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dans la langue des àrts ", un marteau , une tenaille, une auge , une pelle , &c. ont prefque
autant de dénominations qu’il y a d’arts. La langue change en grande partie d’une manufacture
à une autre. Cependant je fuis convaincu que les manoeuvres les plus fingulieres, 5c
les machines les plus compofées s'expliqueraient avec un affez petit nombre de termes familiers
& connus, » on prenoit le parti de n’employer des termes d’art que quand ils offriraient
des idées particulières. Ne doit-on pas être convaincu de ce que j’avance 1 quand on conlidere
que les machines compofées ne font que des combinaifons des machines (impies ; que les
machines (impies font en petit nombre ; 8c que dans l’expofition d’une manoeuvre quelconque,
tous les mouvemens font réduâibles fans aucune erreur confiderable , au mouvement rectiligne
8c au mouvement circulaire ? Il ferait donc à M M qu’un bon Logicien a qui les arts
feraient familiers , entreprît des élémens de la grammaire des Arts. Le premier pas qu il aurait
à faire , ce feroit de fixer la valeur des corrélatifs , grand, gros, moyen, mince , épais , foible,
p e tit, User, peCant, &c. Pour cet effet, il faudroit une mefure confiante dans la nature,
ou évaluer la grandeur, la groffeur & la force moyenne de l’homme, & y rapporter toutes
les expreffions indéterminées de quantité , ou du moins former des tables auxquelles on
inviterait les Artiftes à conformer leurs langues. Le fécond pas, ce feroit de déterminer lur
la différence & fur la reffemblance des formes & des ufages d’un mftrument- fcc d un autre
ïnftrument, d’une manoeuvre 8c d’une autre manoeuvre-, quand il faudroit leur lailler un meme
nom & leur donner des noms différens. Je ne doute point que celui qui entreprendra cet
ouvrage ne trouve moins de termes nouveaux à introduire , que de fynonymes a bannir ; ôc
plus de difficulté à' bien définir des chofes communes , telles que grâce en peinture , noeud s n
paffementerie , creux en plufieurs arts , qu’à expliquer les machines les plus compliquées;
C’eft le défaut de définitions exaétes, & la multitude, & non la diverfité des mouvemens dans
les manoeuvres , qui rendent lés chofes des arts difficiles à dire clairement. Il n’y a de remede
au fécond inconvénient,- que de fe familiarifer avec les objets : ils en valent bien la peine,
foit qu’on les confidère parles avantages qu’on en tire, ou par l’honneur qu ils font a 1 eipnt
humain. Dans quelfyftêmède phyfique ou demétaphyfique remarque-t-on plus d intelligence,
de fagacité , de conféquence , que dans les machines à filer l’or , faire des bas, 8c dans les
métiers de paffementiers, de gaziers, de drapiers ou d’ouvriers en foie ? Quelle demonftration
de mathématique eftplus compliquée que le mécamfme de certaines horloges, ou que les
j;.£r ' «rvomtinne tsor lpfn «-rp.il on fait D-afTer ou 1 écorce du chanvre , ou la coque du ve
plus délicate'& plus üngulièfe que celle d'un demn îur les coraes u un i c ^ -
du femple fur les fils d’une chaîne? Qu’a-t-on imaginé, en quelque genre que ce toit, qui
montre plus de fubtilité que le chiner des velours? Je n’aurois jamais fait fi je m iropolois
h tâche de parcourir toutes-les merveilles qui frapperont dans les manufaSuies ceux qui n y
Porteront pas desyeux prévenus ou-des yeux ftupides. . . . •
Je m’arrêterai avec le philofophe Anglois à trois inventions , dont tes anciens- n ont point
eu connoiffance, & dont, à la honte de l’hifîoire & de la poélie modernes , t e noms des
inventeurs font prefque ignorés : je veux parler de l’art d’imprimer, de la decouverte de la
Aoudre à canon , & de la propriété de l’aiguille aimantée. Quelle révolution ces decouvertes,
n’ont-elles pas occafionnée dans la république des Lettres , dans 1 Art militaire, & dans la
Marine ? L’aiguille aimantée a conduit nos vaiffeaux jufqu’aux régions les plus ignorées,~ les
earaâères typographiques ont établi une correfpondance de lumières entre les favans de tous
les lieux & de tous tes temps à venir ; & la poudre, à canon- a fait naître tous ces chefs*-d oeuvres
d’architefture, qui défendent nos frontières & celles de nos ennemis : ces trois Arts ont
prefque changé la face de la terre. a , r r .
Rendons enfin aux artiftes la juftice qui leur eftdue. Les Arts liberaux fe font affez chantes
eux-mêmes; ils pourraient employer maintenant ce qu ils- ont de voix a- célébrée les A ns
mécaniques. C’eft aux Arts libéraux à tirer les Arts mécaniques de 1 avihffement ou le préjugé
fcs a tenus fi long-temps ; c’efi.à la.proteÜion des rois à les garantir d’une indigence ou ils languident
encore. Les artifans fe font crus méprifables, parce qu’on les a méprifés ; apprenons-
leur à mieux penfer d’eux-mêmes : c’eft le feulmoyen d’en obtenir des productions plus parfaites.
