
fok pour la matière : c’étoit prefque cè que nous
appelons des galettes ou gâteaux , & ils faifoient fou-
vent entrer avec la farine, le beurre, les oeufs, la
graiffe, le fafran 8c antres ingrédiens. Ils ne les
cuifoient point dans un four, mais fur l’âtre chaud,
fur un gril, fous une efpèce de tourtière. Mais pour
cette forte de pain même, il falloit que le bled 6c
les autres grains fuffent convertis en farine. Toutes
les nations, comme de concert, employèrent leurs
efclaves à ce travail pénible ; & ce fut le châtiment
des fautes légères qu’ils commettoient.
Cette préparation ou trituration du bled fe fit
d’abord avec des pilons* dans des mortiers, enfuite
avec des moulins à bras. Quant aux fours & à .
l’ufage d’y cuire le pain, il commença en Orient.
Les Hébreux, les Grecs, les Afiatiquesconnurent
ces bâtimens, 3c eurent des gens prépofés pour la
cuite du pain. Les Cappadociens , les Lydiens 8c
les Phéniciens y excellèrent.
Ces ouvriers ne pafsèrent en Europe que l’an
583 de la fondation de Rome : alors ils étoient employés
par les Romains. Ces peuples avoient des
fours à côté de leurs moulins à bras : ils confervè-
rent à ceux qui produifoient ces machines, leur ancien
nom de pijlores, pileurs, dérivé de leur première
occupation, celle de piler le bled dans des
mortiers; & ils donnèrent celui de pifiorioe aux lieux
où ils travailloient : en un mot, pifior continua de
lignifier un boulanger, & pifioria une boulangerie.
Sous Augufte, il y avoit dans Rome jufqu’à trois
cent vingt-neuf boulangeries publiques, diftribuées en
différens quartiers : elles étoient prefque toutes tenues
par des Grecs. Ils étoient les feuls qui fuffent
faire de bon pain. Ces étrangers formèrent quelques
affranchis , qui le livrèrent volontairement à une
profeffion fi utile, & rien n’eft plus fage que la dif-
cipline qui leur fut impofée.
On jugea qu’il falloit leur faciliter le fervice du
public autant qu’il feroit poflible : on prit des précautions
pour que le nombre des boulangers ne di-
• minuit pas-, & que leur fortune répondît, pour ainfi
dire, de leur fidélité & de leur exa&itude au travail.
On en forma un corps, ou, félon l’expreffion du
temps, un collège, auquel ceux qui le compofoient
reftoient néceffairement attachés , dont leurs enfans
n’étoient pas libres de fe féparer , 6c dans lequel
entroient néceffairement ceux qui époufoient leurs
filles. On les mit en poffeflion de tous les lieux
où l’on mouloit auparavant, des meubles, des efclaves,
des animaux, 8c de tout ce qui appartenoit
aux premières boulangeries. On y joignit des terres
& des héritages ; & l’on n’épargna rien de ce qui
les aideroit à foutenir leurs travaux & leur commerce.
On continua de reléguer dans les boulangeries
, tous ceux qui furent accufés ÔC convaincus
de fautes légères. Les juges d’Afrique étoient tenus
d’y envoyer tous les cinq ans ceux qui avoient mérité
ce châtiment. Le juge l’auroit fubi lui-même,
s’il eût manqué à faire fon envoi. On fe relâcha
dans la fu-ùe de cefte feyérité ; 8c les tranfgreffions
des juges 8c de leurs officiers à cet égard, furent
punies pécuniairement : les juges furent condamnés
à 50 livres d’or.
Il y avoit dans chaque boulangerie un premier patron
ou un furintendant des ferviteurs, des meubles,
des animaux , des efcla ve sdes fours, 8c de toute
la boulangerie ; 8c tous ces futintendans s’affem-
bloient une fois l’an devant les magiftrats , 8c s’éli-
foient un prote ou prieur, chargé de toutes les affaires
du collège. Quiconque' étoit du collège des
boulangers ne pouvoit difpoler, foit par vente, donation
ou autrement, des biens qui leur apparte-
noient en commun ; il en étoit de même des biens
qu’ils avoient acquis dans le commerce, ou qui leur
étoient échus par fucceffion de leurs pères ; ils ne
les pouvoient léguer qu’à leurs enfans ou neveux,
qui étoient néceffair ement de la profeffion: un autre
qui les acquéroit, étoit agrégé de fait au corps ;des
boulangers. S’ils avoient des poffeffions étrangères à
leur état, ils en pouvoient difpofer de leur vivant,
finon ces poffeffions retomboient dans la communauté.
