matière dont les caractères doivent être fondus. Pour
cet effet, prenez du plomb & du régule d’antimoine,
fondez-les féparément ; mêlez les enfuite , mettant
quatre cinquièmes de plomb & un cinquième de régule;
& ce mélange vous donnera un compofé propre
pour la fonte des caractères.
Ou bien, prenez de l’antimoine cru, prenez égale
quantité de potin ; mettez le tout enfemble avec du
plomb fondu, Sc vous aurez une autre compofition.
La précédente eft préférable à celle-ci , qu’il fem-
ble qu’on a abandonnée en France depuis une vingt-
taines d’années, parce qu’on a trouvé que le potin &
l’antimoine faifoient beaucoup de fcories, rendoient
la matière pâteufe , & exigeoient beaucoup plus de
feu.A
u refte , nous pouvons affurer en général que la
matière dont on fond les caractères d'imprimerie eft un
mélange de plomb & de régule d’antimoine-, où le
dernier de ces ingrédiens corrige la molleffe de
l'autre.
Fourneau pour la fonte»
Cette fonte fe fait dans un fourneau, tel que celui
qui occupe le milieu de la vignette, planche-II; il
eft divifé en deux parties , l’une & l’autre de brique.
Celle qui répond à la fig. 4 , eft un fourneau fur lequel
on a établi une chaudière de fonte, dans laquelle
le plomb eft en fufiôn : cette chaudière eft chauffée
avec du bois , comme on voit ; la fumée s’échappe
par une ouverture qu’on peut diftinguer fur le fond-,
& fuit la cheminée qui eft commune aux deux fourneaux.
Le fécond fourneau qui correfpond à la figure 3
même vignette, eft un fourneau proprement dir :
à fa partie füpérieure eft l’ouverture du fourneau ;
l’inférieure eft un cendrier ; elles font féparées par
une grille horizontale : cette grille foutient un creu-
fet qui contient le régule d’antimoine, & les charbons
allumés qui fervent à le mettre en fufion. Le feu
e f t excité par le courant d’air qui fe porte à la grille.
On recommande aux ouvriers occupés à ce fourneau
de l’opération qu’ils y ont à faire, de fe garantir
avec foin de la vapeur du régule, qu’on regarde
comme un poifon dangereux : mais c’eft un préjugé ;
l ’ufage du régule n’expofe les fondeurs à aucune
maladie qui leur foit particulière ; fa vapeur n’eft
fonefte tout au plus que pour les chats : les premières,
fois qu’ils y font expofés , ils font attaqué-s de vertiges
d’une nature ft ftngulière, qu’après s’être tourmentés
pendant quelque temps dans la chambre où ils
font forcés de la refpirer, ils s’élancent par les fenêtres
: j’en ai vu deux fois l’expérience dans un même
jour. Mais quand ils en réchappent, & qu’ils ne pé-
riffent pas dans les premiers accès, ils n’ont plus rien
3 redouter des féconds ; ils fe font à la vapeur qui
les avoit d’abord fi violemment agités, & vivent
fort bien dans les fonderies.
Le régule fondu dans lè creufet eft verfé en
quantité Tuffifante dans la chaudière qui contient le
plomb; l’ouvrier 4 prend le mélange avec une çuiller,
le verfe dans les moules ou lingotières qui font à
fes pieds : on voit auflifur le plancher des tenailles
pour le creufet, fon couvercle, une cuiller, ôt
ù autres outils au fervice de la fonderie.
