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 diffère totalement. A-t-on voulu  conserver a Karnak  le souvenir des victoires remportées  
 sur  ces  peuples  pasteurs,  qui  jouent  un  si  grand  rôle  dans  l’histoire  de  
 l’Egypte,  et  qui,  tour-à-tour  vainqueurs  et  vaincus,  ont  possédé  cette  contrée  
 et  ont  été  forcés  de  l’abandonner!  Un  grand  nombre  de  témoignages  ne  permet  
 pas  d’élever  des  doutes  sur  les  guerres  sanglantes  dont  l’Égypte  a  été  le  
 théâtre  : Manéthon,  cité  par  Eusèbe  et  Flavius  Joseph,  Hérodote,  Diodore  de  
 Sicile,  et  les  livres saints,  en font tous mention.  Ce  que ces  historiens  rapportent  
 des Hycsos ou  pasteurs,  et  des  Arabes,  ne  paroît  devoir  convenir  qu’à  un  seul  et  
 même  peuple.  Une multitude d’indices  prouve  d’ailleurs  que  les  Arabes  ont joué  
 un  grand  rôle dans  les  temps les  plus  reculés, mais  que la connoissânce  des révolutions  
 que  ces peuples ont éprouvées, n’est point  venue jusqu’à nous. Les rochers  
 du  mont Sinaï  et  les  montagnes  environnantes  présentent,  au  rapport  de  Nie-  
 buhr  ( i ), beaucoup d’hiéroglyphes.  Le même  voyageur en  a trouvé  sur le  plateau  
 d’une montagne  élevée,  à  quelque  distance de Tor :  ils sont sculptés sur des  tombeaux. 
  Il  est à croire que tous ces monumens proviennent de ces pasteurs ou Arabes  
 dont  Ihistoire  fait mention,  et  qui,  après  avoir  long-temps  occupé  le  royaume  
 ^ Egypte,  furent  contraints de  se  retirer dans  les déserts,  emportant  avec eux  les  
 moeurs,  le  langage  et  les  arts  du  pays  dont  ils  étoient chassés. 
 Nous  ne  négligerons  point  d’indiquer  ici  un  autre  rapprochement  qui  paroît  
 s offrir  naturellement ;  c est  que ^ le  costume  des  prisonniers  représentés  sur  les  
 murs  du  palais  de Karnak  a  quelque  analogie  avec  celui  des  figures que l’on  voit  
 sur les  monumens  de Persépolis.  En supposant  que l’on doive  en conclure que les  
 Egyptiens ont porté  leurs armes jusque dans la Perse, cet événement doit remonter  
 a une  epoque  tres-reculee ;  car  les  historiens de  1 antiquité,  à  l’exception  toutefois  
 de Tacite (2), ne font point mention de pareilles conquêtes. Si elles avoient quelque  
 réalité,  il  faut convenir que les Perses  s’en seroient cruellement vengés par  la suite,  
 et  que  les  victoires  de  Cambyse  auroient effacé  la honte  de  leurs précédentes défaites  
 (3). Au  reste ,  il  est certain que le palais de  Persépolis  a beaucoup  d’analogie  
 avec  les  édifices  Égyptiens ; mais,  pour  peu  que  l’on  soit  exercé  à considérer  les  
 monumens antiques,  on  reconnoît  aisément  que  les  sculptures  de  ce  palais  sont  
 des  imitations  Égyptiennes, dont  la  date  ne  remonte  pas  plus  haut  que  la  conquête  
 de  1 Égypte par Cambyse. Le témoignage  de Diodore lève toute  incertitude  
 à cet  égard  (4). 
 La bizarrerie  du  dessin,  et  la  composition  quelquefois  singulière  des bas-reliefs  
 du palais de Karnak, doivent faire présumer qu’ils ont été exécutés à une époque très-  
 ancienne,  où  les  arts  de I Égypte n’aVoient point  encore  atteint  le  degré  de perfection  
 que  nous  avons  remarqué  dans  d’autres  endroits.  Nous  verrons  d’ailleurs 
 (1)  Voyage en Arabie, pas;,  liïi),   édit. de  1776.  Syri, Armeniique  et  contigui  Cappadoces  colunt.  ( Annal. 
