Les caraétères mantcheoux font abfolument les
mêmes que les caraétères igours , introduits à la
cour des Mogols , du temps de Genghizkan; les
Mantcheoux n’y ont ajouté que les traits 6c les petits
cercles qui marquent l’afpiratîon; ce qu’il y a
de Singulier, c’eft que ces caraétères igours, mogols
, ou mantcheoux, car on peut à préfent leur
donner ces différens noms, ont le même coup-d’oeil
que les caractères fyriaques, & que la valeur & la
configuration de plufieurs de leurs élémens, font
décidément les mêmes : aufîr y a-t-il beaucoup
d’apparence que les Igours, horde des Turcs orientaux
qui habitoient dans le voifinage de la. Chine ,
ou eft fitué aujourd’hui Turphan, les avoient empruntés
des Syriens neftoriens qui s’étoient répandus
jufques dans les pays les plus éloignés de la
haute Afie. Les Igours devinrent tous chrétiens.
Ils avoient du temps de Genghizkan des évêques particuliers,
comme il y en avoit à la Chine, ainfi qu’on
en a la preuve par le monument de Sighanfou. Les
caraCtères mantcheoux s’écrivent perpendiculairement
en commençant à la droite & finiffant à la
gauche , comme -la plupart des orientaux : cette façon
extraordinaire de tracer leur mots perpendiculairement
, leur eft venue probablement encore
des Syriens , qui, bien qu’ils îoient dans l’habitude
de lire de droite à gauche, n’ont pas laifïe de tracer
leur caraCtères perpendiculairement de haut en
bas ; ainfi que le dénote ce vers latin :
E coelo ad fiomachum relegît chaldtza lituras.
Les Tartares mantcheoux ont confervé leurs lignes
dans le fens qu’ils les traçoient, à caufe de l’obligation
ou ils fe font vus de traduire le chinois in-
terlinéairement, ou d’en mettre la leéture dans leurs
caraCtères. Aurefte, ils peuvent également s’écrire
& fe lire de la droite à la gauche, comme le fyria-
que. Cet alphabet que les Mantcheoux appellent en
leur langue tchouan-tchoue- outchou , c’eft-à-dire,
les douze têtes, eft partagé en 12 clafles, dont chacune
contient 112 lettres ; c’eft leur fyllabaire qu’ils
font apprendre aux enfans. Pour éviter la dépenfe
inutile de plufieurs planches de gravures qu’un pareil
fyllabaire auroit demandé, nous nous fommes
contentés de tracer fimplemept les élémens de cet
alphabet, félon les différentes configurations qu’ils
prennent, foit au'commencement, foit au milieu ,
foit à la fin des mots, par rapport à leurs liaifons.
Quoique les Tartares Mantcheoux ne préfentent
point leur alphabet, fuivant cette méthode , nous
ofons affurer cependant que c’eft la plus fimple , la
plus facile & la plus courte.
Les points qui font à côté des mots, de part ou
d’autres, s’appellent thongkhi, les caraCtères grands
& petits s’appellent fouka, les virgules ou points
«’appellent tfic ; quand il n’y a qu’un tfic , le fens
de la phrafe n’eft pas achevé; quand il y a deux
tfic, il eft achevé. Les traits s’appellent tfuchoun.
P l a n c h e XXIV, Alphabets Japonnoîs•
Cette planche contient trois alphabets différens
de la langue japonnoife. Le premier, appelé fi.ro-
canna, 6c le fécond,caita canna, font communs aux
Japonnois en général 6c en ufage parmi le peuple.
L ’alphabet imatto canna pu plutôt jamatto canna ,
n’eft en ufage qu a la cour du Dairi, ou de l’empereur
eccléfiaftique héréditaire ; il eft ainfi appelé
de la province de Jammafiiro ou eft fitué Miaco,
réfidence de ce prince.
