facilité de l’exploitation,
soit parce que ces blocs se trouvent déjà en quelque sorte éprouvés, et qu’ils
étoient moins sujets à renfermer des joints ou des fentes intérieures.
Nous ne pouvons pas douter que les monolithes d’un volume colossal ne fussent
dégrossis sur les lieux mêmes ; on en voit des exemples dans les carrières, et les
anciens auteurs sont d’accord sur ce point. Ainsi le fameux sanctuaire monolithe
de Sais, l’un des plus immenses fardeaux qu’ait remués la puissance humaine,
non-seulement reçut sa forme extérieure, mais encore fut creusé intérieurement
avant qu’on le séparât du rocher. Ces précautions étoient importantes; car,
malgré cela, il ne put être conduit qu’en deux ans depuis Éléphantine jusqu’au
Delta, et deux mille pilotes ou mariniers furent employés à ce transport.
Les obélisques qu’on ne pouvoit prendre dans les rochers du Nil, offrirent
aussi de grandes difficultés, quoique leur poids fût bien inférieur à celui du monolithe
de Sais; le point embarrassant n’étoit pas seulement de les détacher de la
carrière, mais de les transporter et de les dresser sur leur base. Suivant Pline, on
n’employa pas moins de vingt mille hommes pour le transport d’un seul obélisque.
11 y a évidemment là de l’exagération; car l’on ne sauroit concevoir un si grand
nombre d’hommes appliqués à un même monument : j'avouerai, du reste, que les
forces réunies de vingt mille hommes seroient à peine suffisantes, si l’on ne faisoit
A. d . B l