
l’art de rafraîchir les liqueurs. 11 ÿaroît certain que
prefque tous les peuples qui habitent des climats
chauds le connoiffent depuis un temps immémorial,
mais la manière d’y procéder n’a pas toujours été
la même ; l’évaporation de l’eau ou d’une liqueur
fpiritueufe dont on enveloppe un vafe > & que l’on
fait fécher foit à l’air ,'foit au vent, a été un moyen
connu des peuples méridionaux pour fe procurer
des boidonsfraîches; d’autres ont employé le fecours
desjfels pour exciter lerefroidiffement. Amefure que
les hommes ont acquis plus de connoiffances, les
rafraîchilTemens dont ils fe font fervis ont été mieux
faits & plus délicieux, & on -en eft venu enfin aux
congélations artificielles, dont le célèbre chancelier
Bacon à parlé dans fes ouvrages comme d’une chofe
q u i, dans fon fiècle , étoit déjà connue depuis longtemps.
Ce fut vers l’an 1660 que Procope Couteaux
natif de Florence, introduifit a Paris lufage des
glacer. Mais paffons aux procédés dé cet art de congélation.
.
On fait geler les liqueurs pour faire les glaces artificielles
, par le moyen du fel. ammoniac , du fel
gemme , de" la potaffe, de l’efprit de nitre, du fel
marin, & du falpêtre brut. Le fel marin ou le fel
ordinaire & le falpêtre brut, font les moyens les
moins difpendieux & les plus ufités ; le falpetre brut
eft même préféré au raffiné ; au refte plus le falpêtre
& le fel marin font fecs lorfqu’on les emploie , mieux
ils. réuffifTent pour les congélations.
De tous les différens liquides qui entrent dans la
compofition des glaces, les uns prennent plus facilement
; d’autres pendant la congélation fe féparent
des fucs avec lefquels on les a meles. Comme c eft
de l’union des liquides avec les fucs que dépend la
perfeâion des glaces , on ne fauroit faire trop d’attention
à leur degré de fluidité. (
Comme l’eau eft le premier & le plus fréquent
des liquides qu’on mêle avec les fucs des fruits, elle
s’en fépareroit facilement en fe congelant la première
, fi avant de l’employer, on n avoit foin de la
mêler avec du fucre clarifié & de les bien amalgamer
en les faifant bouillir enfemble ; fans cette précaution
, les glaces feroient seches & fableufes j on
trouveroit dans leur intérieur des duretés & ^des
filets qui les empêchéroient de bien réuffir & d’être
auffi bonnès.
Pour clarifier le fucre qui entre dans la compofition
des glaces, on commence par mettre dans une
terrine un blanc d’oeuf avec un demi-verre d’eau ;
on fouette ce mélange avec de petites branches
d’ofier; & lorfque le tout eft bien mouffeux, on y
ajoute trois ou quatre pintes d’eau qu’on fouette
auflï, & dans lefquelles on jette une fuffifante quantité
de fucre pour qu’il puiffe fe fondre fans fe
noCye“ tt* e premiè. re ope, rat.i on fri n.i e, on met la ; poç•«i,e :
fur le feu, on y fait fondre le fucre, on laiffe venir
fon écume au-deffus; & lorfqu’elle s’élève comme
du lait, on y jette un peu d’eau, ce qu’on continue
demi-verre par demi-verre , jufqu a ce qu elle ait
remonté une troifième fois. On retire enfuîtë la
poêle de deffus le feu ; on en ôte l’écume, ôc on la
replace fur le bord du fourneau, afin que le fucre
bouille & chaffe le refte de l’écume qu’on enlève à
mefure qu’elle paroît. Par ce moyen le fucre devient
fin ôc tranfparent.
Lorfque la trop grande quantité d’eau l’empêche
de fe clarifier, on le laiffe bouillir plus long-temps.
En y plongeant le premier doigt ôc le pouce, on fent
entre les deux doigts fi la cuite eft grajfe : c’eft ce’
qu’on nomme le petit lijfé ou le premier point de la
cuiflon du fucre, qui fert à diverfes opérations de
l’office; en ôtant ce fucre du feu , on le paffe au travers
d’une ferviette mouillée.
Quand on a befoin d’un fucre dont la cuite foit
plus grafle, on remet la, première cuite fur le feu
pour lui faire prendre quelques bouillons de plus ;
c’eft ce qu’on nomme Jucre au grand lijfé. Nous
avons rapporté plus haut les autres degrés de la cuif-
fon du fucre.