Il étoit défendu aux magiftrats, aux officiers
8c aux fénateurs, d’acheter des boulangers
mêmes ces biens, dont ils étoient maîtres de aif-
pofer. On avoit cru cette loi effentielle au maintien
des autres ; 8c c’eft ainfi qu’elles devroient toutes
être enchaînées dans un état bien policé. Il n’eft
pas poffible qu’une loi fubfifte ifolée. Par la loi précédente
, les riches citoyens & les hommes puiffans
furent retranchés du nombre des acquéreurs. Auffi-
tôt qu’il naiffoit un enfant à un boulanger, il étoit
réputé du corps ; mais il n’entroit en fonction qu’à
vingt ans ; jufqu’à cet âge, la communauté entre-
tenoit un ouvrier à fa place. Il étoit enjoint aux
magiftrats de s’oppofer à la vente des-biens inaliénables
des fociétés de boulangers, nonobftant per-
miffion du prince 8c confentement du corps. Il étoit
défendu au boulanger de folliciter cette grâce, fous
peine de cinquante livres d’or envers le fifc , 8c ordonné
au juge d’exiger cette amende, à peine d’en
payer une de deux livres. Pour que la communauté
fût toujours nombreufe , aucun boulanger ne pouvoit
entrer même dans l’état façerdotal ; & fi le cas
arrivoit, il étoit renvoyé à fon premier emploi : il
n’en étoit point déchargé par les dignités, par la
milice, les décuries, 8c par quelque autre fon&ion
ou privilège que ce fût.
Cependant on ne priva pas ces ouvriers de tous
les honneurs de la république. Ceux qui l’avoient
bien ferviè, fur-tout dans les temps de difettë, pouvoient
parvenir à la dignité de fénateur : mais dans
ce cas, il falloit ou renoncer à la dignité, ou à fes
biens. Celui qui acceptoit la qualité de fénateur , cef-
fant d’être boulanger, perdoit tous les biens de la
communauté : ils paffoient à fon fucceffeur.
Au refte, ils ne pouvoient s’élèver au-delà du
degré de fénateur. L’entrée de ces magiftratures,
auxquelles on joignoit le titre de perfeüijfiniatus,
leur étoit défendue, ainfi qu’aux efclaves, aux
comptables envers le fifc, à ceux qui étoient enr
gagés
gagés dans les décuries, aux marchands, S ceux qui
avoient brigué leur pofte par argent, aux fermiers,
aux procureurs, 8c autres adminiftrateurs des biens
d’autrui.
On ne fongea pas feulement à entretenir le nombre
des boulangers, on pouryut encore à ce qu’ils
ne fe méfalliaflent. Ils ne purent marier leurs filles
ni à des comédiens, ni à des gladiateurs, fans être
fuftigés, bannis , 8c chaffés de leur état ; & les officiers
de police permettre ces alliances, fans être
amendés. Le banniffement de la communauté fut encore
la peine de la diffipation des biens.
Les boulangeries étoient diftribuées, comme nous
avons dit, dans les quatorze quartiers de Rome;
& il étoit défendu de paffer de celles qu’on occu-
poit (fans une autre, fans permiffion. Les bleds des
greniers publics leur étoient confiés ; ils ne payoient
rien de la partie qui devoit être employée en pains
de largeffe ; 8c le prix de l’autre étoit réglé par le
màgiftrat. Il ne fortoit de ces greniers aucun grain
que pour les boulangeries, 8c pour la perfonne du
prince, mais non fa maifon.
Les boulangers avoient des greniers particuliers,
où ils dépofoient*le grain des greniers publics. S’ils
étoient convaincus d’en avoir diverti, ils étoient
condamnés à cinq cents Uv. d’or. Il y eut des temps
où les huiffiers du préfet de l’annone leur livroient
de mauvais grains, 8c à fauffe mefure; 6c ne leur
en. fourniffoient de meilleurs 8c à bonne mefure,
qu’à prix d’argent. Quand ces concuffions étoient
découvertes, les, coupables étoient livrés aux boulangeries
à perpétuité.
Afin que les boulangers puffent vaquer fans relâche
à leurs fon&ions, ils furent déchargés de tutèles,
curatèles, 8c autres charges onéreufes : il n’y eut
point de vacance pour eux, 6c les tribunaux leur
étoient ouverts en tout temps.
