veut appliquer au colosse du nord, décrit et dessiné par Pococke, le passage de
Diodore relatif à la statue d’Osymandyas (t). Indépendamment de ce que des étymologies
peuvent tout au plus appuyer des faits historiques, et de ce que, dans aucun
cas elles ne peuvent servir à les établir, il nous est impossible de partager l'opinion
de Jablonski. Nous avons retrouvé le tombeau d’Osymandyas et les débris de sa
statue (2); nous déterminons dans cette section, avec autant d’exàccitud» qu’on
peut en mettre dans une pareille matière, l’emplacement de'l’édifice désigné par
Strabon sous le nom de Memnonlum : nous ne pouvons donc pas plus confondre
les palais de Memnon et d’Osymandyas que les statues de ces personnages célèbres.
Nous devons toutefois convenir que les heureuses circonstances où nous tious
sommes trouvés, de pouvoir étudier les monumens sur les lieux mêmes, et non
d après des dessins inexacts, de les parcourir les auteurs anciens à la main, nous
donnent seules quelque avantage dans une discussion que nous aurions soigneusement
évitée, s il n eût fallu que de l’érudition pour arriver à un résultat satis-
aisant. Ainsi donc, d après les autorités précédemment citées, Memnon petit être
le même qu Aménophis ; mais il n’y a aucun rapport entre Memnon et Osy-
mandyas.. : : '
Quelques personnes ont pensé que le colosse du nord pourroit être une statue
de Sésostris. Jablonski lui-même semble pencher pour cette opinion (3). Tous
se fondent sur l’analogie qui existe entre les exploits de Sésostris et ceux d’Osymandyas.
Mais cette analogie, quand bien même elle existerait, ce qui est loin de
nous être démontré, ne prouverait encore rien. C’est comme si l’on vouloir conclure
1 identité de quelques rois de France, de ce qu’ils auraient fait les mêmes
Conquêtes en Allemagne ou en- Italie. Jablonski rapporte à ce sujet une étymologie
tirée de la langue Égyptienne. Le Sésostris des Grecs ne seroit que le Sois
ouSis-ostré ou Sis-sust-éré des Égyptiens, dénomination qui signifie seigneur ado-
rant ou regardant le soleil (4). Un pareil nom pouvoit être applicable à la statue
d Aménophis, qui étoit tournée au soleil levant, et qui rendoit des sons aussitôt
quelle étoit frappéede ses rayons. Ontre que-cette étymologie est singulièrement
forcée, nous sommes d autant moins portés à la regarder comme pouvant appuyer
1 identité de Memnon et de Sés.ostris , qu’à Medynet-abou il existe un monument
de Sésostris, un palais où la sculpture a consacré les exploits de ce héros. Si sa
statue a été placée quelque partàThèbes, ce n’est probablement qu’à Medÿnet- ’
abou qu’on pourroit en retrouver des vestiges.
Quant à 1 opinion de ceux (5) qui prétendent que le colosse du nord a servi de
gnomon aux anciens Égyptiens, pour indiquer, à l’aidé de l’ombre, les principales
époques de l’année, telles que les solstices et les équinoxes, elle est tout-à-fait
insoutenable, puisque, par la disposition de cette statue au-devant d’un édifice, il
. fl) -V c yK ■,ablo" st i .JeM em m n e Græcormn e tÆ fyp . (4) Voyez Jablonski, de MemmneGrvcorum etÆgyp-
? • § P ' ° i - - tiorum. synt. I . , cap. , , pag. 30. . W
(z) Voyez la description du tombeau d’Osymandyas, (y) Jean-Frédéric Polac, professeur de droit et de
V L ' mathématiques à Francfort sur l’Oder. Voyez Jablonski,
(,) Voyez Jablonski, de Memnone Grxcormn-et Ægyp- de Memlwpe Græccrum et Ægyptiormn, synt. u i , :cap.6
tiorum, synt. I I , cap. I , pag. 3p. pag. 121. i ' P
. r o 9
étoit impossible d’obtenir l’effet que l’on suppose. Ajoutons à cela qu’utl pareil
gnomon seroit bien peu propre 'à donner des résultats exacts,
S’il nous étoit permis de nous livrer nous-mêmes à quelques conjectures, nous
dirions que le colosse du nord est la représentation du personnage de Memnon
ou Aménophis,sous les attributs et les formes consacres a la divinité, que cest
l’effigie de Memnon mis au rang des dieux. Il est même très-probable que la plupart
des colosses que l’on retrouve à Thebes, ne sont autre chose que des représentations
de personhages déifiés, si toutefois ils ne sont pas des effigies de divinités.
Il est remarquable, en effet, que les figures de ces nombreux colosses ont
beaucoup de ressemblance entre elles. Aucun trait caractéristique d’un âge plus
ou moins avancé ne s’y fait apercevoir, comme cela seroit nécessairement arrivé,
si les Égyptiens avoient voulu faire des portraits : elles ont presque toutes les
mêmes airs de tête, et présentent le plus souvent l’aspect gracieux de l’adolescence
et de la jeunesse. Notre conjecture, à l'égard de la statue de Memnon, est
sur-tout appuyée par les inscriptions (t) qui sont gravées sur ses jambes, et qui
constatent que l’on est venu entendre le dieu, que io n a offert des sacrifices
au dieu : à quoi il faut ajouter le témoignage de Philostrate (2), qui parle des
sacrifices qu’Apollonius et ses compagnons de voyage firent au dieu Memnon;
celui de Pausanias (3), dont le texte restitué semble indiquer que la statue de
Memnon étoit faite à l’image du Soleil ou dOsiris. Nos conjectures sur les apothéoses
des rois Égyptiens acquerront plus de poids encore , si I on considère
que de semblables déifications étoient en usage chez les Grecs, qui ont fait tant
de choses à l’imitation des Égyptiens. C’est ainsi que. sous les rois Ptolémées,
chez ces mêmes Égyptiens, on a consacré sur les médailles la figure d Alexandre
déclaré dieu dans le temple de Memphis (4). C’est encore ainsi que dans des
temps postérieurs, sous le gouvernement des Romains, les Égyptiens, pour plaire
à l’empereur Adrien, ont déifié son favori Antinoiis, l’ont représenté sbus les
attributs d’Osiris et de Thot, et ont institué en son honneur un cuite qui s’est
ensuite étendu dans tout l'empire Romain.
s. VI.
De 1‘espèce de Son que rendoit la Statue de Memnon, et des Moyens que
l ’on mettoit probablement en usage pour la fa ir e resonner.
T o u s les auteurs de l’antiquité que nous avons cites (5), s accordent sur la qualité
merveilleuse de la statue deMemnon : elle faisoit entendre une sorte de craquement,
une espèce de son semblable à celui d’une corde d instrument qui se rompt, un
bruit pareil à celui qui résulte du choc d’un caillou sur une pierre sonore. Voilà
( 1) Voyez le s in s c r ip t io n s x , x i x , x x i i , x x x , x x x i i
e t x X x i i i , à la fin d e c e t t e s e c t i o n , pag. roy et suiv.
( 2 ) V o y e ^ la c i t a t i o n n . ° I X , pag. ¡18 .
(3) V o y e z la c i t a t io n n . ° V I , pag. 117.
(4) Voyez un ouvrage d e M. Cousinery qui a pour
titre, Recueil de lettres critiques, historiques et nwnis-
tnatiques sur une inscription trouvée a Rosette pendant le
séjour des années Françaises en Egypte.
(S ) Voyez les citations à la fin de cette section, pag. it6
et suiv.