Qu’il forte du fein des Académies quelqu’homme qui defeende dans les ateliers, qui y recueille
les phénomènes des Arts , & qui nous les expofe dans un ouvrage qui détermine les artiftes à
lire, les philofophes à penfer utilement,& les grands à faire enfin un ufage utile de leur
autorité & de leurs récompenfes.
Un avis que nousoferons donner aux favans, c’eft de pratiquer ce qu’ils nous enfeignent
eux-mêmes, qu’on ne doit pas juger des autres avec trop de précipitation, ni proferire une
invention comme inutile, parce qu’elle n’aura pas dans ton origine tous les avantages qu’on
pourrait en exiger. Montagne, cet homme d’ailleurs fi philofophe, ne rougiroit-il pas s’il
revenoit parmi nous, d’avoir écrit que les armes à feu fon t de Jzpeu d'effet, fa u f l ’étonnement
des oreilles, à quoi chacun ejl déformais apprivoifé, qu'il efpïre qu'on en quittera Cufage.
N ’auroit-il pas montré plus de fageffe à encourager les arquebufiers de fon temps à fubftituer
à la mèche & au rouet quelque machine qui répondît à l’affivité de la poudre, 8c plus de
fagacité à prédire que cette machine s’inventeroic un jour? Mettez Bacon à la place de
Montagne, & vous verrez ce premier confidérer en philofophe la nature de l’agent, &
prophétifer, s’il m’eft permis de le dire, les grenades, les mines, les canons, les bombes, &
tout l ’appareil de la pyrotechnie militaire. Mais Montagne n’eft pas lefeul philofophe qui ait
porté fur la poflibilité ou l’impoffibilité des machines, un jugement précipité. Defcartes , ce;
génie extraordinaire , né pour égarer & pour conduire, 8c d’autres qui valoient bien l’auteur
des Effais, n’ont*ils pas prononcé que le miroir d’Archimède étoit une fable? cependant ce
miroir eft expofé à la vue-de tons les favans au jardin, du Roi; 8c les effets qu’il y opère entre
les mains de M. de Buffon qui l’a retrouvé, ne nous permettent plus de douter de ceux qu’il
opérait fur les murs de Syracufe entre les mains d’Archimède. De fi grands exemples fuffL-
fent pour nous rendre circonfpeSs».
Nous invitons les Artiftes à prendre de leur côté confeil des favans, £c à ne pas laiffer périr
avec eux les découvertes qu’ils feront. Qu’ils fâchent que c’eft fe rendre coupable d’un larcin-
envers la fociété, que de renfermer un fecret utile ; 8c qu’il n’eft pas moins vil de préférer en
ces occafions l’intérêt d’.un feul à. l’intérêt de tous, qu’en cent autres où ils ne balanceraient
pas eux-mêmes à prononcer.. S’ils fe rendent communicatifs, on les débarraffera de plufieurs
préjugés, 8c fur-tout de celui où ils font prefque tous, que leur arta acquis le dernier degré
de-perfeSion. Leur, peu de lumières les expofefouvent-à rejeter fur la nature des chofes , un
défaut qui n’eft qu’en eux-mêmes. Les obftacles leur paroiffent.invincibles dès qu’ils ignorent
les moyens de les vaincre. Qu’ils faffent des expériences; que dans ces expériences chacun v
mette du lien; que l’artifte y foit pour la main-d’oeuvre, l’académicien, pour, les lumières St
les confeils:, 8c l’homme opulent pour le prix des matières,..des peines 8c du temps ; 8c bientôt
nos arts 8c nos manufaSuresauront fur celles des étrangers tou te la fupériorité que nous defirons.
D e la fupériorité d'une, manufacture fu r une autre.
Mais ce qui- donnera la fupériorité à une manufacture fur une autre, ce fera fur - tout
h bonté des matières qu’on, y emploiera , jointe à la célérité du travail 8c à la perfeSion
de l’ouvrage. Quant à la bonté, des. matières ,. c’eft une affaire d’infpeSion. Pour là célérité
du travail 8c la perfeSion de l’ouvrage, elles dépendent entièrement de la multitude des
ouvriers raflèmblés.. Lorfqu’une manufaâure. eft nombreufe, chaque opération occupe
un homme différent. Tel ouvrier ne fait 8c ne fera de fa vie qu’une feule 8c unique chofe;
tel autre, une autre chofe : d’où, il arrive que chacune s’exécute bien 8c promptement ,
& que. l’ouvrage, le. mieux fait eft encore, celui qu’on a à meilleur marché. Dailleurs, le
goût 8c la façon fe perfeSionnent néceffairement entre un grand nombre d’ouvriers , parce
qu il eft .difficile qu’il ne s’en rencontre quelques-uns capables de réfléchir, dè combiner,
& de trouver enfin le fe.nl.moyen qui puiffe les mettre au deffus de-leurs femblablexj.le moyen