
cest-à-dire, dans une étendue de deux mille mètres (i), on suit une avenue qui a dû
contenir plus de six cents sphinx. On trouve à droite, et presque tout le long de
cette allée, une suite de monticules de décombres qui semblent unir ces lieux
rémarcjuabies.
Pénétrons maintenant au milieu des ruines qui s’annoncent par une avenue
si imposante. Il est difficile d’abord de ne point admirer la richesse du paysage,
le contraste de ces chétives chaumières et de ces grands monumens, les effets
varies de ces touffes de palmiers qui forment des groupes si pittoresques avec
les ruines, la verdure éclatante des arbres en opposition avec le ton brillant de
1 architecture. Une multitude de monticules de décombres répandus par-tout, et
de hauteurs différentes, changent pour le spectateur les points de vue, et lui présentent,
a chaque pas, des aspects nouveaux, qui ont tous un intérêt particulier.
A 1 extrémité septentrionale de l’avenue de sphinx, et sur la droite, sont de
grandes enceintes en briques crues, où l’on remarque des restes de portes de
temples et de palais, des débris épars de colosses renversés, des statues assises,
en granit noir, entassées avec profusion dans un même lieu, de vastes bassins où
arrivent encore par infiltration les eaux du Nil lors de l’inondation.
De 1 allée de sphinx dirigée sur Louqsor, on passe, en déviant un peu sur la
gauche, dans une avenue plus large, formée toute entière de beliers accroupis, élevés
sur des piédestaux, et à 1 extrémité de laquelle est une porte triomphale de la proportion
la plus élégante. Toutes ces constructions précèdent un temple qui porte
dans toutes ses parties l’empreinte de la plus grande vétusté, et cependant il est
construit avec des débris d’autres monumens. On admire les grandes et belles lignes
de son architecture, et les effets remarquables de.lumière que produit son portique à
jour. Il ne faut pas s attendre à y trouver les formes sveltes et élégantes des édifices
Grecs : ses colonnes ont peu d’élévation ; mais leur proportion même donne à
1 édifice un caractère d’austérité qui en fait le mérite. L ’obscurité qui règne dans
tout l’intérieur de ce temple, est autant produite par la privation des rayons directs
du soleil, que par la couleur noirâtre des murs : elle augmente l’effet de J’architec-
tuie massive du monument. Quel contraste frappant entre cet édifice et le petit
temple d Isis qui en est tout voisin ! au ton brillant de la pierre dont celui-ci est
bati, on diroit quil sort des mains de l’ouvrier; et cependant, que de siècles se
sont écoulés depuis sa construction! Le vieux temple a des sculptures qui semblent
nannoncer que 1 enfance de lart : le temple d’Isis, au contraire, a des bas-reliefs
d’une exécution parfaite.
La richesse de la perspective qu’offrent ces monumens, est augmentée par la
vue d’autres ruines plus importantes, qui forment le fond du tableau, et que nous
avons encore à parcourir. C’est au nord-est que se trouve un des chemins qui y
conduisent. Les anciens Égyptiens semblent avoir épuisé ici toutes les ressources
de la magnificence : en effet, on arrive de ce côté au palais par une longue
avenue des plus gros sphinx qui existent dans toutes ies ruines de l’Égypte ; elle
( 0 Mille vingt-six toises.
précède des propylées formés d’une suite de pylônes au-devant desquels sont des
statues colossales, dont les unes sont assises et les autres debout. Ces constructions
ne se recommandent pas seulement par la grandeur de leurs dimensions, elles se
font remarquer encore par la variété des matériaux précieux qui y sont employés.
Une espèce de pierre calcaire, compacte comme le marbre, un grès siliceux, mélangé
de couleurs variées, les beaux granits rose et noir de Syène, ont été mis en
oeuvre pour les statues. La porte du premier pylône est elle-même toute entière
en granit, et couverte de sculptures exécutées avec une perfection qu’on ne retrouve
que dans les obélisques. Tous ces pylônes ont des axes différens'; ils n’ont ni la
même épaisseur ni la même étendue ; ils ont en outre éprouvé de grandes dégradations,
et cependant ils produisent encore l’effet le plus imposant, et l’on est
forcé de reconnoître qu’ils annoncent d’une manière tout-à-fait majestueuse le vaste
monument auquel ils conduisent. Le palais de Karnak, vu de ce côté, ne présente
que l’image d’un bouleversement général, et l’on ne peut distinguer, au premier
abord, si ce que l’on voit est une suite continue de constructions régulières. A travers
ces vastes ruines, on n’aperçoit que des fragmens d’architecture, des troncs de
colonnes brisées, des statues colossales mutilées, des obélisques renversés, d’autres
qui s’élèvent encore majestueusement sur leur base, des salles immenses dont les
plafonds sont soutenus par une forêt de colonnes, des pylônes et des portes qui surpassent
en hauteur toutes les constructions de ce genre dont nous avons déjà parlé.
La confusion est telle, que le spectateur, impatient et agité, tourne tout autour de
cet immense édifice pour chercher à le comprendre. Il faut se placer à son extrémité
nord-ouest, pour mieux reconnoître toutes les parties qui le constituent : c’est
aussi le point de vue le plus favorable pour embrasser d’un seul coup-d’oeil tout
l’ensemble des ruines de Karnak.
C’est par l’entrée qui regarde l’ouest, qu’il faut pénétrer dans le palais, pour se
rendre compte de,la disposition dé son plan. Un premier pylône,qui paroît n’avoir
jamais été achevé, forme cette entrée : en passant sous la porte, on est vivement
frappé de la richesse et de la variété des objets que l oir aperçoit ; on admire surtout
ces longues avenues de colonnes, ces enfilades de portes, de pylônes, de salles
successives, qui ont toutes le même axe, et dont les dernières sont tellement éloignées,
quelles se dérobent,pour ainsi dire, à la vue du spectateur. Nous devons
toutefois convenir que la première impression que l’on éprouve à l’aspect de l’architecture
du palais, ne satisfait pas la vue : le talus des pylônes est exagéré, et
choque d’autant plus, qu’il paroît être la cause de leur destruction; les colonnes,
les chapiteaux, présentent, dans leurs décorations, des formes auxquelles l’oeil n’est
pas habitué ; les hiéroglyphes et les ornemens ne semblent point exécutés avec
fermeté : voilà ce que l’on prend pour des défauts, qu’augmente encore la fatigue
dont on se sent accablé à la seule pensée de démêler quelque chose dans un ensemble
qui paroît un véritable chaos. Cependant on revient bientôt de cette première
impression défavorable, et les yeux s’accoutument sans effort à la contemplation
d’un spectacle si nouveau et si inattendu. Tout en effet annonce ici la grandeur
et la magnificence royales. Il faut se représenter une première cour, décorée sur les