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cuves , chaudières-, moulins, & tous les autres inftru-
mens, agrès & commodités néceffaires pour faire la
bière.
La bière eft une liqueur ôc boiffon forte & v i-
neufe , faite, non avec des fruits, mais avec des
grains farineux.
Braffer peut venir de braçe , efpèce de grain
dont on faifoit la bière ; ou dri Bras \ parce què la
manoeuvre la plus fatigante s’exécute à force de
bras.
B R A S S E U R , eft celui qui fait & vend la
bière.
On attribue l’invention de là bière aux Egyptiens
: on prétend que ces peuples, privés de la
vigne , cherchèrent dans la préparation des grains
dont ils abondoient, le feèret d’imiter le vin , ôc
qu’ils en tirèrent la bière ; d’autres en font remonter
l’origine jufqu’aux temps des fables. Cette boiffon
fut connue d’abord fous le nom de boiffon pelu-
fienne, du nom de Pélufe , ville fituée proche l’embouchure
du N il, oîi l’on faifoit la meilleure bière:
elles étoient de deux fortès, l’une que les gens du
pays nommoient fithum , ôc l’autre, carmi : elles ne
différoient que dans quelque façon qui rendoit le
carmi plus doux & plus agréable que le \ithum ;
elles étoient, félon toute apparence , l’une à l’autre,
comme notre bière blanche à notre bière rouge.
L’ufage de la bière ne tarda pas à être connu
dans les Gaules , & ce fut pendant long-temps la
boiffon des Gaulois. L’Empereur Julien, gouverneur
de ces contrées , en a fait mention dans une épi-;
gramme.
Au temps de Strabon , la bière étoit commune
dans les Provinces du Nord , en Flandres & en
Angleterre. Il n-’eft pas furprenant que les pays froids
où le cidre & le vin même manquoient, aient eu
recours à une boiffon faite de grains & d’eau ; mais
que cette liqueur ait paffé jufqu’en Grèce & dans ces
climats fertiles en raifin , c’eft ce qu’on auroit peine
à croire, fi des auteurs célèbres n’en "étoient ga-
rans. Les Efpagnols buvoient auffi de la bière au
temps de Polybe. Il y a long-temps que la bière
eft d’ufage en France où on la nommoit cervoife,
dérivée de cervifia, nom donné à la bière douce.
Mais entrons dans une brafferie pour y fuivre
les procédés par lefquels on fait cette boiffon.
On peut dire en'général que la bière fe tire du
grain ; mais elle ne Te tire pas du même grain partout
où l’on en fait.
A Paris, ôc plus généralement en France, on
n’y emploie que l ’orge. Quelques braffeurs feulement
y mêlent , les uns un peu de bled, d’autres
.un peu d’avoine. Dans les provinces du Nord de
la France , telles que la Picardie, l’A rtois., le Bou-
lonnois , la Flandre françoife , elle ne fe fait qu’avec
le foucrillon ou l’orge d’hiyer , ou même avec l’ef-
piotte que nous appelons auffi Yefcourgeon ; ce que
nous nommons orge 9 s’appelle dans ces Provinces ,
pamele.
En Hollande, on braffe non-feulement avec l’orge
foucrillon , mais encore avec le bled & l’avoine.
Les braffeurs Hollandois qui tirent de la bière de
chacun de ces trois grains, ont trois fortes différentes
de bière.
En Allemagne, où la bière ne laiffe pas d’être
fort commune , elle fe fait auffi avec l’orge ; on y
emploie quelquefois l’efpiotte. L’efpiotte eft un grain
dont le noyau reffemble affez à celui du feigle, excepté
qu’il eft plus court ôc plus plat. La coque qui
le renferme ne diffère guères de celle du bled ; on
a feulement beaucoup plus de peine à en faire for-
tir le grain , mçme en le battant à la manière des
autres grains ; auffi on fe contente d’en brifer les
épis ; on le fait germer ôc on le moût dans fa coque.
En Angleterre, où la bière eft très-commune ,
on la fait, ainfi qu’ailleurs , avec l’orge, le bled
ôc l’avoine.
Une brafferie eft un bâtiment confidérable : le
nombre des agrès ne l’eft pas moins. Les principaux
font, le germoir , la touraille, le moulin , les cuves,
les chaudières.