Quand il eft au point qu’on le défir.e, on travaille
à la cuite des fruits. Ils ne doivent être ni trop verds,
ni trop mûrs, ni gâtés, ni tachés, de peur de faire
contra&er aux glaces quelque mauvais goût.
Les fruits étant réduits après leur cuite en une
efpèce de marmelade, on les palTe, félon leur qualité,
dans des tamis plus ou moins clairs ; on y mêle du fucre
clarifié, avec les ingrédiens propres à relever leur
goût, ou à leur donner une odéur plus agréable ; on
les met enfuite dans un e forbetière ou vafe d’étain,
dans lequel on fait geler les compofitions. Voyez
fig. 8 , planche I I du confifeur. On ne remplit ces
vafes qu’aux deux tiers ou à moitié , afin que les
liquides prennent plus vite, & qu’on puiffe les travailler
plus commodément. Quand la forbetiere eft
pleine au point qu’il le faut, on la met dans un feau ;
on jette dans ce feau douze ou quinze livres déglacé
pilée, fuivant. que la compofition eft plus ou moins
graffe, & on y met à-péu-près autant de fel marin ou
de falpêtre brut. Plus les compofitions font graffes ,
plus il faut de glace pour les faire prendre. Il en eft
de même dans les temps orageux, pluvieux ou neigeux.
Il en faut moins, au contraire, lorfque les
compofitions font maigres, ou que le temps eft fe c ,
froid ou chaud.
En mettant la glace dans le feau, on commence
par la coucher dans le fond à la hauteur de deux
pouçes; on jette fur cette couche un demi-doigt de
fel ou de falpêtre, on pofe la forbetière fur cette
glace, & jufqu’au bord du feau on la garnit tout autour
de divers lits de glace & de fel ou de falpêtre.
En mettant ainfi le fel ou le falpêtre par couches, on
eft bien plus fûr de réuffir que fi on les mêloit avec
la glace, parce que l’a&ion du froid fe communiquant
par degrés, les liquides fe congèlent plus facilement.
Cinq ou fix minutes après que la glace, le fel ou
le falpêtre ont été mis par lits, on tourne la forbetière
dans le feau avec viteffe, ôc environ pendant un
quart d’heure. On ouvre enfuite la forbetière , on
effui?
cffuie les bords du couvercle ÔC ceux du féâii, de
peur qu’e/i l’ouvrant il n’entre de l’eau falée qui
gâteroit les liquides. Lorfque la congélation fe
forme, on la reconnoît à une croûte qui s’attache
aux paiiois de la forbetière, ôc qu’on détache avec une
houlette ou fpatule de fer blanc ou de cuivre, qui eft
de lamême façon que la houlette d’un berger ôc de la
grandeur d’une cuiller à ragoût. Voyez fig. 6 » planche
IV du confifeur. Cette opération finie, on referme
la forbetière qu’on tourne pendant dix minutes ou
un quart d’heure , comme la première fois très-
vivement & par-fecouffes, en lâchant la main de
temps en temps. On la recouvre une fécondé fois
pour en détacher la compofition ôc la travailler,
c’eft-à-dire mêler, avec le dos de la houlette, ce qui
eft pris avec ce qui ne l’eft pas. Pendant ce travail
qu’on fait de la main droite, on tourne lentement la
forbetière de la gauche.
Si la compofition n’eft pas bien prife, on rafraîchit
jufqü’à deux, trois ou quatre fois de fel ou de falpêtre
Ôc de glace pilée, les compofitions qui font grajfes,
c’eft-à-dire qui font chargées de fucre ou de fucs
acides ; ce qui arrive quelquefois en faifant trop
cuire le fucre, lorfqu’on veut faire des glaces moel-
leufes.
Dans le cas oh, après avoir fuffifamment tourné
la forbetière, la compofition ne fe congelleroit pas
à fes parois , on y remédie en prenant deux ou trois
cuillerées qu’on délaie dans de l’eau mêlée avec un
peu de fucre cuit au petit lijfé; on remet cet amalgame
dans la forbetière, Ôc on l’incorpore en le
remuant avec le refte. On bouche enfuite la forbetière,
on la force de fel ou de falpêtre, & on tourne à
tour de bras ; mais ce remede ne peut être employé
que pour les glaces de fruit, devin ôc de liqueur, ôc
jamais pour les crèmes.
