
Le propre du levain eft de changer la nature des
chofes & de fe reproduire ; mais il ne fe reproduit
qu’avec fon femblable, ou avec quelque chofe qui
tienne de lui ; & plus la chofe avec laquelle fe mêle
le levain approche d© fa nature, c’eft-à-dire, plus
elle lui eft analogue , plus elle lui devient femblable ;
c’eft ce qui fait que le levain de pâte eft plus convenable
dans le pétriffage du pain, que n’eft la levure ,
qui y convient aufli, mais feulement parce qu’elle
contient du farineux.
On entend par levain dans la boulangerie , un
morceau qu’on a détaché de la pâte après avoir
pétri, & que l’on garde jufqu’au temps qu’on repétrira
; pendant lequel temps ce morceau de pâte fermente
en vieîlliflant.
Ainfi le levain de boulanger eft une pâte qui a
plus le vé, plus fermenté qu’il ne faudroit pour faire
du pain ; & qui dans cet état , ajoutée à de la
fimple pâte, c’efi$-à-dire , à de la farine alliée &
travaillée avec de l’eau , la fait fermenter, la fait
lever plus promptement &. mieux quelle ne feroit
fieule. H v
La farine, alliée avec de l’eau en pâte , fait de
mauvais pain , fi avant de la mettre au four à cuire,
elle n’a pas levé ou fermenté ; comme le moût, le
vin doux ne devient jamais de bon vin , ou plutôt
n’eft jamais vin, qu’après avoir bouilli ou fermenté.
Le levain foûtient la pâte : une pâte qui aura été
pétrie fans levain, tombera , s’amollira en la gardant
; fi au contraire elle eft avec levain, ell'é deviendra
plus ferme ; c’eft pourquoi il fautjaire la
pâte plus "ferme lorfqu’on la pétrit avec un levain
foible ; & il faut employer un levain plus fort, ou
en mettre une plus grande quantité, lorfque la pâte,
par la nature de la farine, a moins de liaifon ; c’eft
la raifon pour laquelle les pâtes pour faire, le pain
de châtaignes, celui de pommes de terre, & celui^
de glands , ont plus befoin de levain , parce que
leurs pâtes fe foutiennent moins , ont moins de
liaifon: l’aéfion du levain demande & fuppofe dans
la pâte à lever une liaifon ou connexion des parties
<jui compofent la pâte, .autrement elle né leveroit
pas : l’union des parties d’un corps eft effentjelle à
la fermentation, comme l’aâion l’eft à la réa&ion.
Cette liaifon des parties de la pâte , cette adhéfion
entre elles, eft néceffaire pour que la pâte lève; il
s’agit, pour faire du pain de toute farine, d’en faire
lever la pâte : j’exhorte à fuivre ce principe, lorfque
pour perfectionner l’art défaire du pain, on cherche
les moyens d’en compofer avec des farineux avec
lefquels on n’a pu encore jufqu’à préfent en faire de
bon ; & je repréfente qu’il ne faut point accufer ici
l’art des difficultés ae la nature.
.On compte ordinairement quatre fortes de levains
de pâte ; favoir , i°. le premier levain; 20. le levain
de premier; 30. 1 e\levain de fécond; 40. enfin, le
levain de tout point.
i° . Le premier levain, autrement nommé levain
de chef, eft un morceau de la pâte qu’on avoit pétrie
gvec le levain à l’ordinaire ? & qu on a laiffé fermenter
à part, réfervant ce morceau de pâte pôu£
fervir de levain lorfque l’on reboulangera le lendemain
ou les jours fuivans. Le temps où ce levain
eft le meilleur, c’eft au bout de vingt-quatre heures.
2°. Le levain de premier eft le premier levain ,
après qu’il a été rafraîchi : à Rennes , ils nomment
ce levain fait du premier , le rafraîchi.
3 °. Le levain de fécond, autrement nommé levain
de deuxieme, eft le levain de premier renouvellé }
c’eft le levain provenant du fécond.
4°. Le levain de tout point, eft le levain de fécond
que l’on a refait.
Bien des boulangers ne font que trois fortçs de
levains : ils fe contentent de renouveller le premier
levain deux fois ,, au lieu de trois ; ils ne font point
de levain de premier : ils nomment le levain qui
réfulte du premier rafraîchiffement, levain de fécond,
parce qu’il eft reçu de nommer toujours levain de
fécond , le levain qui précède immédiatement celui
de tout point, foit qu’on ait fait ce levain de fécond
avec le premier levain, foit qu’on l’ait fait avec le
levain de premier.
