
dans le P. Méneftrier que les Efpagnols ont repré-
fenté les mêmes chofes par d’autres noms. Les quatre
rois, David, Alexandre , Céfar, Charlemagne,
font des emblèmes des quatre grandes Monarchies,'
Juive, Grecque, Romaine & Allemande. Les quatre
dames, Racket, Judith, P allas & Argine, anagramme-
de regina ( car il n’y a jamais eu de reine appelée
Argine ) expriment les quatre manières de régner,
par la piété, par la beauté, par la fageffe & par le
droit de la naiflance. Enfin les valets repréfentoient
les fervans d’armes. Le nom de valets qui s’eft avili
depuis, ne fe donnoit alors qu’à des vaffaux de
grands feigneurs, ou à de jeunes gentilshommes
-qui n’étoient pas encore chevaliers.
Les Italiens ont reçu le jeu de cartes les derniers.
Ce qui pourroit faire foupçonner que ce jeu a pris
naiflance en France, ce font les fleurs de lis qu’on
a toujours remarquées fur les habits de toutes les
figures en carte. LaUire, nom qu’on voit au bas du
valet de coeur, pourroit avoir été l’inventeur des
cartes, & s’être fait compagnon d'HeEtor & d'Hogier
le Danois, qui font les valets de carreau & de pique,
comme il femble que le cartier fe foit réfervé le valet
de trèfle pour lui donner fon nom. Voye£ l’art. Jeu ,
Bibl. Cur. & inftruét. pag. 168.
N o t i o n s préliminaires•
Les caries à jouer font de petits feuillets de carton
minces &liffé s, ordinairement blancs d’un côté , &
peints de l’autre de différentes figures. Les ouvriers
cartiers diftinguent ces figures en têtes & en points ; les
têtes comprennent les Rois, les Dames, les Valets :
les points fous quatre formes différentes , font les
coeurs, les carreaux, les trèfles & les piques, depuis
le n°. i , qu’on nomme as, jufqu’au n°. i o , qui eft
la plus haute carte des points. Les coeurs & les
carreaux font peints en rouge : les trèfles & les piques
en noir. L’affemblage des dix cartes de points avec
un roi, une dame &c un valet de chacune des quatre
figures , coeur, carreau, trèfle & pique, forme le jeu
entier; c’eft le jeu le plus nombreux & le plus complet :
il y a beaucoup d’autres affortimens moins nombreux
dont nous aurons occafion de parler par la
fuite, & qui forment d’autres jeux.
En fabriquant les cartes , on ne'fauroit trop y
apporter de foins & d’attentions pour que leurs défauts
ne compromettent pas les intérêts des joueurs.
Voici donc les qualités qu’on exige des cartes pour
qu’elles fuient parfaites : i°;’ l’envers ou le dos des
cartes doit être d’un blanc bien égal & exempt de
toutes taches ; car la moindre tache remarquable fur
le dos d’une carte peut la faire reconnoître.
2 ° . Les cartes doivent avoir une certaine épaifleur,
parce que fi elles étoient minces à certain point &
tranfparentes, on pourroit appercevoir les points à
travers lorfqu’elles fe préfentent contre le jour.
- 3°. Il faut que les cartes foient fermes, coulantes,
& exaélement de la même grandeur ; car, fans ces
qualités, on ne pourroit, ni les battre, ni les mêler
comme il convient.
4°. Enfin, les couleurs doivent être tranchantes
de manière à être reconnues fur le champ.
Par la fuite des procédés de l’art que l’on va
décrire aufli fuccinélement qu’il fera poflîble , les
cartiers fabricans font parvenus à remplir toutes
ces conditions , & néanmoins le travail de la main-
d’oeuvre s’expédie de manière que le prix des cartes
fe maintient toujours à un taux fort modique.
A r t . I. D e s p a p i e r s avec lefquels on fabrique les
cartes.
On emploie dans la fabrication des cartes trois
fortes de papiers ; favoir , le papier trace , qu’on
appelle aufli main-brune; le papier au pot ; & le papier
cartier. Ces trois efpèces de papiers font fabriqués
dans les mêmes dimenfions ; c’eft-à-dire , que les
feuilles ont 14 pouces de longueur, fur 11 pouces
& demi de largeur.
