troncs de dattier, et portant leurs habits et leurs.armes sur la tête (i) : ce qui
prouve (pour le dire en passant) que le danger des crocodiles n’est pas tel qu’on
le pense communément; car les crocodiles abondent à'Edfoû.
Ce petit bourg n’étant remarquable que par son commerce de poteries et par
l’avantage d’être le premier lieu, après les cataractes, où l’on trouve abondamment
des vivres, je ne m’arrêterai pas davantage à le décrire: mais c’est un lait digne
d’attention, que toutes les grandes villes de l’ancienne Egypte ont subi le même
sort que celle qui nous occupe et dont il nous reste un si grand monument ;
leur population s’est dissipée ; aux cités qui furent les plus florissantes, à commencer
par Thèbes, Memphis, Héliopolis, rien n’a succédé que des hameaux ou
une solitude absolue.
La ville qui a fleuri au lieu où est Edfoû, a laissé quelques traces de son existence;
mais la tradition ne nous en a conservé presque aucun souvenir, et ce
queil- disent les anciens se réduit à peu de mots. Nous devons aux Grecs qui ont
occupé 1 Egypte, le seul nom que l’antiquité nous en ait conservé : elle fut nommée
par eux la grande ville d’Apollon, Apollinopolis magna ; ce qui la distingue d’Apollinopolis
parva, située à deux myriamètres et demi (2) au-dessous de Thèbes. Mais
cette dénomination et toutes les autres dénominations semblables ne retracent
point les vrais noms antiques des lieux de l’Egypte (3). Les Grecs, qui rapportoient
tout à leur mythologie, voyoient leurs dieux par-tout ; c’est ainsi qu’ils ont distribué,
pour ainsi dire, entre les villes Égyptiennes, presque toutes leurs divinités.
La ville S Apollinopolis magna étoit située, suivant Strabon, entre Latopolis et
Syène, au-dessus de la ville des Eperviers. Pline la met au rang des plus célèbres
villes de la Thébaïde, et il fait mention du nome Apollopolites, auquel elle don-
noit son nom. Elle est désignée sous le nom A'Apollonos superioris dans l’Itinéraire
d’Antonin, à trente-deux milles de Lato ou Latopolis (4), et, dans la Notice
d’Hiérocles , sous le nom d’Apollonias , entre Latopolis et Ombos (y). Enfin ,
dans la Notice de l’Empire, elle est indiquée sous le même nom que dans l’Itinéraire
d’Antonin, et placée entre Syène et Contra-Lato.
Toutes ces positions conviennent fort bien à Edfoû; la distance marquée dans
l’Itinéraire s’y rapporte avec une précision remarquable. Les trente-deux milles
reviennent à 47,400 mètres (6) : c’est effectivement la distance exacte d’Edfoû à
Esné, l’ancienne Latopolis (7).
Ptolémée, dans sa Géographie , place Apollinopolis magna par les 24° 4o''de
latitude. Toutes ses latitudes étoient calculées à partir de Syène : or, il supposoit
Syène sous le tropique, c’est-à-dire, à 2 30 yd de latitude; obliquité qui s’attribuoit
(1) Les Abâbdeh affluent dans la Thébaïde, particu- Théodosienne , on trouve écrit Tentyra, entre Ombos
Iièrement près de Syène. (Voyc^, dans le Mémoire de et Lato; il faut lire Apollinopolis. Les distances mar-
M. du Bois-Aymé, déplus grands détails sur \es Abâbdeh.) quées sont d’ailleurs fort défectueuses.
(2) Cinq lieues. (5) Le texte porte AdUtor et "OpCçpi.
(3) J e nt‘ ferai pas ici la recherche de l’ancien nom (6) Dans un Mémoire sur le système métrique des anciens
d’Edfoû : ce point sera traité dans un travail général sur Égyptiens, je donne une évaluation précise du mille de
la géographie comparée. l’Itinéraire.
