
544 B O Ü
d’être mife au four, o ù , en fe cuifant, elle fe dilate
encore d’avantage par la raréfaâion de l’air & de
la fubftance fpiritueufe renfermée entre fes parties,
& forme un pain tout rempli d’y eu x , par con-
féquent léger, & totalement différent des maffes
lourdes, compares, vifqueufes & indigeftes , qu’on
obtient en faifant cuire de la pâte de farine qui n’a
point levé.
L’invention de la bière ou des vins de grain a
procuré encore une nouvelle matière très-propre
à améliorer le pain : c’eft l’écume qui fe forme à
la furface de ces liqueurs pendant leur fermentation.
Cette écume , introduite dans la pâte de farine
, la fait lever encore mieux & plus promptement
que le levain ordinaire : elle fe nomme levure
de bière y ou Amplement levure. C ’eft par fon
moyen qu’on fait le pain le plus délicat, qui s’appelle
pain mollet. Il arrive allez fouvent què le pain
qui a été fait avec le levain de pâte, a une petite
faveur tirant fur l’aigre, & qui n’eft point agréable :
cela peut venir de ce qu’on a mis dans ce pain une
trop grande quantité de levain, ou de ce que la
fermentation du levain étoit trop avancée. On ne
remarque point un pareil inconvénient dans le pain
fait avec la levure ; ce qui vient apparemment de
ce que la fermentation de cette levure eft moins
avancée que celle du levain , & de^ce qu’on apporte
plus d’attention à la façon du pain mollet.
On pourroit demander pourquoi, puifque la pâte
de farine eft fufceptible de fermenter toute feule
& fans aucune addition, comme on le_voit par
Texempîe du levain, on ne la laiffe point lever d’elle-
même , & fans avoir recours au mélange d’une pâte
déjà fermentée? En voici, je crois, la vraie railon:
c ’eft qu’en général toutes les parties d’une fubûance-
qui fermente fie fubiffent point la fermentation dans
le même temps ni au même degré; enforte que
celles des parties de cette fubftance dans lefquelles
la fermentation a commencé , font fouvent parvenues
au dernier degré de cette fermentation, avant
que d’autres parties de la même matière aient éprouvé
le moindre changement.
Si on laifïoit fermenter la pâte toute feule & fans
le fecours du levain , la fermentation ne s’ÿ faifant
que fucceffivement, &. beaucoup plus lentement,
les parties qui- auroient fermenté les premières au-
roient déjà paffé à l’argre & au^vappide , avant que
les autres euffent éprouvé l’atténuation & les chan-
gemens convenables ; ce qui donneroit une faveur
défagréable au pain.
Le mélange d’une quantité convenable de levain
Hans la pâfe nouvelle, prévient parfaitement bien
ces inconvéniens ; parce- que fon effet, de même
que celui de toutes le matières qui font en pleine
fermentation, eft de. déterminer promptement un
pareil mouvement dans les m tières fermentefcibles
ayec lefquelles on tes mêle , ou plutôt le levain
refferre & rend plus fimultanée la fermentation de
foutes les parties de ces fubftanees.
Le paii* bien levé & cuit à propos diffère d’un
I O TJ
pain fans le Vain, non-feulement parcé qu’il eft beau-»
coup moins compa&e, moins pefant, & d’une faveur
plus agréable, mais encore parce qu’il fe trempe
plus facilement, & qu’il ne fait pas une colle vif-
queufe ; ce qui eft d’un avantage infini pour la di-
geftion. «
Telle eft la théorie de l’art de la boulangerie;
nous allons préfentement en parcourir les détails.
Farines propres à faire dit pain.
La farine eft le grain moulu & réduit en poudre >
dont on a féparé le fon avec des bluteaux.
Les farines propres à faire du pain, font celles de
froment ou de bled, de feigle, de méteil, de far-
rafin & de maïs.^
Ces farines font de différentes fortes , félon les
bluteaux différens par où elles ont été paffées. On
les divife ordinairement en fleur de farine, farine
blanche, en gruaux fins & gros, & en recoupettes.
La plupart des farines qui s’emploient à Paris, 8c
qui ne font point moulues dans cette ville ou aux
environs, viennent de Picardie , de Meulan, de
Pontoife , de Mantes , de Saint-Germain-en-Laie,
& de Poiffy. Les meilleures font celles de Pontoife
& de Meulan; les moindres font celles de Picardie:
celles de Saint-Germain & de Poiffy tiennent te
milieu.