Le papier trace, ou main-brune , eft un papier de
la dernière qualité : la pâte grife dont il eft compofé
a deux avantages : le premier,' d’ôter toute tranf-
parence aux cartons, au milieu defquels il fe trouve
collé ; le fécond, de prendre bien la colle dans la
fabrique, ce qui rend les cartons fermes & folides.
On fabrique ce papier de deux fortes, relativement
à la quantité de pâte qui entre dans fa compofition.
L’une eft mince , & l’autre eft forte ou étoffée : on
fait ufage de la main-brune mince dans la fabrication
des cartes où il entre quatre feuilles de papief ,
c’eft - à - dire , deux main - brunes collées l’une fiir
l’autre avec le papier au pot d’un côté -& le cartier
de l’autre : on fe fert de la main-brune forte, loffque
les cartes ne font compofées que de trois feuilles de
papier : on évite cependant de faire ufage de main-
brune forte , quand on emploie des cartiers fins ;
parce que le cartier fin découvre h main-brune forte,
c’eft - à - dire , qu’elle devient fenfible à travers le
papier cartier fin. En général, cm a remarqué que les
cartes étoient plus folides"& plus fonnantes lorfqu’elles
étoient fabriquées avec deux feuilles de main-
brune mince, que lorfqu’on n’y employoit qu’une
feule feuille de main-brune forte.
Le papier au pot eft fabriqué avec une pâte
moyenne , & on le colle fort peu dans là papeterie,
parce qu’il doit fervir à l’impreflion des traits des
figures : de même , pour que la peinture des couleurs
dont font enluminées les têtes & les points fe
détache fenfiblement du fond, fl eft néceflaire que
ce papier ait un certain degré de blancheur : au refte ,
depuis l’établiffement du droit fur les cartes, ce font
les régiffeurs généraux qui font fabriquer le papier
au pot pour leur compte & qui le fourniflent aux
cartiers. Chaque feuille porte la marque de vingt
fleurs-de-lis, diftribuées également fur la forme , de
façon qu’il s’en trouve une pour chaque carte.
Dans quelques manufa&ures de cartes, on emploie
une efpèce inférieure de papier au pot qui entre
dans l’intérieur de là carte, & qui fe colle d’un,côté
à la main-brune 3 & de l’autre au cartier : on fait cette
combinaifon lorfque le papier cartier eft d’une pâte
belle & tranfparente ; car pour lors, fans l’inter-
pofition du papier au p ot, le cartier découvrirait,
la main-brune qui fe rendroit fenfible à travers le
cartier : ce qui donneroit à ce cartier un ton grifâtre
& mêmeproduiroit des taches variées qui nuiroient
au beau blanc du dos des cartes fùperfines.
Le papier cartier fe fabrique avec des pâtes de la
première & de la fécondé qualité. L’on a foin fur-
tout qu’elles foient bien pures & exemptes de brocs ,
de pâtons & d’ordures. Comme ce papier eft deftiné
à former le dos de la carte, la moindre défeéluofité
de ce genre occafionneroit beaucoup de déchets ;
c’eft pour les mêmes raifons qu’il doit être fabriqué
avec une forme dont la verjure ne foit , ni trop
froffe, ni trop'fine, & ouvré bien également. Voyeç
ape ter ie . Il faut éviter de lui donner aufli une
teinte de bleu, par la difficulté de la rendre bien
égale., non-feulement dans toutes les rames & dans les
mains d’une même rame, mais encore dans toutes
les feuilles , & même fur les deux faces d’une même
feuille , defaut affez fréquent. C ’eft pour éviter
les clarières'qu’y cauferoient les filigranes des en-
feignes, qu’on n’y met aucune marque, pas même
le nom du fabricant, Enfin, on a l’attention de diftri-
buer les feuilles du papier cartier par rames, fans les f»lier, parce que l’impreflion du pli cauferoit dans
es cartons des fronces & des rides, qui feroient
fort fenfibles fur le dos des cartes.
