
démontré plus haut par la manière dont il eft construit
& arcbouté dans tout fon contour.
Refte donc à démontrer que le pont n’eft ni endommagé
ni rompu par le déplacement du bateau,
qui fe trouve alors plus enfoncé dans l’eau qu’il
n’étoit.
C ’eft ici que fe développe tout ce qu’il peut y
avoir de délicateffe dans le mécanifme du pont, 8c
où fe fait fentir l’avantage qu’il y a à en avoir fait
une machine à jointure , flexible dans toute fa longueur
, & tellement analogue à la nature de l’élément
, que,loin que cet élément tende à fadeftruc-
tion par fon élafticité & par fa réaâion , il ne tend
au contraire qu’à la reftituer dans fa forme naturelle
& horizontale. Voyez planche X V , fig. i ; c’eft
la clé de la machine.
Lorfque le fardeau eft vis-à-vis du pilaftre , alors
il porte fur les onze extrémités o , o , o , des pièces
qui forment la travée , ou fur les madriers p q dont
elles font couvertes.
Qu’arrive-t-il alors ? c’eft que le bateau eft tiré
de fon niveau , 8c enfoncé de io pouces 9 lignes :
rien n’empêche cet enfoncement ; car les pièces des
travées o o font mobiles dans la direéfion de cet enfoncement,
à la faveur des ouvertures coniques x ,
y , z , qu’on a pratiquées à chacune de leurs extrémités
, de l’arrondiffement qu’on a donné au fommier
fupérieur f g d’où partent les goujons g qui entrent
dans les ouvertures coniques, de la diftance que
l ’on a laiffée entre les madriers p q, & des bifeaux
f j b , t , qu’on a faits à l’extrémité de ces pieux.
Si les ouvertures x , y , z , n’avoient pas une figure
conique, les pièces de la travée o o feroient
immobiles 8c roides.
Si Ton n’avoit pas arrondi la furface fupérieure des
fommiers fupérieurs f g , ou le bateau d d , c c n’en-
fonceroit point, ou ne pourroit enfoncer fans incliner
, & peut être rompre les bateaux collatéraux.
S’il n’y avoit point de bifeau aux extrémités f , b ,
t , des pièces des travées 000 qui portent fur les
fommiers des bateaux collatéraux du bateau d d , c c;
ces pièces feroient lever les madriers qui couvrent
leurs extrémités, & briferoient la chauffée.
Si on n’avoit pas lailfé une diftance convenable
entre les madriers p q, ils auroient empêché les pièces
qu’ils couvrent de fe mouvoir.
Alors rien ne cédant, ou tout ce qui devoit céder
ne cédant pas , il s’en feroit fuivi une réfiftance parfaite
8c parfaitement inutile à l’aâion du fardeau, à
moins que-Je pont n’eût été d’une folidité, qui en
auroit augmenté la pefanteur au point qu’il n’auroit
pu être foutenu par les eaux , & qu’il n’eût pas été
poflible de le conftruire facilement.
Mais ici tout cédant, l’eair dont on avoit tout à
craindre pour les machines roides , devient par fa
xéaftion & fon élafticité, une force auxiliaire dont
î’aâion eft mife à profit, & dont on a trompé les
caprices en y obéiffant.
Lorfque le poids agit fur le bateau d d , c c , il s’enfonce
, comme on le voit dans cette fig. t , pl. X V 3 .•
à mefure que le fardeau paffe, en s’avançant de ƒ
vers i , il fe relève, 8c la chauffée qui s’inclinoit vers ƒ
s’approche fucceffivement de la ligne horizontale
devient horizontale & s’incline vers i , 8c ainfi de
fuite.
Enforte que le fpe&ateur qui examineroit la figure
que prend fucceffivement le pont, à mefure qu’un
fardeau paffe de l’une de fes extrémités à l’autre,
verroit les travées s’incliner & fe relever, 8c le pont
entier jouer & comme ferpenter.
Les mouvemens inftantanés des fardeaux fe ré-
duifent donc à altérer fucceffivement la figure entière
du pont, mais non à le rompre ; la chauffée
fuivant toujours Tabaiffement & le relèvement des
pièces des travées, les travées s’abaiffant & fe relevant
toujours avec le bateau, & le bateau s’enfonçant
plus ou moins, félon que le poids approche ou
s’éloigne plus ou moins de fon fommier fupérieur,
Donc le mouvement inftantané des eaux qui naît
de l’aéfion du fardeau , ne tend ni à rompre un bateau
, ni à rompre le pont par le déplacement fuc-
ceffif des bateaux ; ce déplacement ne confiftant que
dans un enfoncement plus ou moins grand que les
bifeaux, les ouvertures coniques, l’éloignement des
madriers & Tarrondiffement des fommiers fupérieurs
rendent poffibles fans aucun inconvénient.