Il n’eft pas difficile d’appercevoir que les élémens
de ces trois alphabets font empruntés des caraCtères
chinois. Ce font en effet tous caraCtères chinois
écrits très-librement, mais dont la prononciation eft
changée. Comme ces caraCtères marquent de§ fyl-
labes entières, on en fent toute l'imperfeétion par
rapport à nos langues dont les alphabets compofés
de iimples voyelles Sc confonnes, peuvent exprimer
toute forte de fons. J’ignore fi ces alphabets
font antérieurs à l’entrée des Européens au Japon ,
& fi ces peuples les ont inventés d’eux-mêmes. Les
favans du Japon lifent les livres chinois comme les
Chinois mêmes ; mais la manière dont ils prononcent
les mêmes caraCtères eft fort différente. Les Japo-
nois compofent aufli en chinois ; & fouvent, pour
en faciliter la leéture, ils font graver à côté du chinois
6c interlinéairement , la prononciation dans
leurs caraCtères alphabétiques, de même que font
les Tartares-Mantcheoux. J’oubliois de dire qu’ils
écrivent comme les Chinois perpendiculairement,
ou de haut en bas & de la droite à la gauche.
P l a n c h e X X V . Clés Chinoifés.
Les Chinois n’ont point d’alphabets, même leur
langue n’en eft point fufceptible, n’étant cômpofée
que d’un nombre de fons très-borné. Il feroit im-
poffible de pouvoir entendre du chinois rendu dans
nos caraCtères, ou dans tel autre qu’on pourroit
choifir. Ils n’ont que 328 vocables 6c tous mono-
fyliabiques, applicables à environ 80000 caraCtères
dont leur langue eft compofée ; ce qui donne pour
chaque monofyllabe, en les fuppofant partagés également
, 2 4 3 à 2 4 4 caraCtères. Or, fi dans notre langue
françoife nous fommes quelquefois arrêtés pour
quelques mots homophones, dont la quantité au refte
eft fort bornée, qu’on juge de l’embarras & de la
gêne continuelle où doivent être les Chinois-, de
parler une langue dont chaque mot eft fufceptible
d environ 2 4 4 fignifications différentes. Cette barbarie
de langage, car c’en eft une, fournit des réflexions
fur l’antiquité du chinois ; mais je ne m’y
arrête point ic i, & je me contente de renvoyer à
1 Encyclopédie, au mot Langue. Cependant, 328
vocables n’étant point fuffifans pour exprimer tous
les êtres, & leurs différentes modifications, les Chinois
ont multiplié ces fons par cinq tons différens,
que nous marquons par les fienes fuivans , Jorfque
nous^ écrivons du chinois dans nos caraétères ;;
9 9 9 9 •
Le premier ton , — , appelé ping ching, c’eft-a-
dire, fon égal &• plein, fe prononce également fans
hauffer ni bailler la voix.
Le feèond ton, A, appelé tcho ping, c’eft-à-dire ,
'fin trouble & confus, fe prononce en baiflant un
peu la voix fur la fécondé fyllabe lorfque le mot
eft compofé de deux fyllabes, ou s’il n’en a qu’une,
en prolongeant un peu la voix.
Le troifième^ton,' , appelé chang ching, c’eft-à-
dire , fon élevé, eft très-aigu.
Le quatrième to n ,7, appelé kiu ching, fon qui
court, fe prononce d’abord d’un ton aigu , 6c defcend
tout-d’un-coup au ton grave.
Le cinquième ton , v , appelé je ching, fe prononce
encore d’une manière plus grave que le précédent.
-
Au moyen de ces cinq tons, les 328 vocables fe
trouvent déjà .monter à 1640 mots, dont la prononciation
eft variée. Il y a encore les afpirations de
chacun de ces tons qui fe marquent par un petit
c , 6c doublent ce nombre de 1640; enforte qu’au
moyen de ces prononciations afpirées, nous trouvons
déjà 3 280 vocables affez bien diftingués peur
des oreilles chinoifés accoutumées à cette délica-
teffe de prononciation ; 6c l’on conviendra que cette
fomme de mots eft prefque fuffifante pour fournir
à une converfation même affez variée. Mais ce qui
lève prefque toutes les difficultés qui pourroient
réfulter de ces homophonies, c’eft que les.Chinois
joignent deux ou trois monofyllabes enfemble pour
former des fubftantifs, des adjeétifs 6c des verbes ,
.comme :
Pan Kieou, une Tourterelle.
Chan K i , Phaifan, mot à mot, Poule de montagne.
Siao K i , Poulet, mot à mot, Petite Poule.
K y Mou , Belle-mère, mot à mot, fuccèder mère.
Ju Mou, Nourrice, mot à mot , Mère de lait.
K y Mou , Poule, mot à mot, Poule mère.
Ting Hiang Houa, Giroflée, mot à mot, Fleur
de clou aromatique.