On pourroit exiger des fabricans les mêmes
attentions dans la préparation des deux autres fortes
de papier dont nous venons de faire attention ; on
éviteroit beaucoup d’inconvéniens , & fur-tout la
première opération du cartier , qui confifte à déplier
la main-brune & à la rompre, c’eft-à-dire, à ouvrir
chaque main, & effacer, le plus qu’il eft poflible,
l’impreflion du pli fur la totalité des feuilles. On y
parvient en appuyant les doigts le long du dos du
p li, & en rapprochant en même temps les deux
extrémités des mains. Quand l’impreflion du pli eft
trop forte pour céder à cette opération, on a recours
a un couteau de bois qu’on fait gliffer fur les dos :
tuais je le répète , il feroit bien plus convenable de
tirer la main - brune des papeteries toute ouverte,
comme le papier-cartier ; on fupprimeroit cette opération
, qui ne fait jamais bien difparoître le pli ;
fouvent même la colle & la preffe n’en détruifent
pas entièrement la marque.
Lorfque les mains de main - brune font bien ouvertes
, on fait le triage des feuilles, qu’on diftingue
fur-tout quant à leur épaifleur différente, & l’on met
fcrupuleufement à part les feuilles minces &- les
feuilles étoffées ou fortes, pour fervir dans les cir-
.cqnftances où elles conviendront le mieux.
A r t . I I . D u MELAGE des diffère ns papiers.
Les cartes font compofées, comme nous l’avons
tht, de trois fortes de papiers collés enfemble , fui-
Vant deux fyftêm&s de combinaifon différente : ou
bien on réunit trois feuilles pour former les cartons,
ou bien on en réunit quatre ; on conçoit que dans
ces deux cas , il faut varier le mêlage de chaque forte
de papier qui doit précéder l’opération de la colle r
outre cela, il y a certaines fabriques où l’on colle
en une feule fois, &. d’autres où l’on colle à deux
fois ; ce qui doit entraîner des difpofitions différentes
dans l’arrangement des feuilles.
Nous ne fuivrons pas tous ces détails de com-
binaifons très - variables , nous nous bornerons à
indiquer les meilleurs procédés Scies plus communs^
& comme la méthode de coller à - la- fo is les trois
papiers a de grands inconvéniens, nous n’en parlerons
pas : nous fuppoferons donc qu’on colle à
deux fois.
Lorfque les cartons doivent être compofés de
trois feuilles de papier, on mêle dans cet ordre ; on
pofe fur la planche une feuille de main-brune ; puis
deux feuilles de cartier ; enfuite deux feuilles de
main-brune ; enfin, deux feuilles de cartier , ainfi de
fuite jufqu’à la fin du tas , qui fe termine par une
feuille de main-brune.
Lorfque les cartons font compofés de quatre
feuilles, il y a deux cas : ou bien l’on forme l’intérieur
du carton de deux main-brunes minces, ou,
bien on réunit une feuille de main-brune avec une
feuille de papier au pot commun, pour le même
objet.
Dans le premier cas, voici l’ordre qu’on fuit pour
le mêlage : on prend deux feuilles de main-brune
qu’on met dos contre dos ; fur ces deux feuilles, on
en place deux autres aufli dos contre dos ; mais il
faut que ces deux dernières débordent les deux premières,
foit par un bout, foit par l’autre, d’environ
deux doigts. On appelle dos d’une feuille de papier,
comme de main-brune ou de papier au pot, la face
d’une feuille pliée en main , qui eft à l ’extérieur de
la main; & la face de la même feuille qui eft dans
l’intérieur, fe nomme ventre. Dans le fécond cas ,
on pofe une feuille de main-brune & une feuille de
papier au pot ; on continue toujours dans le même
ordre, & l’on fait déborder alternativement deux
feuilles par un bout & deux feuilles par un autre ;
cèci donne au colleur la facilité de lever les feuilles
deux à deux à mefure qu’il applique la colle.
Voilà le premier mêlage, qu’on appelle mêlage en
gris ; nous verrons par la fuite ce qui concerne le
fécond, qu’on appelle mêlage en ouvrage, lorfque nous
aurons décrit les opérations qui le précèdent.
En tout mêlage , on a pour but d’offrir au
colleur, dans les tas qu’il doit coller , chaque efpèce
de papier, précifément à la place quelle doit occuper
dans les cartons.
A r t . III. D u p r e m i e r c o l l a g e , & de la préparation
de la colle.
L’ordre do travail nous conduit à parler du collage
, & par conféquent à détailler tout ce qui con-
cerne la préparation & la cuiffon de la colle elle
fe fait dans un atelier particulier, meublé comme oa bUn jj