Les murs du sanctuaire sont couverts en dehors et en dedans d’hiéroglyphes
et de figures sculptés, représentant des cérémonies religieuses. L'ensemble de ce
petit monument est aussi pur dans son plan, qu’il est simple dans son exécution.
Le caractère de solidité que les Égyptiens ont imprimé à tous leurs ouvrages,
se montre encore ici dans le talus des murs du sanctuaire, et aussi dans l’épaisseur
qu on leur a donnée pour un aussi petit édifice, si l’on compare cette dimension
avec leur hauteur et leur peu d’étendue, Ces murs sont bâtis, comme ceux
des grands monumens, en grosses pierres de taille.
Parmi toutes ces ruines, où reconnoître le temple de Lucine! On sait que
cette déesse présidoit aux accouchemens, et que c’étoit Junon, que les Latins
adoroient sous ce nom, et les Grecs sous celui à’EUmhyia : mais on ne retrouve
i c i aucun de ses attributs; et il est plus naturel de penser que son temple étoit
Je grand monument placé au centre de la ville consacrée à cette divinité, et dont
elle portoit le nom.
En s approchant de la chaîne Arabique vers le nord et près du village d’cl-
Mahammed, on s’aperçoit que cette grande masse (i) qu’on avoit prise d’abord
pour une porte colossale, n’est qu’un rocher distinct du corps de la montagne,
et dont on a exploité le pourtour et le centre, pour en tirer de la pierre qui a
vraisemblablement servi à la construction des édifices que nous venons de parcourir.
Cette exploitation a été conduite de manière que le grand rocher saille
de tous côtés perpendiculairement au niveau de la plaine. On a ensuite vidé
1 intérieur,^ et ménagé deux énormes pieds-droits, pour supporter les parties supérieures
quon ne pouvoit extraire facilement. On a encore conservé dans le
milieu un fort pilier pour soutenir davantage le ciel. Les formes régulières de
chaque partie, celle de la masse en général, et les effets du jour qui la traverse,
lui donnent, aux yeux du voyageur qui parcourt le Nil, l’apparence d’un monument
darchitecture. C ’est cet objet remarquable au loin, qui, lorsque nous
descendions le fleuve, fixa particulièrement notre attention sur cette plaine, où
nous cherchions les ruines tüElethyia, et nous reconnûmes bientôt l’enceinte auprès
de laquelle nous débarquâmes. En s’approchant de plus en plus de cette
masse singulière, l’illusion qu’on avoit éprouvée renaît quelquefois, et le doute
augmente encore à l'aspect des couches ou lits du rocher, qui se trouvent assez
égaux entre eux, parallèles à l’horizon, et par conséquent se correspondent très-
bien d un pied-droit à l’autre.
Après avoir examiné tous les objets que la plaine offfoit à ma curiosité, je
commençai à parcourir la montagne en revenant sur mes pas-; j’y trouvai plusieurs
grottes qui sont indiquées sur le plan général des ruines (2), et parmi lesquelles
on en remarque deux principales. Je fus vivement frappé d’y voir un très-grand
nombre de tableaux de la vie civile des anciens Égyptiens; chose unique jusqu’alors
parmi les ruines de l’Égypte, où nous n’avions trouvé que des temples couverts
de représentations religieuses, ou des palais décorés de scènes militaires. On trouve
(0 V o y e ig ,p l, 6 6,fis . , , a p i (a) Voye^ m , p l. 66, fig. i.
ailleurs, parmi de grands tableaux religieux, quelques détails isolés de la vie
domestique, mais point de description suivie des usages et des procédés des arts,
tandis quon voit ici tous les détails de la culture des grains, le labourage à bras
d’homme ou avec des boeufs, le passage du cylindre sur les sillons, les semailles,
l’emploi de la herse, la moisson, le glanage, le dépiquage du grain sous les pieds
des boeufs, le vannage, l’emmagasinement et l’enregistrement des récoltes (et, par
suite, l’écriture); la pêche au filet et la salaison du poisson; la chasse aux toiles,
et la préparation du gibier pour le conserver; la vendange et le logement des
vins; la méthode encore usitée en Égypte pour faire rafraîchir les boissons; la
rentrée des troupeaux; le chargement des barques, et la navigation à la voile et à la
rame, le pesage des animaux vivans a la vente, et la préparation des viandes; une
offrande domestique (i); l’embaumement et les funérailles des particuliers depuis
leur mort jusquà la translation de leurs corps dans les puits ou caveaux des
momies; enfin la danse et la musique (2). On remarque, presque par-tout, un chef
pour chaque travail particulier. On y voit les femmes mêlées, sans voile, avec les
ouvriers ; ce qui indique assez que l’usage qu’elles ont, en Égypte, de se cacher
le visage, n’avoit pas lieu dans l’antiquité. On voit encore, dans ces tableaux,
la part que les enfàns prenoient dans ces diverses occupations; et l’on y trouve
les costumes de plusieurs classes de la société. Tous ces sujets sont sculptés
dans le rocher, peints de couleurs variées, à teintes plates, et encadrés d’hiéro-
glyphes (3).
A la nouvelle de cette intéressante découverte, qui excita parmi nous un enthousiasme
général, la moitié des membres de la Commission , qui étoit descendue
dans la plaine A’Elethyia, accourut; l’autre moitié, qui s’étoit déjà rendue à Esné
ou Latopolis, distant de sept lieues, remonta le Nil pendant la nuit et se réunit
aux grottes. Tous travaillèrent à recueillir le plus grand nombre possible des tableaux
quelles renfermoient. Je pris des calques de ceux qui ne pouvoient être
dessines, pour servir à compléter la description, ou à donner aux dessins un plus
grand caractère de vérité et d’exactitude. M. Costaz, qui vint immédiatement
après moi dans les grottes, s’occupa à recueillir des observations sur plusieurs de
ces scenes, dont il a déjà donné une description dans le second cahier du troisième
volume de la Décade Égyptienne (4).
Les deux grottes dont il s agit sont taillées dans le roc, ainsi que toutes les
autres. La première est dune forme très-simple, et il y en a peu d’aussi petites
dans le reste de l’Égypte (y) : elle a environ 7m.8 [vingt-quatre pieds] de longueur,
sur 3™. 7 [onze pieds six pouces] de largeur, et son ciel est coupé en voûte
surbaissée. Cet espace est distribué en deux parties ; la première est la seule
ornee de sculptures peintes. Dans le fond, à droite, est une porte (6) qui doit
(1) Voyez pl. 68, et pl. 6g, fig. /, 2 , y , 4, Tout ceci (3) II est vraisemblable que ces inscriptions ont un
se trouve dans la première des deux grottes: le repas et les sens analogue aux tableaux qu’elles entourent,
offrandes que Ion fait au maître du logis, sont les seuls (4) Voye^ le Mémoire de M. Costaz sur les grottes
objets qui aient quelque ressemblance avec les céré- d'Elethyia.
monies religieuses. (j) Voyez pl. 7 t , fig. ¡6 , i7 , 18.
(2) Voyez pl. 7 o et 7 i, Ces sujets se trouvent dans la (6) Voyez même planche. a ,fig , 16.
seconde grotte.