2 4 4 DE S C R I P T I ON GÉNÉRALE DE THÉBES.
diffère totalement. A-t-on voulu conserver a Karnak le souvenir des victoires remportées
sur ces peuples pasteurs, qui jouent un si grand rôle dans l’histoire de
l’Egypte, et qui, tour-à-tour vainqueurs et vaincus, ont possédé cette contrée
et ont été forcés de l’abandonner! Un grand nombre de témoignages ne permet
pas d’élever des doutes sur les guerres sanglantes dont l’Égypte a été le
théâtre : Manéthon, cité par Eusèbe et Flavius Joseph, Hérodote, Diodore de
Sicile, et les livres saints, en font tous mention. Ce que ces historiens rapportent
des Hycsos ou pasteurs, et des Arabes, ne paroît devoir convenir qu’à un seul et
même peuple. Une multitude d’indices prouve d’ailleurs que les Arabes ont joué
un grand rôle dans les temps les plus reculés, mais que la connoissânce des révolutions
que ces peuples ont éprouvées, n’est point venue jusqu’à nous. Les rochers
du mont Sinaï et les montagnes environnantes présentent, au rapport de Nie-
buhr ( i ), beaucoup d’hiéroglyphes. Le même voyageur en a trouvé sur le plateau
d’une montagne élevée, à quelque distance de Tor : ils sont sculptés sur des tombeaux.
Il est à croire que tous ces monumens proviennent de ces pasteurs ou Arabes
dont Ihistoire fait mention, et qui, après avoir long-temps occupé le royaume
^ Egypte, furent contraints de se retirer dans les déserts, emportant avec eux les
moeurs, le langage et les arts du pays dont ils étoient chassés.
Nous ne négligerons point d’indiquer ici un autre rapprochement qui paroît
s offrir naturellement ; c est que ^ le costume des prisonniers représentés sur les
murs du palais de Karnak a quelque analogie avec celui des figures que l’on voit
sur les monumens de Persépolis. En supposant que l’on doive en conclure que les
Egyptiens ont porté leurs armes jusque dans la Perse, cet événement doit remonter
a une epoque tres-reculee ; car les historiens de 1 antiquité, à l’exception toutefois
de Tacite (2), ne font point mention de pareilles conquêtes. Si elles avoient quelque
réalité, il faut convenir que les Perses s’en seroient cruellement vengés par la suite,
et que les victoires de Cambyse auroient effacé la honte de leurs précédentes défaites
(3). Au reste , il est certain que le palais de Persépolis a beaucoup d’analogie
avec les édifices Égyptiens ; mais, pour peu que l’on soit exercé à considérer les
monumens antiques, on reconnoît aisément que les sculptures de ce palais sont
des imitations Égyptiennes, dont la date ne remonte pas plus haut que la conquête
de 1 Égypte par Cambyse. Le témoignage de Diodore lève toute incertitude
à cet égard (4).
La bizarrerie du dessin, et la composition quelquefois singulière des bas-reliefs
du palais de Karnak, doivent faire présumer qu’ils ont été exécutés à une époque très-
ancienne, où les arts de I Égypte n’aVoient point encore atteint le degré de perfection
que nous avons remarqué dans d’autres endroits. Nous verrons d’ailleurs
(1) Voyage en Arabie, pas;, liïi), édit. de 1776. Syri, Armeniique et contigui Cappadoces colunt. ( Annal.
(2) Moxv'isit(Germanicus) veterum Thebarum. magna lib. i l . )
vestigia,- et manebant m u a is molibus litteræ Ægyptiat, (3) Cette opinion, déjà avancée par M. de Caylus,
p rim m opulentmm complet* : jussusque l senioribus sacer- dans les Mémoires de l ’Académie des inscriptions et
dolum patrium sérmonem interprétari, referebat habitasse belles-leitres, sera discutée fort au long dans notre Mé~
quondam septingenta milita ætate militari j atque eo cum moire général sur l’architecture.
exercitu regem Rhasnsem L ib y i, Æ th io p ii, Mtdisque, et (4) Voyel ci-après, pag. app, n." X I, le témoignage de ■
Persisj et Bactrianoj ac Scythâ potilum, quasque terras Diodore de Sicile.
bientôt que les historiens s’accordent à regarder cet édifice comme le plus ancien
de tous ceux qui ont été élevés à Thèbes.
Telle est la description du vaste palais dont Bossuet a dit que les restes semblent
n’en avoir subsisté que pour effacer la gloire des plus grands ouvrages.
La question que l’on se fait naturellement en parcourant cet édifice, et qui
excite le plus vivement la curiosité du voyageur, c’est de savoir à quel usage il étoit
destiné. On recherche, jusque dans les moindres détails, tout ce qui peut donner
quelques lumières à ce sujet. Étranger que l’on est aux moeurs et aux habitudes des
anciens Égyptiens, souvent on ne peut que hasarder une conjecture là où l’on
voudroit avoir une certitude. Tous les témoignages de l’histoire prouvent que les
Égyptiens étoient un peuple éminemment religieux; que, dans toutes les habitudes
de la vie civile, ils laissoient percer, pour ainsi dire, l’esprit qui les dominoit:
d’où l’on doit conclure que les habitations particulières devoient offrir , dans
leurs décorations, des traces du culte généralement pratiqué en Égypte; de là naît
la difficulté, dans beaucoup de circonstances, de distinguer les habitations des
hommes d’avec la demeure des dieux. En commençant cet écrit,nous avons, pour
ainsi dire, supposé que l’édifice de Karnak étoit un palais: on peut voir maintenant
que cela résulte évidemment de la description que nous en avons donnée';
et en examinant les choses avec attention, on trouvera peu de rapports entre
cet édifice et des temples Égyptiens, tels que ceux que nous avons déjà fait con-
noître. Quelle relation, en effet, y a-t-il entre la disposition des portiques et celle
des salles hypostyles, entre les appartenons particuliers des rois et les sanctuaires!
Y a-t-il, par exemple, dans les appartenons de granit qui sont ouverts de
toutes parts, quelque chose qui rappelle les distributions sombres et mystérieuses
des sanctuaires d’F.dfoû ou de Denderah! Les sujets de sculpture, par les raisons
que nous avons données plus haut, pourroient peut-être jeter quelque incertitude
dans la distinction des temples et des palais : cependant c’est une règle générale et
sans exception, qu’on ne trouve dans les temples que des bas-reliefs relatifs à la religion,
ou à l’astronomie, à laquelle la religion étoit essentiellement liée; tandis que
les palais offrent, en outre, des Sujets qui ont rapport à des scènes familières, et des
bas-reliefs historiques qui ont trait aux guerres et aux conquêtes fartes par les anciens
rois d’Égypte. La conséquence que nous tirerons de toutes ces observations
et de tous ces rapprochemens, c’est qu’il n’y a aucun doute que le grand édifice
de Karnak ne fut un palais. Les souverains qui l’habitoient, passoient probablement
une partie du jour dans les salles hypostyles et les péristyles, où 1 air circu-
loit avec liberté, et où l’on étoit à l’abri de la chaleur; ils se retiroient en particulier
dans les appartemens de granit. C’est une chose assez remarquable qu actuellement
encore, en Égypte, la distribution des palais modernes satisfait à de semblables
convenances, bien qu’il y ait d’ailleurs infiniment peu de rapports entre l’architecture
des modernes et celle des anciens Égyptiens.