 (2)  Moxv'isit(Germanicus) veterum  Thebarum. magna  lib.  i l . ) 
 vestigia,-  et  manebant m u a is   molibus  litteræ  Ægyptiat,   (3)  Cette  opinion,  déjà  avancée  par M.  de  Caylus, 
 p rim m  opulentmm  complet* : jussusque l  senioribus sacer-  dans  les  Mémoires  de  l ’Académie  des  inscriptions  et  
 dolum patrium  sérmonem  interprétari,  referebat  habitasse  belles-leitres,  sera discutée  fort  au long dans  notre Mé~  
 quondam  septingenta  milita  ætate militari j   atque eo  cum  moire  général sur l’architecture. 
 exercitu  regem Rhasnsem L ib y i, Æ th io p ii, Mtdisque,  et  (4)  Voyel  ci-après, pag.  app,  n."  X I,  le  témoignage  de ■  
 Persisj  et  Bactrianoj  ac  Scythâ potilum,  quasque  terras  Diodore  de  Sicile. 
 bientôt que  les  historiens s’accordent  à  regarder  cet  édifice  comme le  plus ancien  
 de  tous  ceux  qui ont  été  élevés  à  Thèbes. 
 Telle  est la description  du vaste palais dont Bossuet a dit que les restes semblent  
 n’en  avoir  subsisté que pour  effacer la  gloire  des  plus  grands  ouvrages. 
 La  question  que  l’on  se  fait  naturellement  en  parcourant  cet  édifice,  et  qui  
 excite  le plus vivement la curiosité du voyageur, c’est de savoir à quel  usage  il  étoit  
 destiné.  On  recherche, jusque dans les moindres détails,  tout  ce  qui  peut  donner  
 quelques lumières à ce  sujet. Étranger que  l’on  est aux moeurs et aux habitudes  des  
 anciens  Égyptiens,  souvent  on  ne  peut  que  hasarder  une  conjecture  là  où  l’on  
 voudroit avoir  une  certitude.  Tous  les témoignages  de  l’histoire prouvent  que  les  
 Égyptiens étoient un  peuple éminemment  religieux; que, dans toutes  les  habitudes  
 de  la  vie  civile,  ils  laissoient  percer,  pour  ainsi  dire,  l’esprit qui  les  dominoit:  
 d’où  l’on  doit  conclure  que  les  habitations  particulières  devoient  offrir ,  dans  
 leurs décorations,  des traces  du culte  généralement pratiqué en  Égypte;  de là naît  
 la difficulté,  dans  beaucoup  de  circonstances,  de  distinguer  les  habitations  des  
 hommes  d’avec  la demeure  des dieux. En commençant cet écrit,nous avons, pour  
 ainsi  dire,  supposé  que  l’édifice  de  Karnak étoit  un  palais:  on  peut  voir maintenant  
 que  cela  résulte évidemment  de  la description  que  nous en avons donnée';  
 et  en  examinant  les  choses  avec  attention,  on  trouvera  peu  de  rapports  entre  
 cet édifice  et  des temples Égyptiens,  tels  que  ceux  que  nous  avons déjà fait  con-  
 noître. Quelle  relation,  en  effet, y  a-t-il entre  la  disposition des  portiques et celle  
 des  salles  hypostyles,  entre  les  appartenons  particuliers  des  rois  et  les  sanctuaires! 
  Y  a-t-il, par  exemple,  dans  les appartenons  de  granit qui  sont  ouverts de  
 toutes  parts,  quelque  chose qui rappelle  les  distributions sombres  et  mystérieuses  
 des  sanctuaires  d’F.dfoû ou  de Denderah!  Les  sujets de  sculpture,  par  les  raisons  
 que  nous  avons données plus  haut,  pourroient peut-être  jeter quelque incertitude  
 dans la distinction  des  temples et des  palais : cependant c’est une  règle  générale  et  
 sans exception, qu’on ne trouve dans les temples que des bas-reliefs  relatifs à la religion, 
  ou à l’astronomie, à laquelle  la  religion étoit essentiellement  liée; tandis  que  
 les palais offrent, en outre, des Sujets qui ont rapport à des scènes familières, et des  
 bas-reliefs  historiques  qui ont  trait  aux guerres  et aux  conquêtes  fartes  par  les anciens  
 rois d’Égypte.  La conséquence que nous  tirerons  de  toutes  ces  observations  
 et  de  tous  ces rapprochemens, c’est  qu’il  n’y  a  aucun  doute  que  le  grand  édifice  
 de  Karnak  ne  fut un  palais.  Les  souverains  qui  l’habitoient,  passoient  probablement  
 une  partie  du  jour dans  les  salles  hypostyles  et les péristyles,  où  1 air  circu-  
 loit avec  liberté,  et  où  l’on  étoit  à  l’abri  de  la  chaleur;  ils  se  retiroient  en  particulier  
 dans  les appartemens  de granit.  C’est une chose assez remarquable qu actuellement  
 encore,  en  Égypte,  la  distribution  des  palais modernes satisfait à de  semblables  
 convenances, bien qu’il y  ait d’ailleurs infiniment peu de rapports entre  l’architecture  
 des modernes  et  celle  des  anciens  Égyptiens.