Si la compofition eft maigre, c’eft-à-dire. fi elle
eft trop claire, parce qu’elle n’a pas été affez nourrie
de fucre ou de fruit, elle devient sèche ôc fableufe
après la congélation, ôc au coup d’oeil elle paroît
grumeleufe : on corrige ces défauts en y mettant
dans le milieu un peu de fucre à la plume.
Lorfqu’on ne peut pas fervir les glaces auffitôt
après qu’elles font faites, on les conferve en ayant
foin de les relever contre les parois de la forbetière
qu’on rebouche , ôc dont on couvre le couvercle
de glace, de fel ou de falpêtre ; dans les temps
humides on met un torchon par deffus.
Quand on veut tranfporter de la glace à quelques
lieues de la ville, on recouvre la forbetière avec du
fel ôc de la glace pilée, de manière qu’elle excède
le couvercle de deux ou trois pouces, ôc on y ajoute
un gros linge mouillé.
L’inftant avant de fervir les glaces on les travaille ,
c’eft-à-dire qu’on les mêle bien, de crainte qu’il ne fe
foit fait une croûte plus dure aux parois que dans le
milieu. Pour fervir les glaces en taffe, on les tire de
la forbetière avec une cuiller à ragoût ; ôc après en
avoir formé une efpèce d’oeuf avec une cuiller à
hyuche , on les fait tomber dans des gobelets
Arts 6» Métiers. Tome /. Partie II,
de criftal, de façon qu’elles foient dreffées en pointe
auffi proprement qu’il eft poffible.
Il faut beaucoup moins de temps pour avoir des
glaces moulées, que [des glaces en taffe : il ne s’agit
que de les faire prendre dans des moules de plomb
ou de fer blanc, de la forme ôc de la figure qu’on
veut. C ’eft ainfi qu’on fait des canndons Ôc des fromages
glacés.
La façon de mouler eft la même pour toutes les
efpèces de glaces. Les moules étant pleins, on les
met dans un baquet ou feau percé par le bas, pour
que l’eau qui s’y formeroit puiffe s’écouler ôc ne pas
retarder la congélation. Après que les glaces font
faites on les range dans une cave à glaces, pour les
maintenir fermes jufqu’à ce qu’on les ferve. Sans le
fecours de cette cave dont le couvercle a un rebord
de deux pouces, fur lequel on met de laj^lace ,
avec du fel ou du falpêtre qui entretiennent une
fraîcheur égale, on ne pourroit conferver les fruits,
cannelons, ôc fromages glacés ; les premiers faits
feroient fondus avant que les autres fuffent prêts ; ce
qui rendroit le fervice impoffible. Le couvercle de
cette cave a une goulotte par ou s’écoule l’eau qui'
vient de la glace qui eft fur les rebords. 11 y a un
ou deux étages dans cette cave, afin que les glaces
foient pofées de façon à ne pas s’écrafer mutuellement.
On la met dans un baquet de même forme ,
mais plus large que la cave de deux pouces, ôc l’on
remplit cet intervalle avec de la glace ôc du fel ou ds
falpêtre^
Lorfqu’on veut mouler, on manie les moules avec
un torchon, de peur que la chaleur de la main ne
faffe fondre les glaces, qu’on prend avec une cuiller
à bouche ôc qu’on enfonce bien dans les moules,
pour leur en faire prendre la figure. On a foin de
remplir les moules un peu plus qu’il ne faut, afin de
démouler plus facilement, ce qu’on fait eh preffant
le moule entre fes mains, après l’avoir fait tremper
auparavant dans de l’eau tiède, pour que les glaces
fe décollent plus aifément.
Après que les moules font plus que pleins, on
les ferme ; on les enveloppe de papier ; on les place
fur un lit de glace préparée ; on les range rang par
r^ng ; on remplit tous les vides de glace pilée fur
laquelle on met du fel ou du falpêtre ; on les couvre
d’un double torchon , afin que le froid fe concentre
davantage dans le baquet.
Les petits moules n’ont befoin d’y demeurer que
deux heures. Les plus gros , comme ceux des fromages
glacés, y reftent trois heures. Si les moules
font pleins de crème, on les laiffe moins de temps
dans la glace, parce quelle prend plus vite que les
liquides.
Une demi - heure avant de démouler, on met la
cave de fer blanc à la glace, comme une forbetière.
Quand on veut démouler, on a de l’eau tiède dans
une terrine oh l’on trempe les moules, qu’on arrofe
tout de fuite avec de l’eau fraîche : on couvre le
moule , ôc lorfque les fruits, cannelons ou fromages