Nonobftant cela, on -doit fentir quelle préfènee
de mémoire & quelle délicateffe d’oreille il faut
avoir pour combiner fur le champ ces cinq tons,
6c les rappeler en parlant couramment, ou les
diftinguer dans un autre qui parle avec précipitation
, 6c qui marque à peine l’accent 6c le ton particulier
de chaque mot.
Venons maintenant à l’écriturè chinoife qui doit
faire notre objet principal. Si la langue parlée des
Chinois eft pauvre, en récompenfe leur écriture
eft fort fiche 6c fort abondante. Nous avons- dit.
qu’ils avoient aux environs de 80000 caraétères ,
car le nombre n’en peut être borné ; 6c il eft aifé.
& même quelquefois néceffalre d’en compofer de
nouveaux,lorfque l’occafion l’exige, & que l’ëfprit
•humain étendant fes bornes , parvient.à de non—
vents connoiffances.
Je penfe que dans les commencemens, le nombre
dés caraétères chinois n’excédoit pas celui des monofyllabes
dont nous avons parlé ci-deffus , c’eft-à-
dire, qu’il n’alloit qu’à environ 328 ; mais ce que
je ne conçois point, c’eft que ces caraétères fe foient
multipliés à*l’infini , & qu’on n’ait point imaginé de
nouveaux fons pour les faire entendre à l’oreille. Il
y a dans cette conduite des Chinois, quelque chofe
d’extraordinaire & de difficile à comprendre ; car
fi la comparaifon des caraétères chinois avec nos-
caraétères numériques eft jufte , on conviendra qu’il-
feroit impoffible de faire entendre la valeur de ces-
chiffres, fi l’on n’avoit point imaginé autant de mots
qui les préfentaffent à l’oreille, comme l’écriture les-
diftingue-aux yeux.
Dans l’origine , les caraétères chinois étoient ,
comme ceux des Egyptiens, autant d’images qui:
repréfentoient les objets mêmes qu’on vouloit exprimer
; 6c c’eft ce qui a porté plufieurs favans hommes-
à foupçonner que les Chinois tiroient leur origine
des Egyptiens, ou que ces derniers venoient des-
premiers, 6c que leur écriture ne devoit point être'
différente. On a prétendu plus encore, il y a quel—
ques années : on a voulu infinuer qu’une partie des->
caraétères chinois étôit formée de l’affemblage de'
deux ou trois lettres radicales empruntées- de l’alphabet
des Egyptiens ou de celui des Phéniciens.y
6c que ces lettres, déchiffrées 6c liées fuivant leur--
valeur, foit égyptienne, foit phénicienne , figni-
fioient précifément ce que ces mêmes caraétères;.
étoient deftinés à exprimer chez les Chinois.. On ;
voulut appuyer ce fyftême par l’hiftoire des-Egyp--
tienS’& des Chinois, 6c on prétendit prouver que-
les noms des empereurs chinois-des deux-premières >
dynafties, Hià 6c Chang, écrits en caraélèfes-chi—
nois?, mais lus à l’égyptienne ou à la phénicienne
félon le fyftême dont on vient de parler, offroient
Tes noms de Menés., de Thot & des autres’ rois ?
d’Egypte , fuivant le rang, qu’ils occupent dans le
canon d’Eratofthèn?s; Ce fyftême fembloit pro--
mettre de grands changemens dans J’hiftoire , 6c
ouvrir une nouvelle carrière aux*chronologiftes ; .
mais malheureufement il eft demeuré fyftême 3-
j’ofe défefpérer que jamais on ne pourra alléguer la ■
moindre autorité qui puifle le rendre plaufible. Ce
n’eft point là mm plus- l’idée qp& l’on doit.fe former
des caraétères chinois..
A l’exception d’un certain-nombre dé ces caractères
qui n'ont qu’un rapport d’inftitution avec les
chofes fignifiées, tous les autres font repréfent'atifs
des objets mêmes. Les chofes incorporelles ^ telles
que les rapports & lés actions dès êtres ,mo's idées ,
nos payions-, nos-fentimens, font exprimées dans
cette écriture .d’une .manièreSymbolique , mais également
figurée:, à caufe des rapports fenfibles que-
l’on remarque entre ces^repréfentations -& les qualités
, les fentrmens & les paffions des, êtres vivans»
Les Chinois-; les Egyptiens, les Mexicains , & quelques
peuples encore , ont imaginé ces fortes de
caraétères , fans, pour cela qu’on puiffe foupçonner.