
toutefois que nous voulions refuser aux Grecs ia justice qui leur est due ! imitateurs
heureux, ils ont cadié avec infiniment d’art les larcins qu’ils ont fàits aux Egyptiens ;
leurs imitations sont de véritables inventions, et doivent être considérées comme
j’oeuvre du génie. Mais | de ce que l’architecture Grecque a des beautés que 1 empire
de l’habitude exagère encore à nos yeux, s’ensuit-il que l’architecture Égyptienne en
soit totalement dépourvue! Et ces colonnes si élevées et si nombreuses que Strabon
semble dédaigner, leur belle ordonnance et leur décoration toute significative ne
produisent-elles pas, sur le spectateur, de vives impressions auxquelles il est impossible
de résister! L ’architecture Grecque et l’architecture Egyptienne ont chacune
un mérite indépendant et qui ne peut se comparer; elles ont employé, lune
et l’autre, des moyens différens pour remplir des convenances qui n etoient point
les mêmes. Un temple Grec à Thèbes eût été aussi déplacé qu’un temple Egyptien
à Athènes ; ni l’un ni l’autre de ces édifices n’eût été en rapport avec les institutions,
les moeurs et les usages civils et religieux des deux peuples. Pour porter un
jugement sain dans une pareille matière, il faut être tout-à-fait en garde contre
les préjugés de l’habitude; car, s’il est constant qu’elle exerce en général sur nos sens
un empire absolu, c’est sur-tout dans les arts qu’on s’aperçoit plus particulièrement
encore de son influence. Telle chose ne nous paroît souvent bien que
par l’habitude que nous avons de la voir sous des formes déterminées; et quant à
l’objet qui nous occupe maintenant, nous pouvons citer à 1 appui de ce que nous
avançons, notre propre expérience. Après avoir parcouru et étudie, pendant huit
mois consécutifs, tous les monumens de la haute Égypte, après nous être familiarisés,
pour ainsi dire, ave'c les idées de grandeur, de solidité et de magnificence
qui ont présidé à l’exécution des édifices Égyptiens, nous abordâmes à Antinoé,
ville bâtie par l’empereur Adrien, où tout ce qui subsiste encore a été construit
dans le style de l’architecture des Grecs : nous aurions peine a rendre 1 espèce
d’impression fâcheuse que ces monumens firent d’abord sur nous. Ces colonnes
d’ordre Corinthien, d’une proportion si élégante, nous semblèrent maigres, greles
et sans apparence de solidité ; leur chapiteau, si riche et admiré à si juste titre,
nous parut présenter dans son plan une complication sans motif. Il nous fallut
quelque temps pour revenu- à nos anciennes habitudes et à nos premiers goûts.
■Il suit de là qu’on ne doit peut-être pas plus accuser l’architecture Egyptienne de
manquer d’élégance, que reprocher à l’architecture Grecque de manquer de solidité
: ces deux architectures satisfont également aux convenances générales ; toutes
deux remplissent également le but que leurs inventeurs se sont proposé; toutes
deux sont le résultat de l’influence du climat qui les a vues naître, et des habitudes
des peuples chez lesquels elles ont été en honneur! L ’architecture Grecque réunit au
plus haut degré l’élégance et la beauté des proportions; l'architecture Égyptienne,
sans être toutefois dépourvue d’une certaine élégance, montre par-tout une noble
simplicité, et une grandeur qui remplit l’esprit. On a vraiment peine à concevoir
comment a pu s’établir l’opinion que l’architecture Égyptienne n est que le résultat de
l’art au berceau, tandis qu’au contraire elle est le produit d un art arrivé presque au
dernier degré de la perfection. Il ne viendra sans doute à l’esprit de qui que ce soit,
de reprocher aux Égyptiens la solidité qui constitue leurs monumens, puisque c’est
à cette solidité même , sans doute prévue et calculée , que nous devons de les
admirer encore aujourd’hui. Si l’on vient à comparer sous ce rapport les Grecs aux
Égyptiens, qu’on les trouvera loin de posséder l’art de braver, dans leurs constructions,
les efforts du temps ! Sur ce même sol de l’Égypte, soumis à l’influence d’un
elhnat si propice à la conservation des monumens, les Grecs ont élevé de grands
édifices, des villes tout entières ; mais ce seroit en vain qu’aujourd’hui l’on eii chercherait
quelques traces, que l’on voudrait même en assigner l’emplacement.
On sait que les Grecs ont emprunté leur mythologie de la religion Égyptienne ;
mais combien leur imagination vive et brillante, et l’influence d’un heureux climat,
n’ont-elles pas modifié ces emprunts ! Il en est de même de ceux qu’ils ont faits
à l’architecture Égyptienne. Il n’est point de notre sujet d’en donner ici le développement.
Nous ferons seulement observer que la dissemblance qui existe entre
les monumens de la Grèce et ceux de l’Égypte, est due sur-tout à la différence des
climats où les uns et les autres ont été construits, et au caractère particulier des
peuples cpii les ont élevés. Les Grecs ont développé dans leurs édifices le charme,
la grâce et le goût dont ils avoient le sentiment à un si haut degré ; les Égyptiens
montrent par-tout une sévérité de formes qui paroît être le résultat nécessaire d’un
caractère naturellement sérieux et porté à la mélancolie par l’influence du climat :
car ce n’est point un effet chimérique que cette influence du climat et du sol d’un
pays sur l’humeur de ses habitans; dans aucun lieu du monde, elle n’est peut-être
aussi sensible qu’en Égypte. En effet, où trouvera-t-on moins de variété dans les
phénomènes de la nature! Où trouvera-t-on un ciel plus, pur et plus constamment
beau, des montagnes plus sèches et plus arides, auxquelles le temps, qui détruit
tout, n’apporte aucun changement! Où trouvera-t-on un pays circonscrit de toutes
parts par des déserts plus affreux! Quoi de plus monotone en général que les sites
de l’Égypte! Ce sont toujours des villages semblables, élevés sur des buttes factices
entourées de palmiers. L ’aspect change pourtant, une fois dans l’année, vers le
temps de l’inondation : alors tous ces villages, au moins dans la basse Égypte,
semblent être des îles qui s’élèvent du sein d’une mer immense. Sans doute le spectacle
qu’ils présentent alors est imposant et magnifique ; on se livre d’abord au
plaisir d’en jouir; mais l’uniformité du spectacle finit par devenir fatigante. Les
siècles n’ont pas modifié cet état de choses ; ce qui arrive actuellement se passoit
de même dans la plus haute antiquité; et, s’il est vrai que, par suite de l’influence
du climat, les habitans modernes de l’Égypte soient naturellement sérieux et enclins
à la tristesse et à la mélancolie, on peut en conclure qu’il en. étoit ainsi des
anciens Égyptiens. Peut-on croire, en effet, que des causes naturelles aussi prononcées
ne produisent point constamment les mêmes impressions sur le résultat de
la pensée ! Rien ne doit donc surprendre dans l’aspect mâle ‘et sévère de l’architecture
de l’Égypte. Ainsi, de ce que les monumens Égyptiens ont un caractère
différent de celui des monumens Grecs, on n’est point en droit d’en conclure,
comme le fait Strabon, qu’ils sont d’une construction barbare (1).
(1) tjpv nv xaTatnuuijK. Ces expressions pourroient s’appliquer à des constructions mâles .et sévères,