
de la qualité ÔC de l’affortiment des farines que les
boulangers emploient, & de leur habileté fur-tout
à faire les levains.
11 y a d’ailleurs une réflexion à faire ; c’eft que
le pain qu’on fait dans le milieu de Paris, oii il y
a de mauvaife eau de puits, eft ordinairement du
pain mollet ; Ôc l’on emploie toujours à Paris, dans
la compofition de ces fortes de pains, de la levure,
fouvent encore du lait , ôc quelquefois un peu de
fel ; ce qui change les inconvéniens de l’eau de
puits.
On reconnoît bien mieux ce qui dépend de l’eau
dans le pain de pâte ferme , dans le gros pain qui
eft fait de franc levain fans levure, quoiqu’il entre
moins d’ean dans fa compofition , que dans celle
du pain mollet. On remarque que le peu de pain
, de pâte ferme qu’on fait à Paris , eft moins bon
que celui qu’on fait à la campagne ou dans les faux-
bourgs; ôc s’il y a dans la ville des boulangers qui
faffent d’aufli bon pain de pâte ferme, c’eft qu’ils
n’emploient pas d’eau de puits, ou que par extraordinaire
leurs puits font aufli bons que le font ordinairement
les puits de la banlieue de Paris.
La diverfité du pain de différens boulangers ,
vient donc fouvent de leurs puits ; du moins on
ne peut difconvenir que la diverfe qualité de l’eau
qu’on emploie en pétriflant, ne faite beaucoup à
la qualité du pain, puifque, comme on l’a fait ob-
ferver , l’eau en fait plus de la quatrième partie.
On a raifon de penfer que la légèreté eft une
qualité eflentielle à l’eau. Cependant on ne doit
point croire que toute eau légère eft néceffairement
bonne, parce qu’il y a des eaux corrompues, telles
que font celles où ont pourri des animaux. ôc des
végétaux, les eaux des mares, de fumier, de marécage
, qui font d’autant plus légères qu’elles font
plus volatilifées par la corruption.
C’eft encore un préjugé de croire que l’eau devient
meilleure par la filtration ; on ne fait pas
qu’au contraire on la fépare, en la filtrant, d’une
partie de l’air qu’elle » renfermoit, ÔC qui lui don-
nojjt de la légéreté ôc de la qualité. L’air concourt
au volume Ôc à la folidité de la pâte dans laquelle
il entre avec l’eau ; & il contribue beaucoup aufli
à lui donner du goût.
L’eau pour pétrir ne doit être ni chaude ni froide
exa&ement.
Il faut en général employer l’eau plutôt moins
chaude que trop chaude, parpe que la chalçur augmente
par la fermentation.
L’eau dans l’été n’a pas befoin d’être chauffée au
feu pour être bonne à pétrir. En hiver il faut lui
donner un degré de chaleur un peu plus fort qu’elle
n’a naturellement en été.
Les boulangers nomment douce l’eau qui doit être
plus ou moins tiède, félon les diverfes farines qu’ils
ont à pétrir , ôc félon les faifons. 11 la fjaut plus
chaude lorfqu’on travaille moins la pâte que lorfqu’on
la travaille plus.
JLe pain pour la compofition duquel on a employé
l’eau trop chaude, a moins dé goût qüé lé
pain fait avec l’eau moins chaude. Les boulangers
difent que l’eau chaude fait que le pain grinche, c’eft-
à-d,ire qu’il a la croûte éraillée.
L’expérience apprend aufli que le pain aura plus
de croûte-, fi l’on en pétrit la pâte avec de l’eau
plus chaude; qu’il aura moins de croûte, fi l’on a
pris l’eau moins chaude.
On convient aufli que l’eau qui a une fois bouilli
n’eft plus propre à faire du pain, quoique refroidie
depuis , ôc prife au point de température de chaleur
où l’on a coutume de l’employer pour pétrir à
propos. Les boulangers prétendent que la pât(e qui
a été préparée avec une eau qui a bouilli, quoique
refroidie depuis, ne fe, foutient pas; ils difent
qu’elle ne prend pas le levain , & qu’elle fait colle.
On obferve de prendre l’eau plus douce pour
faire les levains que pour faire la pâte pour le,pain;
& on l’emploie plus douce encore pour les premiers
levains que pour-les fuivans.