Pour braffer, fuivant la façon de Paris , il faut
avoir de bon orge, que l’on met tremper dans
l’eau naturelle pendant l’efpace de trente à quarante
heures , plus ou moins, félon que les eaux font
plus ou moins dures , ÔC l’orge plus ou moins fée.
Au refte , en quelque temps que ce foit, & de quelque
nature que foit l’orge , on jugera qu’il aura.
affe^cTeau , quand en le Terrant entre les doigts il
cédera facilement à la preffion , & s’écrafera fans
peine fous l’ongle ; alors on le retirera de la cuve
où on l’aura fait mouiller , & on le tranfportera
dans le germoir.
Le germoir, ainfi que le nom l’indique affez, eft
un lieu où l’on met germer le grain mouillé qu’on
deftine à faire de la bière. Il y en a de deux efpèces;
les uns font de grandes caves voûtées : on les regarde
comme les meilleurs ; les autres de grandes
Talles au rez-de-chauffée. Le grain refte au germoir
en tas.ou en mottes, communément vingt-quatre
heures. Au bout de ce temps qu’on lui accorde pour
reboire fon eau , comme on dit dans les brafferies ,
on le m.et en couches, c’eft-à-dire, qu’on étend les
mottes ou tas, ôc qu’on les réduit à la hauteur de 8
à 9 pouces d’épaifleur, plus ou moins , félon que
le germoir eft plus ou moins échauffé: on laiffe le
grain dans cet état, jufqu’à ce que par la chaleur
naturelle
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naturelle qu’il trouvera dans lui-même , le germe
commence à en fortir ; quand on verra le germe
pointer hors du grain j pour, lors il faudra rompre.
Voyez planche IV.
On appelle rompre une couche de grain, la remuer
avec une pelle , jeter le grain d’une place dans une
autre , le retourner & le remettre en couche
comme auparavant, obfervant feulement de donner
à la couche moins de hauteur , à moins que
le grain rient,été rompu trop jeune, c’eft-à-dire , avant
que le germe en fût affez avancé ; on laiffera la nouvelle
couche de grain dans cet état pendant douze
pu quinze heures plus même, fur-tout fi lair qui
règne dans le germoir eft frpid ; car alors la germination
fe fera plus lentement.
Au b o u t d e s d o u z e o u q u i n z e h e u r e s . , l e g e rm e
s ’é t a n t a c c r u c ô n f i d é r a b l e m e n t , ôc l a c h a l e u r s ’e t a n t
b e a u c o u p a u g m e n t é e , o n r e d o n n e r a e n c o r e u n c o u p
d e p e l l e a u g r a i n , o b f e r v a n t d e l ’é v e n t e r p l u s q u e
l a p r e m i è r e f o i s : c e t t e m a n oe u v r e s’a p p e l l e donner
le fécond coup de pelle. On f i n i r a l e f é c o n d C o u p d e
p e l l e , p a r r e m e t t r e l e g r a i n e n c o u c h e ; i l y r e f t e r a
e n c o r e d o u z e à q u i n z e h e u r e s : c e t e m p s l u i f u f f i r a
p o u r a c h e v e r d e p o u f f e r f o n g e r m e , a u p o i n t q u i
c o n v i e n t p o u r ê t r e e n é t a t d e p a f f e r f u r l a t o u r a i l l e .
La touraille eft une des portions principales
d’une brafferie. Sa partie fupérieure A B C D ,
fig. i , planche I , a la forme d’une pyramide
équilatérale creufe, dont le fommet feroit tronque,
& la bafe en-haut. Le corps ou les faces en font
compoféés de pièces de bois affemblées ôc revetues
en-dedans d’une maçonnerie de brique , faite fur
un lattis tel que celui des plafonds ; & pour pré-
ferver les bois d’un incendie prefque inévitable, la
maçonnerie de brique eft enduite de bonnes couches
de plâtre : x , y , £ , font trois faces intérieures
de la pyramide ou trémie de la touraille. On, a pratiqué
à l’une de ces faces une porte pour pouvoir
entrer dans le corps de la touraille , en cas de be-
foin.