On reconnoît qu’une farine eft bonne , lorfqn’ell'e
eft sèche, qu’elle fe conferve longtemps, qu’elle
rend beaucoup en un pain qui boive bien l’eau,
& auquel il faut le four bien chaud-
La farine blanche , eft une farinee tirée au bluteau
, d’après la fleur de farine►
La farine-folle eft ce qu’il y a de plus fin & de
plus léger dans la farine ; ce que le vent emporte,
& qui s’attache aux parois du moulin»'
La farine de feigle feule, ou mêlée avec- celle de
froment, fait un pain rafraîchiffant, & quelquefois
laxatif- Les pâtiffiers en font dès pâtes-bifes.
La farine d’avoine eft très-bonne pour faire des
boiffons& des bouilliesrafraîchiffantes ; on l’appelle
gruau.
La farine de froment,, de fèves , de haricots,-dé
racines d’arum r &c. eft propre à faire de la poudre
à poudrer.
La farine de froment qui paffe par un bluteau fin ?
s’appelle pure farine au fleur de farine.. La fécondé,,
qui a paffé par un bluteau moins fin, -eft nommée
farine Blanche, ou farine d’après t'a fleur. Enfuîte viennent
les fins gruaux; puis les gros gruaux , & enfin
les-recoupettes*
.En mefuranf là farine, on la rade comme Je blèd5
avec 1e radoir & te roulëau.-
Moyens de. conferver la farïne,.
Pour garder .la farine fans qu’ellë fe gâte , r®| \\
faut ne mettre au moulin que du bled bien fain &C
très-fec ; puis ferrer la farine dans une- huche, oti
dans d’autres vaiffeaux , que l’on tiendra dans un
endroit fec; fur-tout il faut avoir foin que cettq
B O U
îmcbe ou cès vaiffeaux foient bien fermés, de craînte
que la farine ne s’évente, .& qu’il n’y tombe quelque
chofe de mal-propre. En été , on la mettra dans
un endroit frais, mais exempt d’humidité. La boulangerie
fuffira pour la garder en hiver. Il eft à propos
de la remuer quelquefois, afin que l’air paffant
au travers, empêche qu’elle ne s’attache, & qu’elle
ne prenne un mauvais goût.
2°. Il y a des économes qui confeillent de jeter
parmi la farine, de la réfinè de vieux pins mife en
poudre. | '
3°. D ’autres broient du cumin & du fel en égales
portions, & en font des maffes seches, quils mettent
dans la farine.
4°. La farine faffée & féparée du fon, fe conferve
mieux que quand, ils font mêlés , parce que le fon
eft fujet à s’aigrir.
5°. Il faut toujours ne pas perdre de vue que la
bonne qualité du grain influe effentiellement fur la
perfe&ion de la farine. Il ne doit etre ni nielle ni
germé : il doit avoir crû dans un terrain fain, &
dans une année sèche.
6°. Le mélange des farines de differens grains ,
ou le dépôt de la meilleure farine dans des barils
dont le bois n’eft pas fe c , contribue beaucoup a
faire que la farine fe trouve enfuite etre de mau-
vaife qualité.
7°. La farine bien blutée , puis mife & très-
foulée dans tin baril bien fe c , que l’on ferme en-
fuite exa&ement , fe conferve plufieurs arfnees,
même fur mer, fans qu’on ait befoin de la remuer.
Qualités des différentes fortes de farines.
Plus le grain eft moulu fin, plus la farine eft
’ bife, parce qu’alors 1e fon fe mele intimement avec
la farine. Le mauvais grain rend plus de fon que
celui qui eft de bonne qualité. Plus il y a de fon
dans la farine, moins elle prend leau lorfqucm la
réduit en pâte pour faire le pain. Le grain de bonne
qualité prend par conféquent beaucoup plus d eau :
par exemple, lorfque le froment bien nourri pefe
à Paris 2.60 liv. le fèptier, le froment de la moindre
qualité ne pèfe que 160 livres; dans ces cas, les
260 livres ne donnent que 40 ou 50 livres de fon,
& les' 160 livres de mauvais grain rendent au contraire
8o ou 90, quelquefois 100 livres de fon : par.
conféquent 260 livres rendent 2.00 de fleur de fa rine;
& 160 livres de farine de mauvais grain, ne
rendent quelquefois que 60 livres de fleur de farine
de médiocre qualité. Il y a plus, 12 ou 14 onces
de mauvaife farine fuffifent à peine pour faire 16
onces de pain , tandis que 9 onces de la bonne farine
font 16 onces de pain. On peut lire a ce fujet le
Journal d*agriculture & des arts-, imprimé a-Paris, avril
1772, &. confulter le Journal économique fur la mouture
économique.