^ La quantité d’eau qu’on doit. employer en pétrifiant
, eft relative à la qualité des farines qu’on
emploie.
11 y a des farines dont la livre de feize onces ne
boit que huit onces.d’eau, ôc.d’autrës en prennent
jufqu’à douze onces par livre,
î Les farines qui boivent peu d’eau en boivent
d’autant moins, qu’elles ne peuvent pas être autant
travaillées que celles qui en boivent plus ; car. il
eft de fait que le grand travail incorpore plus d’ean
& d’ air avec la farine dans la pâte, ôc qu’il fait plus
de. pain de la mêrrie quantité de farine.
Ordinairement la proportion de la farine & de
l’eau pour pétrir eft comme 15 à 10; ç’eft-à-dire,
il faut en général, fi on travaille beaucoup ÔC
vite, dix livrés d’eau pour pétrir quinze livres de
farine.
La farine prend plus ou moins d’eau, félon la
qualité det l’eau. Cela varie encore plus , félon la
forte de pain qu’011 veut faire , ôc même félon la
faifon. On peut mettre pins d’eau quand on pétrit
en hiver, que lorfque c’eft en été, parce que la
pâte fe foutient mieux en hiver qu’en été.
L faut plus d’eau pour faire le pain mollet que
pour faire le pain de pâte ferme ; &; meme lorf-*
qu’on pétrit avec fel ôc avec levure, comme pour
faire les petits pains à café, il entre prefquç autant
d’eau que de farine dans la compofition de la pâte,
parce que Je fel qu’on met en pétrifiant, prend
beaucoup d’eau, comme fait l’air. D’ailleurs, plus
les pains font petits, & plus la pâte doit être claire.
Au refte, comme il n’eft pas poflible d’avoir fur
cela une précifion parfaite , il y a une maxime reçue
dans la boulangerie, ôc qu’on peut fuivre ; c’eft
qu’il y a moins d’inconvénient à employer trop
d’eau en pétriflant, qu’à y en mettre trop peu.
Il eft vrai que lorfqu’on met trop d’eau en pétrifiant,
les yeux du pain font irréguliers, inégaux,
trop grands, & la croûte fe détache de la mie ÔC
brûle ; alors on ne trouve pas dans ce pain un
cçjtai*
certain, goût de bled que les boulangers appellent
le goût du fruit. La grande quantité d’eau l’affoiblit,
& enfin le détruit. On peut dire enfin que le pain
où il entre trop d’eau, eft moins nourriffant que
n’eft*celui où il n’y en a que ce qu’il en-faut.
** Lorfqu’au contraire on emploie trop peu d’eau , ôc
qu’on fait la pâte trop ferme , le pain eft plus difficile
à digérer, & il a trop le goût de pâte ôc de
farine.
L’eau convient d’autant mieux, ôc elle augmente
d’autant plus la quantité du pain,que les farines contiennent
plus de fel.
L’eau diminue la blancheur du pain; c’eft pourquoi
le pain raflïs eft plus blanc, parce qu’il a
moins d’eau que le pain frais ; & le pain de pâte
molle, où il y a plus d’eau, eft moins blanc que
le pain de pâte ferme , où il y a moins d’eau.
Il faut obferver encore que quoique le levain
faffe à peu près la moitié du total de la pâte, cependant
on n’emploie pour faire tout le levain qu’à
peu près le tiers de la totalité de l’eau qu’on prend
pour compofer la totalité de la pâte.
Du levain.
On entend par levain , dans la boulangerie, une
pâte qui a plus levé qu’il ne faut pour faire du
pain, & qui, mêlée à de la farine alliée avec de
l’eau, la fait fermenter ôc la fait lever mieux qu’elle
ne feroit feule.
Tout farineux mouillé peut fermenter de foi-
même, fur-tout s’il eft aidé par la chaleur; mais
cela ne fe fait que lentement, fi c’eft fans levain,
& la pâte tourne alors à l’aigre ou à la pourriture.
Elle ne bouffe point, elle ne lève pas, ô c , félon
le langage des boulangers , cette pâte foiblit 6» lâche,
c’eft-à-dire , qu’elle ne foutient point la forme
qu’on lui a donnée en la partageant en pain ; ôc
après la cuiffon, elle produit un pain plat, pefant
& fur, qui eft fans -trous ou fans yeux, ou qui n’en
a que quelques grands.