La bafe de cette pyramide ou la fuperficie fupé-
périeure de cette trémie A B E F , eft un plan-,
cher fait de tringles de bois de trois pouces d’é-
quarriffage. Chaques tringles laiffent entre elles le
même intervalle , enforte que la furface entière
A B E F , eft tant pleine que vide. Sur ces tringles
de bois , qui font communément de fapin , on
étend une grande toile de crin, que l’on nomme
la haire. La haire couvre tout le plancher A B E F
de la touraille ; cet efpace eft environné & furmonté
de madriers , au défaut de muraille. Sur ces madriers
font attachées des bandes de chêne que l’on
nomme cofiières. Les coftières débordent ? o u ,
comme on d it, recouvrent fur l’aire du plancher , ÔC
empêchent le grain de s’échapper par les rebords ,
■ ôc de tomber dans le corps de la touraille.
Sous la trémie A B C D , ou fous le corps de
îrtouraille, en eft une autre de maçonnerie C D
G H , de la forme d’un parallelipipède. C ’eft dans
l’intérieur de ce folide cju’eft conftruit le fourneau
Arts 6* Métiers, Tojiie I , Partie 1,
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de la touraille , dont ©n voit l’intérieur par la bouche
I. Ce fourneau a communément vingt pouces
de large , quatre pieds & demi de long dans oeuvre,
non compris fon*embouchure , qui fe trouvera
plus ou moins longue , félon que les murs du fourneau
auront plus ou moins de profondeur.
Pour conftruire folidement Un fourneau de touraille
, il faut que le pavé en foit fait de briques
pofées debout ôc de champ, Ôc que le pied du
mur en-dedans du fourneau foit revetu de fortes
enclumes, capables de réfifter à 1 aélion du feu ;
autrement , foit les briqués , foit les tuiles dont on
le conftruiroit, fe'roient bientôt calcinées. Comme
la première portion du fourneau s eleve en grand
fur le plomb , ainfi qu’on l’appèrçoit dans la figure ,
il eft néceffaire que les enclumes foient detenues
par le haut, d’une forte barre de fer fcellee d uiï
bout dans le mur du fond du fourneau , & de 1 autre
dans le mur de côté, près de l’embouchure ,
enforte qu’elle s’étende de toute la longueur du
; fourneau ; ôc pour plus de folidite , on 1 armera de
gougeons de fer d’environ un pied de long , ^ qui
feront pareillement fcellés dans le mur de cote »
ainfi qu’on l’apperçoit dans les coupes du fourneau B
fig. 2 ôc ^ , même planché. . r , ,
La première partie du fourneau étant ainfi elevee,
on conftruira à-plomb fur elle , celle du milieu ; on
lui donnera environ un pied’ de hauteur. On ele-
vera enfuite la dernière-partie : fa forme fera la
même qu’on voit à celle du milieu, mais^ -'ans une
fituation renverfée , enforte que la partie du milieu
du fourneau , & fa partie fupérieure , reffem-
blent affez à deux chaudières oppofées fond a fond ,
ôc communiquant par une ouverture commune ;
avec cette feule condition , que la chaudière inferieure
auroit plus de hauteur que la fuperieure.
Voyez fig. 1 , 2 & j . I G H K L , partie inférieure
du fourneau ; K L M , bouche ; N O P Q , enclumes
fcellées ; P Q R S, partie du milieu du fourneau ; R S
T V , communication de la partie du milieu^ avec
la partie- fuperieure j T V X Y , partie fuperieure»
La fig. 1 montre le fourneau en entier ; la fig. y en
eft une coupe verticale par le milieu de la bouche ;
la fig. 2 en eft une coupe verticale & parallèle à
la bouche.
Sur cette conftru&ion on placera de bonnes &
fortes briques de champ fur le mur de la partie fa-
périeure, félon leur hauteur Ôc de diftance en dif-
tance, comme on voit fig. en 0 , 0 , 0 , 0 ,
ôcc. Ces briques ainfi ditpofées formeront des efpèces
de carneaux. ' Sur ces briques on placera un
châffis de fer plat, d’environ deux pouces d’équar-
riffage. Voyèz fig. 4 ce châffis. On diftribuera fur
ce châffis de grandes & fortes tuiles , qui ferviront
à porter la maçonnerie qu’il convient a elever def-
fus ce châffis. On appelle communément cette maçonnerie
la truite. '
La truite , p , q , r , f , fig. / , a la figure^ d un
comble de pavillon à quatre arêtes ; c’eft un egout
formé par des tuiles, ôc tel que feroit exa&ement
O o