
On peut encore les éprouver d’une autre façon ;
c’eft en faifant rougir les morceaux de lapis fur une
plaque de ter , & les jetant enfuite tout rouges
-dans du vinaigre blanc très-fort; fi la’pierre eft d’une
bonne efpèce, cette opération ne lui fera rien perdre
de fa couleur. Après s’être affûté de la bonté du
lapis, voici comme il faut le préparer pour en tirer
le bleu (Toutremer.
On le fait rougir plufieurs fois, & on l’éteint
chaque fois dans l’eau ou dans de fort vinaigre, ce qui
vaut encore mieux : plus on réitère cette opération,
plus il eft facile de le réduire en poudre. Gela fait ,
on commence par piler les morceaux de lapis; on
lés broie fur un porphyre, en les humeéfant avec
de l’eau , du vinaigre ou de l’efprit-de-vin; on continue
à broyer juîqu’à ce que tout foit réduit eh
une poudre impalpable, car cela eft très-eflentiel: '
on fait fécher enfuite cette poudre après l’avoir lavée
dans l’eau, & on la met à l’abri de la pouffière pour
en faire l’ufage qu’on va dire.
On fait une pâte aveç une livre d’huile de lin ;
bien pure, de cire jaune, de colophone & de poix !
réfine , de chacune une livre, de maftic blanc, deux :
onces. On fait chauffer doucèment l’huile de lin ;
on y mêle les autres matières , en remuant le mélange,
qu’on fait bouillir pendant une demi-heure;
après quoi onpaffe ce mélange à travers un linge,
& on le laiffe refroidir.
Sur huit onces de cette pâte, on mettra quatre
onces de la poudre de lapis indiquée ci-deffus. On
pétrira long-temps & avec foin cette maffe ; quand
la poudre y fera bien incorporée, on verfera de
1 eau chaude par deffus, & on la pêtrira*de nouveau
dans cette eau, qui fé chargera d’une cou- !
leur bleue ; on la laiffera repofer quelques jours, ;
jufqu'à ce que la couleur foit tombée au fond du !
vafe ; enfuite, de quoi on décantera l’eau , & en
laiffant fécher la poudre , on aura du bleu <£outremer.
Il y a bien des manières de faire la pâte dont
nous venons de parler; mais nous nous contenterons
d’indiquer encore celle-ci: C ’eft avec de là
poix réfine, térébenthine, cire vierge' & maftic ,
de chacun fix onces, d’encens & d’huile de lin , :
deux onces, qu’on fera fondre dans un plat ver-
hiffé : le refte, cdmme dans l’opération précédente.
Voici la méthode que Kunçkel nous dit avoir
fuivie avec fucçès pour faire fe bleu d'outremer.
Après avoir caffé le lapis la^uli en petits morceaux
de la groffeur d’un pois, on le fait calciner,
& on l’éteint à plufieurs reprifes dans du vinaigre
diftilîé ; enfuite on réduit le lapis en une poudre
extrêmement déliée. On prend de cire vierge &
de colophone, de chacune moitié du lapis réduit
en poudre ; on les fait fondre dans une poêle ou
plat de terre verniffé ; on jette petit à petit la poudre
en écumant, en remuant, & mêlant avec foin les
matières ; l’on verfe le mélange ainfi fondu dans
de l’eau claire, & on l’y laiffe pendant huit jours;
au bout de ce temps, on remplit de grands vafes
de verre d’eau, auffi chaude que la main peut la j
fouffrir ; on prend un linge bien propre, on pétrit
la maffe, & lorfque cette première eau fera bien
colorée, on retirera la maffe pour la mettre dans
de nouvelle eau chaude; on procédera de la même
façon jufqu’à ce que la couleur foit exprimée : c’eft
cependant la couleur qui s’eft déchargée dans la première
eau, qui eft la plus précieufe ; on laiffe en-
fuite repofer l’eau colorée pendant trois ou quatre
jours, au bout defquels on voit que la couleur s’eft
précipitée au fond du vafe.
Une même maffe fournit trois ou quatre fortes
de bleu outremer; mais on n’en retire que fort peu
de la plus' belle.
Il y a encore bien des manières de tirer du bleu
d'outremer ; mais comme leur différence ne confifte
que dans la pâte à laquelle on mêle le lapis pul-
vérifé, on a cru inutile d’en dire davantage.
On reconnoît fl le bleu S!outremer a été falfifié,
non-feulement au poids , qui eft moindre que celui
du véritable, mais encore parce qu’il perd/a couleur
au feu.