Le dernier levain avec lequel on pétrit la pâte
pour faire le pain, eft toujours ce que l’on nommé
levain de tout point.
Le levain fatigué, eft un levain affoibli; on fatigue
les levains en leur donnant trop à faire , lorfqu’on
les prend trop petits, à proportion de la pâte dans
laquelle on a fait plufieurs fournées de fuite, depuis
qu’on a refoidi le premier levain. Les levains s’a -
douciffent en les renouvcllant; ils fe détruifent en
quelque foîte en fe reproduisant : tout change &.
s’affoiblit en engendrant.
Le levain verd ou levain jeune , eft celui qu’on
a laiffé moins de temps à lever: il faut prendre le
levain pour pétrir, trop jeune plutôt que trop vieux,
mais il eft mieux de le prendre dans fon plus haut
degré, de levement : les fermens ont un temps où ils
font plus aétifs & plus contagieux, qu’ils ne le font
dans leqr commencement & dam leur dernière.maturité,
V4 la levure,
m La levure eft une écume qu’on tire de la bière,
forfqu’elle fermente dans la cuve.
On s’en fert comme de levain ou de ferment en
faifant le pain, à caufe qu’elle fait renfler la pâte
en très-peu de temps, & quelle rend le pain plus
léger & plus délicat. Lorfqu’on en emploie trop, le
pain eft amer.
L’ufage de la levure dans’ le pain eft nouveau parmi
nous , & il n’y a pas plus de 80 ans qu’il s’eft
introduit, d’abord par l’avarice des boulangers, ôt
ce n’étoit en premier lieu que furtivement qu’ils
l’employoient ; mais Pline affure que cet ufage étoit
connu des anciens,Gaulois.
La faculté de médecine, par un décret du 24 mars
1Ô.88 , a déclaré que l’ufage de la levure étoit nul-
fible à la fanté ; mais elle n’a cependant pu empêcher
f t^u’on ne s’en fervît.
La bonne levure vient de la bière nouvellement
brafféê qui fe gonfle en fermentant, & d’où il fort
une écume par le bondon de la futaille ou pièce dans
laquelle on l’a entonnée.
On met fous chaque pièce de bière une petite cuve
ou baquet, pour recevoir cette écume, qui s’épure
& qui dépofe ce que l’on nomme levure.
On fépare cette levure en verfânt par inçlinaifon
le liquide qui fumage, & qui eft une bière beaucoup
plus amère que celle qui eft reliée dans la pièce.
Cette écume de la bière fournit aufli deux fortes
de levains ; l’un eft h levure qui fert aux boulangers
SC aux pâtifliers; l’autre eft la liqueur amère qui
fert de levain aux braffeurs pour faire travailler leur
bière.
La bière pourroit fermenter d’elle-même , fans y
ajouter de levure , comme la pâte pourroit lever
d’elle-même fans y mettre de levain, & comme le
moût travaille fans qu’on y ajoute de ferment ; mais
la bière ne fermenteroit pas bien, elle ne le feroit
point affez promptement d’elle-même : & la bière &
îapâte ne feroient point affez fpiritueufes, elles de-
viendroient aigres, fi on les laiffoit fans les exciter par
un ferment.
La levure sèche fe prépare en mettant la levure liquide
dans des facs à égoutter ; enfuite on la met à la
preffe; puis on la partage en petites maffes qu’on
moule. Cette levure eft molle, mais sèche.
La levure feule ne donne pas un bon goût au pain,
comme fait le levain naturel : le pain qui mitonne le
mieux n’eft pas celui qui eft le plus levé par la le- ■.
vure, non plus que le pain qui n’eft: pas affez le v é , j
a quoi eft fujet le pain qui n’a levé que par le levain ;
fimple.
On met de la levure avec le levain pour le pain
mollet & pour le blanc ; on n’ en mtt point, ou l’on
n en doit point mettre pour le pain bis-blanc, parce
que naturellement le pain bis-blanc eft plus difpofé
à lever que le pain blanc.