Le rapport entre le plomb & l’antimoine n’eft pas
le même pour toute forte de caractères : la propriété
de l’antimoine étant de donner du corps au plomb ,
on en mêle plus ou moins, félon que les caractères
qu’on a à fondre font plus ou moins gros;les petits
caractères n’étant pas aufli propres à-réfiller à l’aélion
de la preffe que les gros,on les fond de la matière
que les ouvriers appellent matière forte, & ceux-ci
de celle qu’ils appellent matière faible. La matière
forte deftinée pour les petitscaractères, eft un mélange
de régule & de plomb , où le premier de
ces ingrédiens eft en quantité beaucoup plus confi-
dérable relativement à celle du plomb, que dans
la matière foible. : ,
Quand la matière ou cotnpofttion eft ainfi préparée
& mife en lingots, elle paffe dans le fourneau
des fondeurs. Ce fourneau , planche I I ,fig. 10,
eft fait de la terre dont fe fervent les fournaliftes
pour la fabrique des creufets , mais moins fine ; elle
eft compofée de ciment de pots à beurre caffés , &
de terre glaife pétris enl'émble : fa grandeur eft de
dix-huit à vingt pouces de hauteur, fur dix à douze
de diamètre, & ’ deux pieds & demi de long ; il eft
féparé en deux dans fa hauteur par une grille, qui
peut être indifféremment de. terre ou de fer. On
pofe le bois fur cette grille' ; la partie inférieure D
fert de cendrier : la face fupérieure eft percée d’un
trou rond B , d’environ dix pouces de diamètre ;‘ce
trou rond eft environné d’une efpèce de bourrelet qui
fupporte la chaudière de fer A , fig: p : on appelle
cette chaudière cuiller. Cette cuiller eft divifée en
deux ou trois portions comme on voit ; ces dîvifions
fervent à contenir des matières de différentes forces
ou qualités, fuivant les ouvriers qui y travaillent,
& chaque ouvrier puife dans la divifton qui contient
la compofition dont il a befoin.
Le fourneau a encore une autre ouverture H, a
laquelle on adapte un autre tuyau de tôle qui porte
la fumée hors de l’atelier , comme on voit dans
la vignette. Tout ce fourneau eft porté fur un banc
F G G G , au milieu de la hauteur duquel on a pratiqué
une tablette F , qui fert à placer différens uf-
tenfiles.
A côté du fourneau on range plufieurs autres
bancs, tels qu’on les voit dans la vignette, & au bas
de la planche, fig. u : ce font des efpèces de tables
dont le deffus eu à hauteur d’appui ; ces bancs font
environnés d’un rebord ; ils doivent être de deux
ou trois pouces moins hauts que la partie fupérieure
du fourneau, à un des côtés duquel ils doivent
s’arranger, comme 011 voit dans la vignette. On a
une plaque de tôle ou de fer, qu’on place de manière
qu’elle .porte d’un bout fur le fourneau , &
de l’autre fur lé banc. L’ufage de cette tôle eft de
1 ramaffer les gouttes de matière fondue qui s’ét'happent
de la cuiller, ou que l’ouvrier rejette du
moule quand il eft trop plein.
De la fonte des caractères.
Quand l’ouvrier veut fondre un caractère , il
prend le moule préparé , de la main gauche ; il
place l’extrémité de l’arc ou archet dans l’entaille
que nous avons dit être à la partie inférieure
de la matrice , afin qu’elle s’applique exaéle-
ment contre les longues pièces &. les parties fail-
■ lantes des blancs : il preffe enfuite les deux moitiés
du moule, de manière que les regiftres foient bien
placés contre les faces latérales de la matrice ; &
il enduit fuperficiellement le fond d’un jet d’un peu
d’ocre délayée dans de l’eau froide , quand la lettre
eft extrêmement fine. Cet enduit fait couler le métal
promptement, & le précipite au fond du paralléii-
pipède vide, avant que, rafraîchi par le contaél de
la furface des pièces qui forme cet efpace vide , il
ait eu le temps de fe figer & de s’arrêter. On fe
fert de la même précaution dans l’ufage du moule
à réglet, dont nous parlerons plus bas. Comme dans
ce moule le métal a fouvent plus d’épaiffeur, & qu’il
a beaucoup de chemin à parcourir, il n’en eft que
plus difpofé à fe figer, & à ne pas defeendre juf—
qu’au fond du moule : c’eft pourquoi l’on ne fe contente
pas feulement d’enduire le jet d’ocre délayée ,
on en enduit même toute fa furface intérieure d’une
couche, à la vérité la plus légère qu’on peut: mais [
revenons à la fonte des caractères.
. Tout étant dans cet état, le fondeur puife avec la
cuiller à verfer, qu’on voit fig. 13, planche I I ,
une quantité de métal fondu , qu’il jette par l’efpèce
d’entonnoir que nous avons dit avoir été formé par
les jets. Le métal fluide defeend dans le prifme vide
que laiffent entre elles les faces des longues pièces
& des blancs, & fe répand fur la furface de la matrice
dont il prend toutes les formes ; de manière
que quand on l’en tire, il eft parfaitement femblable
au poinçon qui a fervi à le former. 11 rapporte aufli
en creux l’.mpreflion du demi-cylindre fixé à une
des longues pièces, & dont nous avons parlé plus
haut. Ce creux , qu’on appelle cran, doit toujours
etre à la face qui répond à la partie fupérieure de
la lettre : il fert aux imprimeurs à connoître fi la
lettre eft du fens dont elle doit être, ou fi elle eft
renverfée. Les deux opérations de puifer dans le
nioule avec la cuiller & de verfer dans le moule,
font repréfentées fig. ƒ & d de la vignette.