B leu d e MONTAGNE, lapis armenus, ou cceruleum
montanum : c’eft un minéral ou pierre foffile bleue,
tirant un peu fur le verd d’eau ; elle reffemble affez
au Japis la^ulï, mais avec cettë différence, qu’elle
eft plus tendre , plus légère & plus caftante que
lui, & que fa couleur ne réfifte pas au feu comme
la fi'enne. Lorfqu’on fait ufage du bleu de montagne
dans la peinture, il eft à craindre que par la fuite
la couleur n’en devienne verdâtre. Cette pierre fe
trouve en France , en Italie, en Allemagne, &
fur-tout dans le Tirol. On dit que celle qui vient
de l’Orient ne perd point fa couleur dans le feu.
Le bleu de montagne contient beaucoup de cuivre ;
celui qui eft léger en fournit moins que celui qui
eft pefant : le premier contient un peu de fer, fui-
vant M. Cramer.
On dit qu’on contrefait le bleu de montagne en
Hollande, en faifant fondre du foufre, 8c en y mêlant
du verd-de-gris pulvérifé. Pour employer le
bleu de niontagne dans la peinture , il faut le broyer,
le laver enfuite, & en féparer les petites pierres qui
y font quelquefois mêlées.
Bleu d e P ru s se . Le bleu de Pruffe ou de Berlin eft
ainfi nommé, parce que fa préparation â été trouvée
en Pruffe, oh on la tenoit extrêmement fécrette,
jufqu’à ce que M. Voodwârd, de la foeiété royale de
Londres, la"découvrit & la rendit publique dans les
tranfa&ions philofcphiqûes des mois de janvier
février 1724. Depuis, M. Geoffroi, de la faculté
de médecine & de l’académie dés fciences de Paris ,
en a donné la préparation dans les mémoires de
l’académie de 1725. M. Macquer, delà faculté &
de la foeiété royale de médecine, 8c de l’académie
des fciences de Paris, a publié & expliqué dans
les mémoires de l’académie, année 1752, la théorie
de cette compofition, d’où il réfulte que ç’eft un
précipité de fer avec furabondance de phlogiftique,
qui lui donne une très-belle couleur bleue.
Quoique ce bleu ne foit pas auffi beau que celui
d'outremer pour les peintures à l’huile ou en dé- |
trempe on l’emploie cependant par préférence ,
parce qu’il eft plus commun & à meilleur marché. j
Voici le procédé indiqué par M. Macquer, procédé
qui eft très-bon, & qui réuffit très-bien.
Alkalifez ou brûlez enfemble quatre onces de
îiitre, & autant de tartre ; mêlez bien ce nitre fixé
par le tartre ou flux blanc, avec quatre onces de
fang de boeuf defféché ; mettez le tout dans un creu-
fet couvert d’un couvercle percé d’un petit trou,
& calcinez à un feu modéré, jufqu’à ce que le fang
foit réduit en charbon parfait, c’eft-à-dire, jufqu’à
ce qu’il ne forte plus de fumée ou de flamme capable
de noircir les corps blancs qu’on y expofe.
Augmentez le feu fur la fin, enforte que toute la
matière contenue dans le creufetfoit médiocrement,
mais fenfiblement rouge.
Jetez dans deux pintes d’eau la matière du ereufet
encore toute rouge, & donnez-lui une demi- heure
d’ébullition. Décantez cette première eau, & paflfez-
en de nouvelle fur le réfidu noir & charbonneux,
jufqu’à ce quelle devienne prefque infipide; mêlez
enfemble ces eaux , & les faites réduire par l’ébullition
à peu près à deux pintes. D ’un autre côté,
diffolvez deux onces de vitriol de mars & huit
onces d’alun dans deux pintes d’eau bouillante; mêlez
cette diffolution toute chaude avec la leffive précédente
, auffi toute chaude. Il fe fera une grande
effervefcence., les liqueurs fe troubleront, deviendront
d’une couleur v e r te , plus ou moins bleue,
& il s’y formera un précipité ou dépôt de même
co'uleur ; filtrez pour féparer ce dépôt, & verfez
deffus de l ’efprit de tel, que vous y mêlerez bien;
cet acide fera prendre auffitôt un très-beau bleu
à la fécule. Il eft effentiel d’en mettre plutôt plus
que moins, 8c jufqu’à ce que l’on voie qu’il n’augmente
plus la beauté de la couleur. Lavez ce bleu
le lendemain, jufqu’à ce que l’eau forte infipide, 8c
faites-le fécher doucement. Tel eft le procédé par
lequel on fait le bleu de Pruffe.
