
extraordinaires, énigmatiques, et les représentations les plus bizarres. On ne peut
réfléchir sans admiration à la longue durée de ces ornemens, qui subsistent encore
après l’écoulement de plusieurs milliers d’années, et l’étonnement redouble lorsqu’on
observe que les sculptures et les peintures reposent sur un frêle enduit de plâtre.
Ce n’est pas ici comme à la grotte Syringe, où tous les ornemens sont taillés et peints
sur le roc v if La partie de la chaîne Libyque où sont les tombeaux des rois, est
composée d’une matière calcaire feuilletée et tendre; c’est moins une masse
compacte qu’un amas de lames disposées par lits horizontaux. Si l’on coupe cette
matière en paremens verticaux, on obtient une surface qui n’est pas propre à
recevoir des bas-reliefs ou des peintures ; c’est pour cela que tout l’intérieur de
ces grottes a été couvert d’un enduit sur lequel les sculpteurs et les peintres ont
fait leur travail. Cependant, quelque fragile que fût un tel fond, les bas-reliefs et
les couleurs s’y sont conservés sans avoir rien perdu de leur finesse ou de leur
éclat : des ouvrages faits depuis quelques mois seulement dans nos contrées
Européennes n’auroient ni plus de blancheur dans les fonds, ni plus de vivacité
dans les teintes. Mais cette étonnante conservation n’est pas un effet de l’art;
,, elle est due à la constance de la température, à la sécheresse de l’atmosphère, à
labeauté du climat, pour lequel une pluie est un phénomène extraordinaire : ajoutez
que la lumière solaire, ce grand agent de la destruction des couleurs, ne pénètre
58 jamais dans ces cavités profondes.
Deux tableaux entièrement symboliques se font remarquer dès l’ouverture de
la grotte par la beauté de leurs couleurs; ils ornent l’embrasure de la première
porte, et sont placés à la droite et à la gauche du spectateur, lorsqu’il met le pied
sur le seuil. On peut juger de leur bel effet par la copie de celui de gauche que
l'on voit dans les planches (i).
Si, après avoir,franchi l’entrée, le spectateur continue sa marche, il trouvera,
vers l’extrémité de la première galerie, quatre portes basses ouvertes dans le mur
de droite, et faisant face à quatre portes pareilles situées de l’autre côté : ces
portes donnent entrée dans huit petites loges dignes de toute l’attention des
curieux; elles sont remplies de peintures extrêmement intéressantes : c’est là que
i on voit deux joueurs de harpe dont le voyageur Bruce a parlé le premier, et
qu’il a dessinés infidèlement, en leur prêtant des formes Grecques. Ce tableau
est dans la troisième loge à gauche.
Les joueurs de harpe font partie d’une scène religieuse plus étendue, que l’on
a été obligé de diviser en plusieurs parties, à cause du format des planches (2).
Pour rétablir ce tableau dans son ensemble, il faut concevbir que les deux divinités
de la planche y 0 occupent le fond de la loge; les harpistes sont placés sur
les murs latéraux. Celui qui porte une tunique noire est à la gauche; il paroit
adresser ses chants, non-seulement à la divinité qui est en face sur'le même mur
que lui, mais encore à celle qui est sur le mur de fond et qui se fait remarquer par
une tête d’épervier. Le harpiste vêtu de blanc est sur le mur latéral de la droite ;
comme l’autre, il fait face à deux divinités. La gravure représente fidèlement et
(1) Planche 8y, fig. y , A . vol. I I . (2) Voyez fig, 1 , pl. ÿot et fig. t et 2 , pl. 9 1, A . vol. I I .
m f
avec leurs couleurs les joueurs de harpe, leurs instrumens et toutes les autres
parties du tableau.
Cette scène semble annoncer un art musical très-avancé : une des deux harpes
n’a pas moins de vingt-une cordes. Les deux harpistes sont posés avec aisance; et
leurs mains parcourent les cordes comme cela est pratiqué de nos jours par les
musiciens qui jouent de cet instrument. Les harpes sont décorées avec une richesse
et une élégance que nos facteurs modernes les plus renommés ne désavoueroient
point, quoique nous soyons dans un temps où cet instrument, devenu à la mode,
a été soigné plus encore sous le rapport de la décoration que sous celui de la
perfection musicale. Rien dans ce dessin ne montre que les harpes Égyptiennes aient
eu des pédales : nos harpes modernes sont supérieures en cela ; supériorité d’autant
plus importante, qu’elle augmente les moyens d’exécution.
En étudiant la scène générale dont les deux harpistes font partie, on recon-
noît facilement qu’elle représente un sacrifice offert aux quatre divinités assises
en face des musiciens. Chaque divinité a son autel particulier, sur lequel sont
déposées des offrandes. Les autels qui appartiennent aux deux divinités du fond,
sont plus grands que les autres; ils sont chargés d’oblations plus abondantes :
ces emblèmes semblent caractériser des divinités d’un ordre supérieur; il est vraisemblable
que les deux autres figures sont des dieux inférieurs placés comme
intercesseurs entre les mortels et les grandes divinités. Le sacrifice est indiqué
dans les peintures par les animaux et par les fruits qui couvrant les autels des
divinités : il est aussi caractérisé dans les hiéroglyphes; les trois haches qui se
voient en tête de la colonne placée derrière le harpiste vêtu de noir, sont, ainsi que
M. Monge l’a prouvé, l’emblème d’un sacrifice. Il semble probable que la prière
chantée par les harpistes est écrite dans la colonne d'hiéroglyphes placée au-dessus
des têtes formant le couronnement des bases des harpes. S’il étoit permis de faire
quelques conjectures, je penserois que le harpiste vêtu de noir demande aux
dieux une bonne crue du Nil et une moisson abondante : en effet, le trait ondulé,
qui désigne l’eau, se trouve trois fois dans sa prière; on y voit la faucille, qui,
comme je-1 ai montré dans mon Mémoire sur Elethyia (1), est le symbole de la
moisson, et une main droite, avec les doigts étendus, qui, au rapport de Diodore,
signifioit 1 abondance. La petite divinité assise en face du harpiste paroît lui
transmettre une réponse favorable; je le conjecture d’après les hiéroglyphes qui
remplissent la colonne placée près de cette divinité : il y a dans la partie supérieure
, au-dessus du symbole de l’eau, un vase porté sur des jambes ; il a l’air de
marcher et d’apporter les eaux desirées. Au bas de la colonne, on trouve deux
disques qui paroissent représenter des oeufs; c’est une figure qui se reproduit souvent,
et que tout me porte à regarder comme le symbole de la fécondité. La portion
de la scene, située du côté du harpiste vêtu de blanc, ne présente pas des
.indices aussi clairs. Je me borne à faire remarquer que l’on voit une croix parmi
les hiéroglyphes placés auprès de la grande divinité qui fait face à droite. Cette
divinité a les attributs ordinaires d’Horus.
(1) Voyez les Antiquités-Mémoires, page jS .
A . D .