Il y a ici une chofe importante à obferver, c’eft
que dans le même inftant que l’on verfe la matière
dans le moule, on doit donner à celui-ci une fe-
couffe en haut, afin que la matière qui dëfcend en
fens contraire frappe avec plus de force le fond
de la matrice , & en prenne mieux l’empreinte.
Après que l’ouvrier a verfé fon métal, il remet fa
cuiller fur le fourneau, & il fe difpofe à ouvrir le
moule : pour cet effet, il commence par déplacer
1 arc ou archet, ou le teffort de l’entaille de la matrice,
& le placer dans un cran fait au bois fous le
heurtoir. Il ouvre le moule en féparant les deux moitiés
; & s’il arrive que la lettre refte adhérente à l’une
des moitiés, il la détache avec le crochet qui eft
fixé fur l’autre, ce qui s’appelle décrocher. C ’eft ce
qu’exécute la fig. 8. de la vignette: après quoi il referme
le moule, replace l’arc fous la matrice, verfe
de la matière, & recommence la même opération
jufqu’à trois ou quatre mille fois dans un feul jour.
Il ne faut pas s’imaginer que la lettre au fortir du
moule foit achevée, au moins quant à ce qui regardé
fon corps ; car pour le caraélère il eft parfait ; il eft
beau ou laid , félon que le poinçon qui a fervi à
former la matrice a été bien ou mal gravé.
Quelle que foit la figure du caractère, les contre-
poinçons, les poinçons, les matrices, &c. la fonte en
eft la même ; & il n’y a dans toutes ces opérations,
aucune différence de l’arabe, au grec, au françois ,
à l’hébreu, &c.
Travaux après la fonte.
La lettre apporte avec elle au fortir du moule une
éminence de matière de forme pyramidale, adhé4*
rente par fon fommet au pied de la lettre. Cette partie
de matière qu’on appelle je t, eft formée de l’excédent
de la matière néceffaire à former les caractères
qu’on a verîée clans le moule. On la fépare facilement
du corps de la lettre, au moyen de l’étranglement
que les plans inclinés des parties du moule appellées
je ts, y ont formé, ainfi que nous avons dit plus
haut. D’ailleurs la compofition, que l’addition dé
l’antimoine rend caftante prefque comme de l’acier
trempé, facilite cette féparation : le jet féparé de la
lettre s’appelle rompure.
_ Après que toutès les lettres font rompues, c’eft-à-
dire, qu’on a féparé les jets, qui fe remettent à la
fonte, on les frotte fur une meule de grès qu’on voit
fig. a de la vignette, plane. I l , & qu’on appelle pierre
à frotter. Cette meule a depuis quinze jufqu’à vingt-
cinq pouces de diamètre ; elle eft de la même forte
que celles dont fe fervent les couteliers pour émou-
dre. Pour la rendre propre à l’opération du fondeur
en caractères, on en prend deux qu’on met à plat
l’une fur l’autre; on répand entre elles du fable de
rivière, puis on les meut circulairement, répandant
de temps en temps de nouveau fable , jufqu’à cç que
les petites éminences qui font à ces pierres fqient
grugées, & qu’on ait rendu leurs’ furfaces planes ôc
unies. Le fable eh dreffant les grès ou meules , ne
les- polit pas ; il y laiffe toujours de petits grains
qui fervent à enlever aux caractères les bavures qui
leur viennent de la fonte.
On ne peut pas frotter toutes les lettres; il y en a,'
mais en plus grand nombre dans l’italique que dans
le romain, dont une partie de la figure excède le
corps du côté qu’on frotte. Il eft évident que fi on
les frottoit, la pierre emporteroit cette partie, & ef-
tropieroit la lettre: c’eft pourquoi on commence par
la dégager légèrement, & par enlever un peu de
matière avec un canif, afin quelle puiffe le loger
facilement dans 1 efpace- vide que lui préfentera une