statue cle Memnon ; mais il a évidemment rapport au colosse du nord. La position
que Pausanias assigne â la statue près des syringes, coïncide fort bien avec la position
du colosse du nord près des grottes magnifiques creusées dans la montagne
Libyque. La statue de Memnon n’avoit poin t encore été réparée au temps de Pausanias.
Cet auteur en attribue la destruction à Cambyse, tandis que Strabon a
recours à un tremblement dé terre pour en expliquer le renversement. L ’un et
l’autre ont rapporté probablement Ge qu’ils ont entendu dire : cependant il faut
convenir que, dans un lieu où tout rappelle l’animosité et la fureur de Cambyse,
l’opinion la plus probable est celle qui attribue à ce conquérant destructeur la
mutilation du colosse ; on doit même croire qu’il aura été singulièrement favorisé
dans.cette entreprise par la grande inclinaison (i) de la statue, dont la partie
supérieure se sera détachée de la partie inférieure, à peu près comme un rocher
suspendu se détache de la montagne, lorsque quelques travaux préliminaires en
ont préparé la chute. On ne retrouve plus sur les lieux aucun vestige de la partie
supérieure de la statue, que Pausanias a vue gisante auprès de son piédestal : probablement
elle aura été exploitée pour fane des meules de moulin, comme il
arrive encore aujourd’hui à de gros blocs de granit dispersés au milieu des ruines.
Le reste de ces exploitations est sans doute enveloppé maintenant sous les dépôts
du Nil.
Lucien ne nous fournit aucun détail nouveau sur l’édifice détruit dont nous
cherchons à étabür l’antique existence ; et l’on ne saurait même de quelle statue il
a voulu parler, si d’autres témoignages et nos propres observations ne nous l’indi-
quoient suffisamment. En effet, Lucien (2) fait dire à Eucrates, l’un de ses interlocuteurs,
dans le dialogue intitulé Philopseudes, qu’il n’a point entendu le son de la
/statue comme l’entend le vulgaire, c’est-à-dire, un vain son ; mais que Memnon,
en ouvrant la bouche, a articulé sept vers, qu’il rapporteroit, si cela n’étoit superflu.
Il est inutile de faire remarquer l’exagération qui règne en général dans cette
narration, et qui frappera tout le monde. Cependant ce témoignage mérite de
fixer l’attention, en ce qu’il prouve qu’au temps de Lucien la statue de Memnon
faisoit encore entendre sa voix miraculeuse, et qu’on peut en inférer qu’alors elle
avoit été rebâtie dans l’état où nous l’avons trouvée, puisque, dans son langage
exagéré et merveilleux, Lucien suppose qu’elle a ouvert la bouche pour rendre des
oracles. Mais, d’ailleurs, cette dernière conséquence va trouver un appui bien plus
solide dans le témoignage de Philostrate, le seul qu’il nous reste à examiner.
Philostrate, postérieur à Lucien d’à peu près un demi-siècle, est, comme l’on
sait, l’historien de la vie d’Apollonius de Tyane. Il raconte fort en détail les
voyages de ce célèbre philosophe. Il nous le montre parcourant la haute Egypte,
suivi de ses disciples, au nombre desquels il compte un certain Damis, dont il
semble ne transmettre que les récits. Tandis qu’Apollonius s’avance vers l’ancienne
capitale de l’Egypte, il est joint par un Égyptien, nommé Timasion, de la vie
duquel il raconte plusieurs circonstances à ses disciples, sans cependant l’avoir
jamais connu. « C’est avec un tel guide qu’Apollonius et Damis arrivent au temple
(1) Voyez ce que nous avons dit ci-dessus, pag. Si. (2) Voyez les citations n.°• v u et VIII, p• uy et 118,
de Memnon (1). D ’après ce que rapporte Damis, Memnon étoit fils de l’Aurore.
Il n’est point mort à Troie, où il estmême'constant qu’il n’est jamais allé; mais
il est mort en Ethiopie, où il a régné durant cinq générations. Cependant fes
Éthiopiens eux-mêmes, parce qu’ils ont une longévité beaucoup plus grande
que les autres hommes, pleurent Memnon comme s’il avoit péri encore jeune
et qu’il eût été enlevé par une mort prématurée. Le lieu où l’on voit sa statue,
ressemble à un ancien forum, tel qu’on en voit dans les villes les plus anciennement
habitées, où l’on trouve encore des fragmens de colonnes, des vestiges
de murailles, des chambranles de portes, et des statues de Mercure, dont une
partie est tombée de vétusté, et l’autre partie a été détruite par la main des
hommes. La statue de Memnon est représentée sous la figure d’un adolescent
encore imberbe : elle est exposée aux rayons du soleil levant. Elle est de pierre
noire. Les deux pieds sont réunis, comme cela se pratiquoit au temps de
Dédale. Les mains étendues sont appuyées sur Je siège, et elle est assise dans
l’attitude d’un homme qui se dispose à se lever. A voir sa figure, l’expression
de ses yeux et de sa bouche, on dirait qu’elle va parler. Jusque-là Apollonius et
ses compagnons de voyage n’avoient manifesté qu’une foible admiration, parce
qu’ils ne connoissoient point encore tout le mérite de la statue : mais ils furent
frappiés d’étonnement lorsque les premiers rayons du soleil vinrent à l’atteindre ;
car elle rendit des sons ; ses yeux parurent exprimer la joie de revoir la lumière f
comme ceux des hommes qui l’aiment et la recherchent le plus. Apollonius et
ses compagnons de yoyage rapportent qu’ils comprirent alors que la statue pa-
roissoit vouloir se lever devant le soleil, comme ont coutume de faire ceux qui
croient honorer mieux la divinité en restant debout devant elle. Ils offrirent
donc des sacrifices au Soleil Ethiopien et à Memnon Eous; car c’est ainsi que
les prêtres nomment ces divinités, la première, de la qualité qu’elle a de brûler
et d’échauffer, et la seconde, du nom de l’Aurore sa mère. Ils se rendirent
ensuite, portés sur des chameaux, vers le pays des Gymnosophistes. »
Ce témoignage de Phîlostrate, le dernier de ceux qu’on peut regarder comme
appartenant à une antiquité reculée, est infiniment précieux. En le dépouillant de
tout le merveilleux dont le récit est orné, il constate’, d’une manière certaine, que-
la statue de Memnon étoit dans un temple dont on ne voyoit plus, à l’époque
du voyage d’Apollonius, que quelques troncs de colonnés, des vestiges de salles,
dès chambranles de portes, et des débris de statues de Mercure. Cette énumération
de ruines n’étoit pas de nature à embellir un récit ; et l’on doit croire que
si l’auteur l’a faite, ce n’est point l’amour du merveilleux qui l’y a déterminé.
Tout, en ce point, porte donc le cachet de la vérité. Mais quelles circonstances
peuvent mieux convenir à l’état actuel dés choses, aux débris que nous avons
encore reconnus sur les lieux mêmes 1 N’avons-nous pas retrouvé ces restes de
colonnes dont parle notre auteur! Et ces statues de Mercure, partie tombées de
vétusté et partie détruites par la main des hommes, peuvent-elles être autre chose
que ces colosses dans l’action de marcher, dont nous avons parlé! On ne trouve
( i ). Voyez la citation n.° IX rpag. riS.
A . D . N *