sont- tout ce qui en subsiste encore (i). Dans quelques endroits, on voit les fondations
du mur latéral qui, avec les colonnes dont nous venons de parler, for-
moit une galerie. Il en existoit indubitablement une semblable à droite, mais
il n’en reste plus de traces. La largeur de la cour est de plus de cinquante-deux
mètres (2).
Cette cour est remplie de tant de débris de granit, qu on se croit transporté
au milieu d une carrière ; ils sont epars dans un rayon de plus de vingt mètres (z\ ■
ce sont les restes d’un colosse énorme, dont on ne trouve plus réunis que la tête,
la poitrine, et les bras jusqu’au coude. Un autre bloc qui contient le reste du corps
et les cuisses, est tout voisin de celui-là, et n’en a été détaché qu’à force de coins ;
ce dont on ne peut douter à la vue des entailles qui orït été pratiquées pour les introduire.
La tête du colosse a conservé sa forme : on y distingue très-bien les orne-
mens de la coiffure; mais la face est tout-à-fait mutilée. Parmi les débris dispersés,
on retrouve le pied et la main gauches. Des mesures prises avec beaucoup de soin
offrent les résultats suivans :
L o n g u e u r d e l’o r è i lle ............................... ........................................... [ 3 * »»0]
D ’une o re ille à l ’a u t r e , e n p a ssan t su r la f a c e ................................................... 2 . 0 8 . [ 6di 4 ° ]
D ’u n e é p au le à l ’au tre , e n p a ssan t sur la p o it r in e ............................................... 7 . 1 1 . [ 2 1 * 1 1 ° ]
D ’u n e é p au le à l’a u t r e , e n lig n e d ro ite ........................................................................ 6 . 8 4 . [ a i * 1* //]
D e la jo in tu re d e f ép au le au p ii d u c o u d e ................................................................. 3 * 9 0 . [ 1 z*‘ // ]
C o n t o u r du b ra s au p li d u cou d e .................................................................................. 5 * 3 3 * [ 1 6 di ¿ “ J
D iam è tre d u b ras en tre le cou d e e t l ’é p a u le ..................................................... 1 . 4 6 . £ 4 * <$°j
L o n g u e u r d e l’i n d e x ................................................................. , - 0 0 _ £ , ,'o j
L o n g u e u r de l ’o n g le d u g ran d d o ig t d e la m a in ...........................'....................... o . 1 9 . [ « 7 ° ]
L a r g e u r du m êm e .................................................................... ô . 1 5 . [ ¡,'
L a r g e u r d é v e lo p p é e d u p ie d , d epu is l ’a rticula tion d u p o u c e jusqu ’à
ce lle d u p e t it d o ig t ................... .. ........................................... } ..................................... r . 4 L [ 4 * 4 - ]
Ce colosse est renversé dans la direction nord et sud, et sa tête touche l’endroit
où existoit la porte du pylône formant l’entrée du péristyle suivant. Le piédestal
de cette statue est encore en place. Il est orné, à sa partie supérieure, d’une ligne
d hiéroglyphes où l’on remarque des couteaux, des demi - cercles, et des figures
d oiseaux et d animaux. Il est adosse a la muraille du fond ; il a onze mètres soixante-
dix centièmes (4) de longueur, et une largeur à peu près moindre de moitié. La statue
et son piédestal sont tout entiers de beau granit rose de Syène. Le poli de la
matière est d un fini précieux, que 1 on ne s attend point à trouver dans une aussi
grande etendue et sur une roche aussi dure. D après les proportions qui résultent des
mesures que nous venons de rapporter, il est très-vraisemblable que ce colosse assis
ne devoit pas avoir moins de dix-sept mètres et demi (y) de hauteur, depuis le
sommet de la tête jusquà la plante des pieds. Il pesoit plus de deux millions de
i*) PH f c Ia fS - 1 . f la n c h a ? , A . vol. I l , et l’ex- (3) Soixante pierfj.