Voici une autre manière de préparer le bleu de
Pruffe. On fait une leffive de fang de boeuf; c’eft-
à-dire, qu’on le met fécher pour le réduire en
poudre, & on le calcine avec autant de tel alkali
fixe, fait de parties égales de tartre cru & de fal-
pêtre. Cette calcination fe fait dans un ereufet dont
le tiers demeure vide ; on fait un grand feu , qu’on
continue jufqu’à ce qu’il ne forte plus de flamme
de la matière. Sur quatre onces de poudre de fang
de boeuf , on met autant de fel alkali fixe, une once
de vitriol d’Angleterre un peu calciné, diffous dans
fix onces d’eau de pluie, & enfuite filtré; huit onces
d’alun criftallin, fondu dans deux pintes d’eau bouillante,
& deux à trois onces d’efprit de fel. Tous
ces ingrédiens mêlés enfemble fermentent confidé-“
rablement ; on en fait enfuite une leffive avec de
l'eau bouillante, 8c après avoir fuffifamment agité
ces matières- dans des vafes , on coule le mélange ,
qui eft trouble & de la couleur de verd de montagne
; on le fait filtrer à travers un linge, fur lequel
il demeure une fécule verdâtre, qu’on amaffe
pour la mettre dans une petite terrine neuve ; on
verfe fur cette fécule autant de bon efprit de fel
qu’on le juge néceffaire, 8c dans l’inftant elle fe
change en très-beau bleu, qu’on a foin de bien
remuer en plein air, pour en augmenter la vivacité.
Après cette opération, on laiffe repofer la matière
pendant une nuit, parce que ce repos en rend
la couleur plus belle 6c plus vive ; on la lave enfuite
plufieurs fois avec beaucoup d’eau de pluie, en laiffant.
repofer chaque fois la fécule qui tombe au fond
de l’eau, 8c en verfant celle-ci par inclinaifon. Ces
lotions fe réitèrent jufqu’à ce que l’eau devienne infipide
, 8c que la fécule n’ait plus d’acrimonie. Quand"
les lotions font finies 8c que la matière eft au point
où on la veut, on la fait fécher, 8c on la garde pour
l’ufage auquel on la deftine. Tous les ingrédiens
dont nous avons parlé plus haut, ne donnent qu’un
peu plus d’une once de matière bleue , 8c il faut
être accoutumé à une certaine méthode chimique
pour bien réuffir à la préparation de cette belle
couleur. ( Di6l. des Ans & Métiers. )
On prétend qu’en Angleterre on fait un bleu auffi
beau que celui de Pruffe , en fe fervant de Ample
charbon de bois à la place du fang de boeuf. Ce
procédé eft, dit-on, fi avantageux, qu’on en retire
un bleu plus foncé 8c en quantité double de celle
que donneroit le fang de boeuf. Les Anglois ne
laiffent point refroidir le mélange calciné du fel
alkali 8c du charbon ; ils expofent Amplement la
fécule à l’a ir, la remuent de temps en temps, &
n’ont pas befoin d’efprit dè fel, pourvu que le degré
de calcination du fel alkali 8c du charbon foit au
point qu’il le faut.
On fabriqüe à Paris beaucoup de bleu de Pruffe.
La première manufacture fut établie au Temple par
M. Autereffe. Il y en a eu d’autres établies depuis
au fauxbourg Saint-Marcel. Celle de M. d’Heur
paffe, de l’aveu des artiftes qui emploient le bleu de
Pruffe ,pour faire un très-beau bleu. Voici fon procédé
rapporté dans le DiEl. des Arts & Métiers.
Les ingrédiens que M. d’Heur fait entrer dans fa
préparation du bleu de Pruffe, ne font pas tout-à-fait
les mêmes qu’on emploi* en Pruffe.
A fix livres de poudre de fang de boeuf, il ajoute
fix onces de fel de tartre , trois onces de vitriol
d’Angleterre , 8c trois onces d’alun criftallin , lesquels
lui rendent, à la fin des opérations , fept livres
de bleu en pâte , qui fe réduifent à une livre un
quart lorfque le bleu eft fec.
Après que la calcination eft faite, on la met pendant
une demi - heure dans une chaudière d’eau
bouillante , qui contient cinq féaux d’eau , 8c. qui
eft renfermée dans une maçonnerie oh elle n’eft
point à demeure, parce qu’on l’en tire toutes les
fois qu’on veut la vider à fond.
Pendant que le réfidu de la calcination bout dans
cette première chaudière après l’avoir tiré de deffus
les toiles, (pour le faire ce qu’on appelle paffer en
UJfve , 8c dont l’eau qui en découle forme le bleu *