Strabon avance qu’on ne voit, dans les monumens Égyptiens, aucune peinture.
A moins qu’il ne veuille point donner ce nom aux couleurs appliquées sur toutes les
sculptures, on ne conçoit point une pareille assertion; car, dans les monumens,
l’éclat et la vivacité des couleurs frappent tous les regards. Il est vrai que la peinture,
chez les Égyptiens, ne procédant que par teintes plates et crues, sans ombres, sans
nuances ni dégradations, n’est point, à proprement parler, ce qui constitue un art
perfectionné; mais enfin c’est un art à son commencement, dont il est surprenant
que Strabon, voyageur exact et observateur exerce, ne fasse aucune mention.
QUATRIÈME PARTIE.
P a ra llèle des principaux Édifices de Thèbes, et particulièrement de K a rn a k ,
avec les monumens Grecs, Romains et modernes.
Q u e l q u e soin que nous mettions à décrire les édifices Égyptiens, nous ne
pouvons guère nous flatter de réussir à en donner aux autres l’idée que nous en
avons prise nous-mêmes sur les lieux : car il y a des choses que des dessins et des
descriptions ne peuvent rendre ; et il est certain que rien ne peut remplacer la
vue des monumens auxquels mille circonstances locales tendent a donner plus
de prix. Les dessins géométraux sont sans doute très-propres a faire connoître 1 ensemble
et les proportions d’un édifice, sa disposition et sa distribution : mais qu’ils
sont loin de donner des idées satisfaisantes des constructions, sous le rapport de
l’élégance et de l’effet! Cest sur-tout en les comparant avec les vues pittoresques
faites sur les lieux mêmes, que nous avons pu en juger : nous avons toujours été surpris
de trouver dans ces dernières une certaine légèreté à des édifices que les dessins
géométraux nous montroient lourds et sans élégance. Il faut se garder de croire
que ce résultat doive être seulement attribué à la perspective linéaire : il dépend
sur-tout de la perspective aérienne, dont les effets sont si variables dans les diffe-
rens climats, et de l’opposition d’une vive lumière avec des ombres bien tranchées.
Un tact fin et sûr, et une longue habitude d observer, avoient appris aux Égyptiens
à apprécier toutes ces causes et à en combiner les effets : bien différens des Grecs
et des Romains, qui, en transportant leur architecture sous le ciel de l’Egypte, ne
paroissent point en avoir tenu compte ; d’où il est résulté que leurs élégans édifices
s’y montrent sous l’apparence de constructions grêles et sans solidité.
Comme rien dans la nature n’a de grandeur absolue, et que l’esprit de 1 homme
ne juge de tout ce que l’univers offre à son observation que par des rapports, ce
n’est qu’en faisant des rapprochemens entre des objets analogues que 1 on peut se
foire une juste idée de leur étendue et de leur importance. Il nous paroit donc
convenable, pour ne rien laisser à desirer sur la connoissance des monumens
de Thèbes, et plus particulièrement de ceux de Karnak, de les mettre en parallèle
ou bien s’entendre de constructions étrangères; car on sait que les Grecs et les Romains donnoient la qualification,
de barbare à tout ce qui étoit étranger. Cependant la suite du passage semble bien annoncer que les expressions
de Strabon ne peuvent point être prises en bonne part.
avec des édifices bien connus. Il ne suffit pas en effet de faire observer aux lecteurs
que tous les temples et les palais de l’ancienne Égypte sont représentés dans
l’ouvrage à une même échelle ; que la grande cour de Karnak, par exemple, renfer-
meroit tous les monumens de l’île de Philæ : cette observation n’est pas de nature
à frapper ceux qui n’ont point d’objet de comparaison pour les constructions de
Philæ.
Pour remplir notre objet, nous allons donc d’abord comparer les monumens de
Karnak avec les édifices élevés par les Grecs et les Romains. Ces derniers, mieux
appréciés depuis la renaissance des arts, et recherchés avec empressement, sont
devenus, pour ainsi dire, classiques, et sont, par cela même, bien propres à remplir
nos vues. Ce n’est pas cependant que nous nous proposions de traiter ici, avec
quelque étendue, de l’architecture Égyptienne comparée avec les diverses architectures
connues ; ce sera l’objet d’un travail particulier (1).
Les monumens Grecs proprement dits (z), ceux qui ont été construits sous le
gouvernement de Périclès, au temps où le goût des arts fut porté à un si haut degré,
et lorsqu’Athènes étoit libre et florissante, ne peuvent point entrer en comparaison,
pour l’étendue, avec ceux de l’Égypte. L ’antique temple de Thésée, les édifices les
plus estimés des anciens, tels que les Propylées et le Parthenon, sont d’une étendue
peu considérable : ce dernier est construit à peu près sur les mêmes dimensions
que le temple du sud à Karnak ; tous deux ont une longueur presque double de leur
largeur.
Les monumens de la grande Grèce, dont les ruines subsistent encore à Pesti (3),
l’ancienne Posidonia, et qui paroissent dater de ce beau temps de l’architecture
où le goût sévère des Grecs n’admettoit aucun ornement superflu, ne sont pas
plus comparables que ceux d’Athènes, sous le rapport de l’étendue, aux grandes
constructions Égyptiennes.
Dans le beau siècle de la Grèce, les Athéniens ont construit sur de petites
dimensions des temples d’un goût exquis ; mais, sous le gouvernement des Romains,
Athènes a vu s’élever avec éclat des édifices qui, au mérite de la pureté d'exécution
et de l’harmonie dans toutes les parties, réunirent en outre des dimensions colossales.
Le temple de Jupiter Olympien rappelle à l’esprit un des plus grands édifice?
des Romains : il n’est plus connu maintenant que par les descriptions qu’en ont données
Pausanias (4) et Vitruve (5). Si l’on en croit leurs témoignages, il étoit enfermé
dans une vaste enceinte : c’étoit donc un des monumens qui pouvoient le mieux
être comparés à ceux des Égyptiens. Il est à regretter que les voyageurs n’aient pas
découvert sur les lieux des vestiges tels que nous puissions établir cette comparaison.
Si d’Athènes on passe à Palmyre et àBalbek, on trouve des ruines considérables
(1) Voye^ notre Mémoire général sur l’architecture. (3) Le grand temple de Pæstum a iça*1* 4° pouces
(2) Le temple de Minerve a 2 i4 d‘ io ° 4,1 de longueur de longueur et S6di 2? de largeur. Le petit temple a
et une largeur de 95*1* x° 6*. Les colonnes du péristyle I72d* 4°*
ont j d* 8° de diamètre et 32d* de hauteur. (4) Pausan. Graciai Descript. lib. v , pag. 30 3 , edit.
Le temple de Thésée, bâti environ dix ans après la Hanovioe, 16 13 .
bataille de Marathon, a ioods i ° de long et 4:2ds 1 1° 41 (5) Vitruve, traduct. de Perrault, préface du livre v i l ,
de large. pag. 219, et liv. n i , pag. yo.