V a c a t io n d e c e t t e p la n c h e . ( 4 ) S i ï to i s e s e „ v ir o n
(a) Vingt-cinq toises trois pieds six pouces. (5) Cinquante-quatre pieds à peu prés.
C H A P I T R E IX. S É C T IO N I I I . 1 2 C
livres (1). Où trouvera-t-on plus de sujet d’admirer le goût des Égyptiens pour
tout ce qui est grand, et ce penchant irrésistible qu’ils paraissent. avoir eu pour
vaincre des difficultés! On ne sait vraiment de quoi l’on doit le plus s’étonner,
ou de la patience qu’il a fallu pour façonner en statue un si énorme bloc et lui
donner un poli parfait, ou de l’art merveilleux et des moyens mécaniques extraordinaires
qu’on â dû mettre en usage pour déplacer une aussi lourde masse.
Les traces de l’extraction de ce colosse ont été reconnues dans les carrières de
Syène (2) : c’est donc de quarante-cinq lieues de l’endroit où on le voit maintenant
qu’il a été amené ; et l’on auroit peine à concevoir la possibilité de ce transport, si
le fleuve, en même temps qu’il répandoit la fertilité sur toutes les plaines de
i’Égypte, n’avoit secondé les anciens Égyptiens dans cette entreprise audacieuse.
On conçoit en effet que, pour transporter cette masse, on a pu d’abord, par un
chemin uni et consolidé à dessein, la tramer sur des rouleaux, dans le court espace
qui séparait les carrières, du Nil, ou d’un canal dérivé tout exprès du fleuve. Là, un
radeau chargé d’un poids au moins égal à celui du colosse aura été introduit sous
•l’énorme statue, posée en travers du canah étant déchargé successivement, il a dû
s’élever peu à peu au-dessus du niveau des eaux, et bientôt atteindre et soulever
avec facilité cette masse prodigieuse. C’est par un procédé semblable, qu’au rapport
de Callisthène, cité par Pline, on transporta, sous le règne de Ptolémée-Philâ-
delphe.un obélisque de quatre-vingts coudées, que Nectanébis avoit autrefois fait
tailler dans les carrières de Syène. Le colosse, placé sur le radeau, voguoit sur le
Nil dans le temps des hautes eaux. Plusieurs années ont pu être employées à ce
transport; car la constance des Égyptiens, leur résolution ferme et inébranlable,
ne se laissoient point rebuter par les difficultés qui pouvoient se lever avec le temps.
La statue, arrivée, par le moyen du fleuve, jusqu’à la hauteur du lieu de sa destination,
dut être introduite dans un canal dérivé tout exprès du Nil, jusqu’à l’endroit
où elle fut érigée.
Rien ne peut nous indiquer les moyens que les Égyptiens ont mis en usage pour
élever et remuer, pour ainsi dire, à leur gré, ces masses énormes amenées de
si loin. On est naturellement conduit à supposer que ces moyens leur étoient
fournis par une mécanique perfectionnée ; mais nulle part ils ne les ont représentés
sur les monumens, et nous n’en connoîtrons'probablement jamais que les éton-
nans résultats. Les procédés pratiqués, dans les temps modernes, pour élever ces
fameux obélisques apportés d’Égypte, qui font encore aujourd’hui un des plus beaux
ornemens de Rome, ne peuvent donner qu’une idée imparfaite de ceux dont les
anciens Égyptiens faisoient usage : ces derniers mettoient sûrement, dans l’emploi
des forces, 1 économie et la réserve qui étoient les résultats d’une longue expérience
et d’une grande habitude de remuer de pareilles masses; on peut même présumer,
avec assez de vraisemblance, qu’ils cherchoient des points d’appui, non pas
dans des échafaudages en charpente, dont la construction auroit été presque
( 1 ) Ce colosse contient 4 12 niètres cubes, équivalens à 1 1965 pieds cubes; ce qui produit un poids
de 2 225 5 10 livres, à raison de 1 86.livres pour le poids du pied cube de granit.
(2) Voye^ la Description de Syène, par M. Joniard, chap. 1 1 , pag. n .