(4) Dans la Table de Peutinger, vulgairement appelée (7) Kçyeg la carte d’Égypte.
de son temps à l’écliptique : mais, comme la latitude de Syène est de 24° y' 23",
c’est environ iy ' qu’il faudrait ajouter à la latitude d’Apollinopolis donnée par
Ptolémée. Son observation ne différerait alors que de trois à quatre minutes de
la plus récente ; or on sait qu’une différence de quatre minutes, pour les positions
géographiques de Ptolémée, est de peu d’importance.
Il n’y a donc aucun doute que l’ancienne Apollinopolis magna n’ait existé au lieu
même où est aujourd’hui le village d’Edfoû ; ce fait avoit été jusqu’ici supposé
plutôt que prouvé par les géographes. Au temps d’Adrien, cette ville avoit encore
assez d’importance pour qu’on y eût frappé une médaille en l’honneur de cet empereur,
sous le nom des habitans du nome Al Apollinopolis : elle est de l’an onzième
d’Adrien, et représente, d’un côté, la tête du prince, ceinte de lauriers; de
l’autre, la figure d’Apollon un arc à la main (1); Mais, vers-la fin du quatrième
siècle , à l’époque où Ammien Marcellin composa son histoire, cette cité étoit
déchue de son rang, et les trois principales villes de la Thébaïde étoient Coptos,
Hermopolis et Antinoé (2).
Hérodote n’a pas connu la ville d’Apollinopolis, ou a négligé d’en frire mention.
On s'étonnerait qu’il eût passé sous silence un temple aussi ancien et aussi important
que celui d’Edfoû, si l’on ne savoit qu’il a également omis de parler des
temples magnifiques de Philæ, de Tentyra, de Latopolis et d’Ombos : de toute
la Thébaïde, Hérodote ne paraît avoir connu que Thèbes, bien qu’il dise être
allé jusqu’à Éléphantïne ; et sa description de l’Egypte n’est véritablement complète
que pour le Delta et le pays inférieur. Diodore de Sicile ne fait non plus aucune
mention du temple qu’on voit à Edfoû. Il a fellu que les armes Romaines assujettissent
tous les bords du Nil, pour que l’Egypte fut connue ou du moins visitée
d’un bout à l’autre; tant ce dernier peuple avoit opposé de barrières à la curiosité
des étrangers, et tant les moeurs nationales avojent conservé d’empire , lors même
que les institutions n’étoient plus.
L’état où est tombée l’Egypte sous le Bas-Empire et sous les Arabes, a enfin
permis de l'explorer toute entière. Depuis la renaissance des lettres, l’Europe savante
y a frit passer une foule de voyageurs; mais une autre religion, d’autres moeurs
non moins intolérantes que les anciennes, avoient toujours mis obstacle aux
découvertes, jusqua ce qu’un peuple aussi puissant que les Romains envoyât sur
les rives du Nil une armée d’élite,. accompagnée d’observateurs qui ont porté
leurs pas jusque dans les parties les plus secrètes et les plus reculées du pays.
Alors la Tbebaïde a offert,a leurs regards des merveilles presque inconnues; les
conjectures des. savans et des écrivains les plus illustres ont été confirmées, leurs
espérances justifiées, et leurs voeux accomplis (3). Peut-être les monumens d’Edfoû
sont-ils une des conquêtes les plus précieuses de cette expédition littéraire.
Le village d Edfou renferme deux anciens édifices d’une proportion bien différente,
mais tous deux si bien conservés, qu’on en donnerait une idée frusse en
(1) Voye^ (Histoire des Ptolémées, par Vaillant. selle; RoIIin, Histoire ancienne; d’Anville et la Nauze,
(2) Ammien Marcellin, Paris, 1681 , /. x x n , p .340. Mémoires de l’Académie des inscriptions, tome X L Î Î l ,
(3) Voyez Bossuet, Discours sur l’histoire univer- in-12.
A , D . A i