La levure fait le pain moins blanc que ne le fait le
levain de pâte, parce que la levure eft un levain
plus v if; o r , plus les levains font forts, moins ils
font le pain blanc, au lieu que le travail des mains
ïe blanchit; c’eft pourquoi il faudroit travailler la
pâte par les levains ou par la, levure, un peu moins
qu’on ne fait aujourd’hui, ôç l,a travailler plus par les
mains.
Four dé boulanger,
La conftruéfiontfw four àpain peutfe faire fans beaucoup
de frais. Pour en pofer les fondemens, on creufe
l’enceinte jufqu’à l’argile , s’il eft pofliblè ; finon
l’on fouille environ deux pieds au deffous du terrain,
une enceinte aufli large que doit l’être tout le four ;
on bat bien la terre dans cet endroit ; enfuite on y
met une aflife de pierres plates, puis une couche de
mortier, & une aflife de gros cailloux ou pierres
à fufil; & ainfi fucceflivement, pour former l’enceinte
du mur. Cette enceinte a communément environ
un pied & dèmi d’épaifleùr.
Arts & Métiers, Tome I, Partie I»
Il n’eft: pas befoin de,creufex la terre que cette enceinte
environne : c’eft le lieu deftiné à recevoir les
cendres, ou a mettre du bois. Quelquefois à la campagne
on y met les poules, en leur faifant une entrée
par la cour; fans quoi le poulailler répandroit une
fort mauvaife odeur -dans la niaifon, en temps de
pluie. , ' ’ 1 ’
Si l’on n’a ni briques, ni pierres pour faire une
voûte fous l’âtre, on peut faire un plancher de pièces
de chêne, d’orme, du d’autre, bdh bdis, que Ion
couvre de cailloux, de moilons ou.pierrailles St de
mortier, puis d’une aire de bons carreaux.
Poùr la voûte bu chapelle du four, on peut la commencer
avec des branches de coudrier ,- attachées
enfemble en forme de mailles carrées, avec de la
ficelle. Les brins perpendiculaires font fiches dans le
mortier, hors de l’aire du carreau. Cette cage eft très-
folide. On l’enduit intérieurement avec parties égales
de mortier 8t de foin, dont on fait des pièces longues
comme le bras , en forme de rayes, St qui bouchent
les mailles, en rabattant les bouts par dedans
les angles de deux mailles voifines, & bourrant bien
le trou de la maille : on couvre le dehors de cette
voûte, comme on le juge à propos.
\Jn four conftruit de la forte, chauffé bieh en peu
de temps, dure plufieurs années* St neft pas plus
fujet que d’autres aux accidens du feu, tant qui»
n’eft point trop vieux.
Les fours faits de tuileau , ou pecé, qui font des
fragmens de brique St de la terre rouge, font préférables
, quoique le précédent foit bon.
On a dans les armées des fours de fer qu’on tranfif
porte fur des chariots. Ce font des^efpeces de calottes
de fer que l’on place fur un âtre préparé en
rafe campagne, St que l’on couvre de terre.
Manière, de chauffer le Jour.
Pour chauffer le four, les éclats de bois fec y font
beaucoup meilleurs que les fagots , St les fagots préférables!
à tant d’autres bois dont .on fe^lert pour
chauffer 1 efour. Il y en a même qui font obliges dtem-
ployer de la bruyère!ou de la paille. Chacun chaüffe
félon que la nature du lieu qu’il habitele permet.- ; r
On prendra garde de ne point brûler le bois partout
en même temps, mais tantôt d un-cote, St tantôt
de l’autre, nettoyant continuellement les cendres
en les attirant avec le fourgon. . ' ,
Lorfqu’on voudra favoir fi le four eft chaud, on
n’aura qu’à frotter un bâton contré la voûte ou contre
l’âtre; lorfqu’on s’appercevra qu’il fera de petites
étincelles, ceifera iine marque qu’il fera chaud ,; St
pour lors on ceffera de chauffer : .on otera les tifons
& les charbons , rangeant un peu de brafier a l un des
côtés près de la bouche du four : ce que Ion fait
ordinairement avec un crochet de fer nomme f argon.
On nettoiera le refte avec la patrouille, faite
de vieux linges ; on la mouillera dans.de 1 eau claire,
puis on.la tordra avant de s’en fervir. Après cela qp
J bouchera 1 e four un peu de temps, afin de
1 abattre fa chaleur qui pourrait ncircir le pain, fi oa