
et l’on ne peut nier qu’ils n’aient eu une idée vraiment grande et sublime en produisant
ainsi des centaines de colosses comme des témoins irrécusables de leur
antique science. Sous quelque rapport que l’on considère les sphinx, on ne peut
s’empêcher de convenir que les Egyptiens n’ont pas exécuté de décoration architecturale
plus significative et qui se rapporte à une plus noble origine. Les peuples
qui leur ont succédé dans la carrière des sciences et des arts, n’ont rien fait de
semblable. L ’astronomie étoit peu familière aux Grecs, et les Romains étoient
encore moins avancés qu’eux dans la connoissance du ciel. Aussi les anciens poètes
qui ont cherché à verser le ridicule sur le culte que l’Égypte paroissoit rendre aux
ànimaux, ont seulement prouvé qu’ils n’en comprenoient point les motifs : ils ont
blâmé les Égyptiens dans des choses qui nous donnent aujourd’hui sujet de les admirer.
En effet, tout ici rappelle le culte dominant à Thèbes, celui de Jupiter Ammon,
du dieu soleil considéré dans le signe du belier. Non-seulement les avenues de
sphinx, mais encore les sculptures des palais et des temples, s’accordent avec les
témoignages des anciens auteurs, tels qu’Hérodote ( i ) , Diodore de Sicile (2),
Strabon (3), S. Clément d’Alexandrie (4 ), et tant d’autres, qui tous nous ont
fait connoître que les Thébéens honoroient le belier d’un culte particulier ; ce qui
ne doit s entendre que du belier céleste, ou plutôt du soleil considéré dans le signe
du zodiaque, dont l’image vivante étoit un belier (j) nourri dans les temples de
Thèbes. On trouve, dans les catacombes, des os de belier conservés en momies; ce
qui est une preuve de plus à ajouter au témoignage des auteurs sur l’objet du culte
des habitans de l’ancienne capitale de TÉgypte.
Pour désigner les sphinx, Hérodote (6) se sert de la dénomination d’andro-
sphinx [¿vS'çjo-tpiyÇ]. Cet historien semble annoncer par-là que les sphinx avoient
des têtes d’homme, et non des têtes de femme, ajustées sur des corps d’animaux;
S. Clément d’Alexandrie dit (7) que les sphinx étoient formés de l’assemblage d’un
corps de lion avec une tête d’homme : il les considère comme indiquant la
reunion de la force et du courage [ ¿Axê y ai tmnoiç, ]. Qu’à une époque récente on
ait attribué ce sens aux sphinx, c’est une assertion que nous n’entreprendrons
point de détruire ; mais aussi il est évident pour nous, qu’en remontant très-haut
dans 1 antiquité, au temps où le zodiaque d’Esné a été sculpté, cet emblème
ne pouvoit pas être interprété de cette manière. D ’ailleurs tous les sphinx à tête
humaine que nous avons observés en Egypte, à l’exception peut-être de celui des
pyramides, ont des têtes de femme, et non des têtes d’homme. Notre observation
se trouve d accord avec le témoignage de quelques anciens auteurs (8). Le
célébré Winckelman ne doute pas non plus que les sphinx Égyptiens ne soient
composés de corps de lion et de têtes de femme.
(1) Herod. Hist. lib. i l , cap. ^ z, pag. 106, ed. 1618. (5) Jablonski, Panth. Ægypt. Iib. i l , cap. 1 1 .
(2) Diod. Sic. Bibl. hist. Iib. 1. * (6) Herod. Hist. Iib. 1 1 , cap. 17 5 , pag. 17 5 , ed. 1618.
(?) Strab. Geograph. lib. X V I I , pag. 8 12 , edit. Paris. (7) Clem. Alex. Stromat. Iib. V , pag. 561 et 567, edit.
1620, in-foli *- Paris. 1629.'
(4) Clem. AIçi. Proîrept. pag. 2.5, edit. 16 29 , in-fol. (8) Ælian. Dern t. animal. Iib. X I I , cap, 7.
A r t i c l e I I I .
De la Porte et du grand Temple du Sud.
D e tous les édifices situés au sud du palais de Karnak, il n’en est pas de mieux
conservés que ceux que nous allons décrire. Le grand temple, et la porte qui le
précède, ont leur entrée tournée vers le sud ; et le voyageur qui, après avoir
visité le magnifique palais de Louqsor, dirige ses pas vers Karnak, les aperçoit
presque en face de lui. Il y arrive directement en suivant l’allée des beliers. C’est
de ce côté que l’aspect de ces édifices est le plus riche et le plus pittoresque ( i ).
La porte du sud n’est point engagée dans les massifs d’un pylône ; elle se fait remarquer
par l’élégance de ses proportions, la richesse et la variété des sculptures
qui la décorent. C’est un exemple très-frappant d’un genre d’architecture que
des préjugés défavorables n’accordent point ordinairement au goût Égyptien. Les
fondations que l’on voit au niveau du sol de part et d’autre, et qui ont la même
épaisseur que la porte, ne s’étendent qu’à sept mètres (2) de distance, et paroissênt
être de simples contre-forts. Sans doute on pourroit objecter que le reste, des fon1
dations du pylône est enfoui sous les décombres : mais nous n’avons rien observé
sur les lieux qui puisse nous le faire soupçonner. Nous aimons mieux croire que
la porte a toujours été isolée, que d’enlever aux Égyptiens le mérite d’avoir construit
un édifice élégant, vers l’imitation duquel on seroit naturellement porté, et
qui d’ailleurs n’est pas sans analogues dans les constructions Égyptiennes. On voit
deux portes semblables à Karnak même, au nord et au sud du palais, et une autre
à Denderah, qui renferme les derniers édifices où les Égyptiens aient joint au
caractère mâle et sévère de leur architecture l’élégance, la richesse et la perfection
des détails. Les murs d’enceinte en briques viennent, dans ce cas, s’appuyer contre
les flancs de la porte ainsi isolée; et c’est ce qui a lieu ici. On ne peut douter en
effet que le mur d’enceinte (3) en briques, qui enveloppe les principaux monu-
mens de Karnak, ne vînt s’arrêter contre la porte du sud, lorsque l’on fait attention
que la profondeur de cette porte est la même que la largeur du mur d’enceinte, et
qu’en outre le plan de ses faces est dans le prolongement des paremens de cette.
enceinte. Cela explique parfaitement pourquoi l’axe de la porte n’est point le même
que celui du temple qu’elle précède; ce qui paroît extrêmement choquant, et dont
on ne se rend pas compte au premier coup-d’oeil. On peut en conclure aussi que
la porte du sud a été construite postérieurement au temple, conséquence qui
résulte encore de l’examen de la construction et de la sculpture des deux édifices.
La porte du sud est divisée intérieurement en trois parties. Dans celle du milieu,
qui est en retraite sur les autres, se iogeoient les battans en bois; elle a
soixante-trois centimètres (4) de profondeur, et trois mètres trente-deux centimètres
( j) de largeur. Cet édifice nous a tant frappés par l’élégance de ses formes,
(1) Voyez la planche 49, A . vol. I I I .
(2) Vingt-un pied».
(2) V°yL>Z, Ie plan topographique, pl. ¡6, A . vol. / / / .
A . D .
(4) Un pied onze pouces.
(5) Dix pieds deux pouces.