La propriété du levain de pâte confifte fur-tout
dans la vertu qu’il a d’atténuer ôc de fubtilifer avec
chaleur les parties de la farine dans la pâte. ; ce
qui donne au pain les qualités convenables à la di-
geftion.
Le levain eft une chofe eflentielle au pain pour
être de bon goût, bien nourriffant ÔC fain ; trois
qualités principales dans un aliment, ÔC que n’a
point le pain fans levain.
Le levain, depuis qu’on en connoît l’ufage ôc
1 efficacité pour le pain , a toujours été regardé
comme fi effentiel, que par les réglemens de police
faits du temps de faint Louis, il eft porté que
fi un boulanger a du levain fait lorfqu’on l’interdit
pour quelque chofe que ce foit, il eft autorifé à
employer encore ce levain pour faire du pain, ôc
il eft en droit de vendre ce pain nonobftant l’in-
terdiâion.
Plus les levains font jeunes , meilleurs ils font en
général pour pétrir, pourvu qu’ils aient âffez fer-
Artt & Métiers. Tome I. Partie J.
ménté. Oeft pourquoi un boulanger qui ne cuit
que rarement, n’a' pas d’aufli bon levain que celui
qui cuit plus fouvent.
Cet inconvénient des vieux levains fe trouve encore
plus ordinairement dans les maifons particulières
, où l’on ne fait pas tous. les jours du pain ;
mais on peut y remédier en renouvelant le levain
toutes les douze heures, ou du moins tous les
jours.
La préparation des levains eft différente de ce
qu’on nomme leur apprêt. L’apprêt des levains doit
s’entendre de leur maturité, qui eft lorfqu’ils ont
fermenté ôc levé fuffifamment.
En général, pour avoir de bon levain propre à
bien faire lever la pâte , ôc à compofer de bon
pain , il faut refaire plufieurs fois les levains , augmentant
chaque fois leur maffe , qui devient chaque
fois aufli moins acide ou plus fpiritueufe.
On prend ordinairement pour faire du levain, un
morceau de la pâte qu’on pétrit avec levain à
l’ordinaire ; on laifîe fermenter à part ce morceau
de pâte levée; on le réferve pour fervir de levain
lorfqu’on reboulangera le lendemain ou les jours
fuivans ; c’eft ce qu’on nomme levain de chef, qui
eft le premier levain.
Quand le levain eft vieux ôc qu’il a aigri, il
faut, avant de s’en fervir pour pétrir, commencer
par préparer, par renouveler, par rafraîchir , par
refaire ou rajeunir ce levain; autrement le pain
ne leveroit pas bien , Ôc il auroit un goût fur.
Au contraire, fi on avoit un levain jeune, s’il
eût été pris depuis peu d’heures d’une pâte levée.,
s’il n’eût pas eu le temps d’aigrir, ôc qu’il fût en
allez grande quantité pour compofer tout ce qu’on
a à faire de pâte, il n’y auroit qu’à l’employer fans
autre préparation ; il feroit, comme eft le levain
de tout point que l’on réferve lorfqu’on pétrit fur
levain.
En renouvelant les levains on perpétue, on augmente
même leur fermentation y parce que la fermentation
, comme tout, a un terme ; elle cefferoit
ou elle dégénéreroit dans chaque levain, fi elle
n’étoit perpétuée ôc renouvelée, en y ajoutant de
la farine ôc de l’eau qui fermentent de nouveau avec
le levain auquel elles ont été ajoutées.
Le point où il faut prendre le levain pour faire
d’autre levain, eft différent du point où il faut le
prendre pour faire la pâte à cuire en pain. Le levain
avec lequel on en fait un autre, eft toujours
plus aigre que celui qu’on fera avec, en le renouvelant
, ôc cela jufqu’au dernier levain , qui l’eft
plus aufli que la pâte.
Lorfqu’on a un levain à renouveler, on commence
par faire au bout du pétrin ce qu’on nomme
une fontaine, pour retenir l’eau qu’on y verfe, ÔC
dans laquelle on délaie le levain ; puis on attire
peu à peu de cette farine qui formoit là fontaine.
On y reverfe de l’eau à deux ou trois reprifes, en
attirant de la farine à proportion, ôc l’on fait une
pâte du tout.
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