30. Les mouvemens inftantanés du vent né ten-
- dent ni à rompre lès bateaux, ni à produire en eux
un déplacement qui occaffonne la rupture du pont.
Si ces mouvemens fe font félon le cours de la
rivière, alors les eaux en ont feulement plus de vi-
teffe , frappent avec plus de violence contre la proue
du bateau, bandent plus fortement la corde qui part
de fon mât, 8c puis c’eft tout.
Si ces mouvemens au contraire font irréguliers
& croifent la direéfion des bateaux, je vais démontrer
pareillement que leurs efforts font inutiles.
Car de ces mouvemens les principaux font ceux
de tournoiement & de gonflement.
Par le mouvement de tournoiement des eaux,
les bateaux font frappés en flanc, 6c par celui de gonflement
, ils font foulevés.
Or je prétends que, foit que les eaux tournoient,
foit qu’elles fe gonflent, elles ne briferont ni ne déplaceront
les bateaux.
Les bateaux ne feront brifés ni par les eaux tournoyantes
, ni par les eaux fubitement gonflées : c’eft
une des fuites évidentes de la folidité de leur conf-
truéfion, & de l’attention qu’on a eue de les arebou-
ter en tout fens. Refte donc à démontrer qu’ils ne
feront pas déplacés.
Ils ne feront pas déplacés par les eaux tournoyantes
; car pour cet effet il faudroit, 1 °.pl. XIV,
fig' S > que les pièces 00 des travées fuffent déplacées,
ce qui eft impoffible , retenues qu’elles font
par des goujons d’une force infurmontable, & au
nombre de onze par chaque bateau ; 20. que les.
diagonales rs , r s , les attaches r , s , v , fe rom-
pillent, 8c elles font elles feules d’une folidité à
réfifter aux efforts les plus violensv.
Ils ne feront pas déplacés par les eaux gonflées ;
car voyons , planche X IV , fig. n°. / 8c 2 , ce que
peut produire ce gonflement.
Ce gonflement tend à foulever un bateau ; o r ,
ce foulèvement eft toujours poflible. Il fe fera précisément
comme il fe feroit fi le fardeau qui tient le
bateau d d , c c , enfoncé, étoit fuppofé fübhement
anéanti.
Mais, me dîra-t-on, fi le gonflement étoit très-
confidérable , les pièces des travées 0 0 , venant
alors à s’incliner vers les bords du bateau d c , 8c
les bords d c , à s’élever vers les pièces des travées,
le bateau pourroit en être froiffé.
Loin d’affoiblir cette objeéfion, je vais en doubler
la force en faifant obferver qu’elle a lieu, non-feulement
par rapport au gonflement qui foulève les
bateaux, mais encore par rapport au poids qui paffe
fur la chauffée & qui les enfonce ; car fi le gonflement
qui foulève le bateau d d , c c , l’expofoit à
avoir les bords froiffés par les pièces des travées 000,
le fardeau qui l’enfonce expoferoit fes collatéraux au
même froidement, puifque le gonflement agit dans
une direéfion contraire au fardeau, à moins que ce
mouvement des eaux ne foit général ; alors le pont
fe trouve foulevé dans toute fa langueur, 8cril n’y
a plus de froiffement à craindre. Je réponds à cette
difficulté, que c’eft pour éviter l’un & l’autre de ces
inconvéniens , qu’on a élevé confidérablement les
fommiers fupérieurs , planche X IV , fig. 3 , n°. 1, 8c
fig. S, au deffus des bords des bateaux , & que de
plus on a ajufté aux pièces des travées 0 0 , & aux
côtés des bateaux , les attaches r , s , v .
