de l’intérieur de l’Afrique (i ) sont le séjour de cet animal; et les voyageurs (2)
racontent que, sur le chemin de Gondar à Sennar, on le rencontre fréquemment.
La girafe, quadrupède très-grand, très-gros, et fort remarquable par sa forme singulière,
la hauteur de sa taille, la longueur de son cou et de ses jambes de devant, habite
sur-tout l’Ethiopie ; elle ne s’est jamais répandue au-delà du tropique, et cependant
on la trouve sculptée sur les monumens de la Thébaïde, particulièrement à Erment.
Il nous semble que ces faits confirment les témoignages des historiens, dans ce qu’ils
rapportent des relations qui ont subsisté entre l’Egypte et l’Ethiopie. C’est d’ailleurs
là l’opinion de tous ceux qui ont écrit sur l’Égypte. Mais que ces relations aient été
telles, que les Éthiopiens civilisés aient apporté en Égypte les sciences et les arts;
qu’en descendant successivement le Nil, ils aient marqué leur passage par les monumens
qui se voient encore aujourd’hui dans la Nubie ; qu’arrivés sur l’emplacement
de Thèbes, ils aient jeté les fondemens de cette ancienne capitale, et l’aient décorée
des monumens des arts qui en font encore aujourd’hui l’ornement,-c’est ce que
nous ne pensons pas que Ton puisse démontrer, quoique ce soit là l’opinion la plus
généralement répandue. Le style de l’architecture Égyptienne, la nature de ses
ornemens, qui offrent l’imitation d’arbres et de plantes croissant sur les bords
du Nil, tout nous porte, au contraire, à penser que le centre de la civilisation et
des arts de l’Égypte doit être placé à Thèbes; que c’est de là qu’ils sont sortis,
comme d’une source commune, pour se répandre au nord et au sud, et que c’est
sous leur influence que se sont successivement élevés les monumens de la basse
Égypte, et ceux qui se voient encore aujourd’hui dans la Nubie.
Si l’on admet notre opinion, il faudra bien cesser d’ajouter foi à ceux qui, faisant
refluer les peuples du sud de l’Afrique vers le nord, veulent que les anciens
Égyptiens aient été de race Nègre (3) ; ce qui, dans tous les cas, nous paroît dépourvu
de fondement : car, indépendamment de ce que toutes les sculptures des monumens,
toutes les statues Égyptiennes, depuis les plus grands colosses de Thèbes jusqu’aux
plus petites idoles, ne rappellent en aucune manière les traits de la figure des Nègres ;
outre que les têtes des momies des catacombes de Thèbes (4) présentent des profils
droits, les habitans de la Nubie et de l’Abyssinie, au rapport des voyageurs Portugais
et du chevalier Bruce, n’ont nullement les traits ni les cheveux des Nègres.
C’est un fait que nous avons pu vérifier nous-mêmes à Philæ et au Kaire, où nous
avons vu beaucoup d’hommes de ces pays. Ils ont le profil droit, les lèvres un peu
épaisses, les cheveux longs et frisés, et non pas crépus ou laineux. Us ont, à la vérité,
le teint noir; mais ce n’est pas là un des caractères exclusifs des Nègres. A tous ces faits,
qui établissent d’une manière incontestable que les Égyptiens n’étoient point de race
Nègre, on oppose le sphinx des pyramides de Memphis. Mais cette figure ne nous
paroît point rappeler les traits des Nègres; elle se rapproche davantage du caractère
delà figure des Qobtes, qui, dans l’opinion de beaucoup de personnes, passent
pour être les descendans des Égyptiens. Et d’ailleurs, cette tête fut-elle celle d’un
(1) Voyez l’Histoire naturelle cleBufTon, Quadrupèdes, (3) Voyelles Ruines,par M . de Volney, pag. 29, et la
tom. V I J J , in-12. note qui se rapporte à cette page.
(2) Voyelle Voyage de Poncet. (4) Voyez les planches /¡y et yo , A . vol. I I .
Nègre, quelle conséquence pourroit-on tirer d’un fait isolé! A notre avis, on ne
pourroit pas plus en conclure que les Égyptiens étoïent de race Nègre, que l’on
ne conclura qu’il y avoit chez ce peuple des hommes à tête de chacal, d’éper-
vier et d’ibis, parce que l’on voit de ces espèces de figures sculptées sur les monumens.
Ne connoît-on pas le goût des Égyptiens pour les figures emblématiques'
Pourquoi le sphinx des pyramides n’en seroit-il pas une !
S. V I I .
Quelles ont été les Causes de la Splendeur de Thèbes.
L a beauté, la magnificence, qui éclatent dans les ruines de Thèbes, nous conduisent
naturellement à rechercher quelles ont été les causes de sa splendeur. Il faut
bien se garder de penser, comme quelques-uns l’ont prétendu, que l’Egypte, isolée
et livrée à elle-même, n’a eu aucun rapport avec les pays qui l’environnent ; que
les magnifiques et immenses monumens qu’elle renferme ne sont que le résultat
de la surabondance de sa population, et des richesses provenant de l’échange, de
province à province, des productions d’un sol dont rien, il est vrai, n’égale la
fertilité. S’il est constant que les anciens Égyptiens ont tenu pendant long-temps
les Grecs éloignés de leur pays, il n’est pas moins certain qu’ils ont entretenu, dès
la plus haute antiquité, des relations avec l’Inde, et qu’ils ont porté leurs aimes
non-seulement dans ce pays, mais encore dans la Perse ; ce qui résulte plus particulièrement
du témoignage de Tacite (l). Ainsi l’on ne peut douter que Thèbes
n’ait été pendant long-temps l’entrepôt du coimnerce de ces riches contrées avec
la Phénicie, et que les rois conquérans qui ont occupé le trône d’Égypte n’y aient
accumulé les dépouilles des peuples vaincus. Les objets précieux dont, au rapport
des historiens (2 ), les temples et .les palais de Thèbes étoient remplis, les bas-
reliefs historiques sculptés sur les murs des édifices ( 3 ), ne laissent aucun doute
sur les relations de l’Égypte avec l’Inde. D’ailleurs, Homère (4), en parlant de
Thèbes, ne dit-il pas d’une manière précise qu’on y apportoit d’immenses richesses
, ainsi qu’à Orchomène, l’une des villes les plus célèbres de la Grèce, à
l’époque où vivoit le poëte ! Mais rappelons rapidement les causes qui ont rendu
l’Égypte si florissante dans les temps dont l’histoire nous a conservé le souvenir,
et nous en conclurons, par des inductions probables, l’état de ce pays dans les
temps les plus éloignés. Placée entre deux mers, dont l’une baigne les rivages de
l’Inde, qui alimente depuis si long temps l’Occident des produits de son sol et de
son industrie ; arrosée par un fleuve navigable dans la plus grande partie de son
cours, l’Égypte est* dans la position la plus favorable pour s’adonner au coim
merce. Aussi voyons-nous Alexandre, frappé de sa situation avantageuse, et
(1) Voye^ la note 2 , pag. 244. (3) Voyez la description des monumens de Medynet-
(2) Voye£ un passage que nous avons cité de Diodore abou, sect. i.u de ce chapitre.
de Sicile, dans la description de Karnak, sect. V I I I (4) Voyez le passage cité pag. 428.