* Il y avoit entre les affranchis , des boulangers
chargés de faire le pain pour le palais de l’empereur.
Quelques-uns de ceux-ci afpirèrent à la charge d’in-
tendans des greniers publics; mais leur liaifon avec
les autres boulangers les rendit fufpe&s, 6c il leur fut
défendu de briguer ces places.
C ’ëtoient les mariniers du Tibre 6c les jurés-me-
fureurs, qui diftribuoient les grains publics aux boulangers;
8c par cette raifon,ils ne pouvoient entrer
dans le corps de la boulangerie. Ceux qui déçhar-
geoient les grains des vaiffeaux dans les greniers publics
, s’appeloient faccarïi ; 6c ceux qui les portoient
des greniers publics dans les boulangeries, catabo-
lenfes. Il y avoit d’autres porteurs obçupés à diftri-
buer fur les places publiques le pain de largeffe. Ils
étoient tirés du nombre des affranchis ; 6c l’on pre-
noit auffi des précautions pour les avoir fidèles, ou
en état de répondre de leurs fautes.
Tous ces ufages des Romains ne tardèrent pas à
paffer dans les Gaules : mais ils parvinrent plus tard
dans les pays feptentrionaux. Un auteur célèbre ,
c’eft Borrichius, dit qu’en Suède 6c en Norwège,
les femmes pétriffoient encore le pain vers le mi-
Ans & Métiersi Tome /. Partie /.
lieu du feizième fiècje. La France eut, dès la naif-
fance de la monarchie, des boulangers, des moulins
à bras ou à eau, 8c des marchands de farine, appelés/
ainfi que chez les Romains, pefiors, puis
pannetiers , talmeliers, 6c boulangers. Le nom de talmeliers
eft corrompu de tamifiers. Les boulangers
furent nommés anciennement tamifiers, parce que
les moulins n’ayant point de bluteaux, les marchands
de farine la tamifoient chez eux 6c chez les particuliers.
Celui de boulangers vient de boulents, qui
eft plus ancien; 6c boulents, de polenta ou pollis,
fleur de farine. Au refte, la profeffion des boulangers
eft libre parmi nous : elle eft feulement affu-
jétie à des loix, qu’il étoit très-jufte d’établir dans
un commerce auffi important que celui du pain.
Anciennes & nouvelles loix pour les boulangers•
Quoique ces loix foient en grand nombre , elles
peuvent fe réduire à fept chefs.
i° . La diftinélion des boulangers en quatre claffes;
de boulangers de villes, de boulangers des fauxbourgs
6c banlieue, des privilégiés 6c des forains.
20. La difcipline qui doit être obfervée dans cha-.
cune de ces claffes.
30. La jurifdi&ion du grand pannetier de France
fur les boulangers de Paris.
40. L’achat, des bleds ou farines dont ces maH
chands ont befoin.
50. La façon, la qualité, le poids, 6c le prix du
pain.
6°. L’établiffement 6c- la difcipline des marchés oîi
le pain doit être expofé en vente.
7°. L’incompatibilité de certaines profeffions avec
celle de boulanger.
Les boulangers étoient auffi défignés autrefois fous
le nom de talmeliers, ou talmiers, ou tallemandiers ;
mots fynonymes en latin, talemetarius, feu talema-
rius ; mot qui dérivoit de taleâ mêtari, compter fur
une taille ; parce qu’en effet les boulangers font dans
l’ufage de marquer fur des tailles de bois la quantité
de pain qu’ils fourniffent à crédit.
Les ftatuts donnés par faint Louis aux boulangers
de-Paris, 6c leurs lettres de maîtrife, leur donnent
la qualité de boulangers talmeliers..
L’ordonnance du roi Jean, du pénultième février
1530, tit. 3, art. 8, dit que nuis boulangers ou tale-
meliers ne pourront mettre deux fortes de bleds dans
le pain ; 8c art. 9 , que les prud’hommes qui viftç ,
teront les pains, ne feront mi talmeliers.
Le titre 4 des ’talemeliers 6c pâtjffiers, porte ,
article 1 , que toute manière de talmeliers, four-
niers 6c pâtiffiers qui ont accoutumé à cuire pain-
à bourgeois, le prépareront ès maifons defdits bourgeois
, 6c l’apporteront cuire chez eux.
Boulangers de Paris.
Les fours bannaux fubfiftoient encore avant le
règne de Philippe Augufte. Les boulangers de la ville
fourniffoient feuls la ville : mais l’accroiffement de
, la ville apporta quelque changement6c bientôt il