A l’aide de ces attaches r , s, v , des bouts de
chaîne u , des diagonales r s , r s , des bifeaux 1, b , t,
de l’extrémité des pièces o o qui font les travées de
l’intervalle laiffé entre les madriers p , q , des boulons
i , i , qui affujettiffent les madriers fur les pièces
00 des travées ; au moyen des pitons fig. 3 ,
n°. i , pofés latéralement fur les pièces 00 qui occupent
les parties latérales des travées ; de l’arron*
diffement des fommiers fupérieurs f g ; des ouvertures
coniques x y z , pratiquées aux extrémités des
pièces 00 des travées; des clavettes s s .fig. 3,n°. 1,
paflees dans les boulons i , i , & de la# liberté que les
goujons g ont de fe mouvoir dans les ouvertures
coniques x , y , z ; un bateau peut fe mouvoir en
tout lens, 8c ne peut s’échapper d’aucun.
On a donc dans le pont conftruit comme je le pro-
pofe, une machine fouple qui ne peut être brifée
par l’eau , à laquelle elle n’oppofe aucune réfiftance,
& dont toutefois les différentes parties font fi folides
& fi folidement unies, qu’il n’eft pas poflible qu’elles
foient ou brifées ou féparées, foit par des mouvemens
conftans des eaux, foit par des mouvemens
inftantanés ; ce que j’avois à démontrer.-
Troifième partie.
L a c o n f t r u é f io n d u p o n t p r o p o f é e f t p r o m p t e 8c
fa c i l e , 6c i l p e u t r e c e v o i r d i x h om m e s d e f r o n t .
i° . Il peut recevoir dix hommes de front, car il
eft évident par la longueur que nous avons affignép
aux madriers qui forment la chauffée, qu’elle a du
moins i«} pieds 6 pouces entre les baluftrades.
20. 11 peut être facilement 6c promptement conftruit.
Car , dans la fuppofition qu’on a le nombre de
bfas fuffifans, tout s’exécute en même temps.
Je fuppofe la largeur de la rivière prife ; le nombre
des bateaux néceffaires à la conftruéfion du pont,
déterminé ; ces bateaux lancés à l’eau, alignés 8c
tenus à 18 pieds les uns des autres, par le moyen
des chevrons de fapin pofés à la partie la plus élevée
de la pouppe 6c de la proue, 6c fixés par des goujons -
à cet ufage ; & les madriers de fapin qui portent des
trétaux de Tavanf-pont fur les rouleaux du premier
bateau, 6c qui fervent d’échafaud au pontonnier,
placés. Cela fait, il" eft évident que les cinq ou fix
pièces de la première travée fe pofent en même
temps , 6c fervent tout de fuite d’échafaud à ceux
qui pofent les madriers ; tandis que Téchafaud des
porteurs de travée, paffant des rouleaux du premier
bateau à ceux du fécond, eft prêt à recevoir
ceux qui portent en même temps les cinq ou fix
pièces de la travée fuivante, qui fert d’échafaud ,
comme on a déjà dit, aux porteurs de madriers, 6c
ainfi de fuite
Pendant cette manoeuvre ininterrompue, d’autres
bras pofent les pilaftres, la baluftrade , les fers diagonaux
, les attaches, 6c forment avec toute la rapidité
convenable le pont de la planche V.
Cette promptitude d’exécution n’aura rien d’éton-
nant pour ceux qui ont bien conçu la fimplicité de
la machine , 6c qui connoîtront par expérience la
viteffe du fervice, lorfqu’il eft fait par des hommes
exercés , tels que je fuppofe ceux qui y font employés
ici.
Mais, me dira- t-on , nous voyons bien à l’aide
de vos madriers de fapin , les porteurs de travée
s’avancer, 8c fur les pièces qu’ils ont pofées les porteurs
de madriers les fuivre ; mais nous ne concevons
point comment le retour de ces hommes fe
fait fans embarras.
Je réponds à cela, qu’on a dû remarquer que la
chauffée n’ayant que 16 pieds , 8c les fommiers
fupérieurs en ayant 18 , il refte à chaque bout de
ces pièces un pied fur lequel, de fommier en fommier
, il y a un madrier de fapin qui facilitera le
retour des ouvriers à droite 8c à gauche en dehors.
Donc le pont fe conftruit promptement 6c faci-
ment.
Donc il peut recevoir dix hommes de front.
Donc les mouvemens de l’eau les plus violens &
les plus irréguliers ne le rompent point.
Donc il peut fupporter les fardeaux les plus
lourds.
Donc il a toutes les qualités requifes.
Donc j’ai réfolu le problème d’architeéhire militaire
que je m’étois propofé.
Je paffe à la quatrième partie de ce mémoire.
C c c c ij