Dans le» années où le froment eft très-cher, les
boulangers font moudre le fon, ils en compofent
un pain bis particulier, en le mêlant avec un tiers
.de fleur de farine. Ce pain eft très-peu nourriffant 3,
B O U 245
on peut en manger une grande quantité fans crainte
des indigeftions : il eft très-agréable au goût lorfqu’il
eft frais, & les perfonnes qui font peu d’exercice,
ne devroient jamais en manger d’autre; mais l’on
ne doit jamais permettre de vendre ce pain au bas-
peuple. Il feroit à fouhaiter que dans les années où
le grain eft exceflivement cher, l’on ordonnât aux
boulangers de ne faire que du pain avec le tout, fans
en féparer le fon.
On peut confulter la nouvelle traduction de Pline
le naturalifte au fujet des farines de froment , de
feigle & d’o rge, & du mélange que l’on faifoit en
Italie, pour en compofer le pain. On peut également
confulter Y Hifto ire générale des voyages 6L le
Dictionnaire des végétaux qui fervent d’alimens, com-
pofé par M. Buc’hoz ; il y donne (des détails fur les
farines de^guantité de racines que les nations diverfes
emplokmPpour faire du pain. Dans le fiège de Paris,
fous Henri IV , mademoifelle de Montpenfier fit
faire du pain avec de la farine des os des morts ;
tous ceux qui en mangèrent périrent.
La farine des pois & celle des fèves rendent la
pain extrêmement compa&e , pefant : il ne lève
point, il eft très - indieefte. La farine des glands
féchés au four eft très-aangereufe pour la fan-té» La
farine des pommes de terre , mêlée avec deux tiers
de celle de froment, procure un pain qui eft beau
& très-falutaire. La farine de fèves eft très-bonne
pour faire de 1a foupe ; cette farine , délayée dans
de l’eau pure à froid, compofe de 1a colle pour les
ehâffis. Dans la ville de L y o n , l’on vend beaucoup
de farine de fèves pour ces deux derniers ufages. Et»
1772, un académicien de Lyon; a fait un. mémoire
pour prouver que la farine du bled nouveau produit
du' pain qui eft dangereux, pour la fanté : il. en eft
de même du bled germé.
Pour nourrir les malades-, on prépare de deux
manières différentes la farine d’orge : les uns fe bornent
à féparer la fleur de la farine , qu’ils mettent
dans des pots de terre dans un four de boulanger,
lorfqu’on- en a retiré les pains ; enfuite ils- mêlent
un peu de fucre avec cette farine deflechée : une
pleine cuiller fuffit pour lier les bouillons des malades.
D ’autres perfonnes font mieux ; i° . ils trient
grain à grain une certaine quantité d’orge ; 20.. la
font moudre groffièrement ; j° . féparent la fleur de
la farine par le moyen du tamis ou du bluteau ; 40.
j ils mettent cette farine dans un petit fac de toHe
ferrée & forte-; 50. ils- coufent au fond du fac en
dehors, un petit cordon de paille , pour empêcher
que la toile ne brûle; 6P. ils mettent ce fac de farine-
fine d’orge, bien preffée & attachée,.dans un grand
chaudron plein d’eau commune , lorfqu’elle bout ;
7°. on paffe dansles anneaux du chaudron un bâton
ce bois fert d’appui pour tenir le fàc fous l’eau ,
pendant fept ou neuf heures que l’on fait bouillir la
farine ; 8°. enfuite on tire le fac , on le met fur une
table , & tandis qu’il eft chaud , on le découd ; o n
enlève là pellicule mince comme du papier qui
couvre h farine sèche; on met tremper cette pelfi-»