
nous venons d’expofer. S’il eft d’une exa&e équité,
s’il fautnéceffairement que le peuple reçoive la quantité
de pain qu’il paie, il eft jufte auffi que les boulangers
jouifient d’une certaine tranquillité ; qu’ils
•pratiquent leur art par un principe d’honneur, &
qu’ils ne vivent pas fans ceffe entre les difficultés^"
de ce même art, qu’ils doivent s’appliquer à vaincre,
& la crainte d’être punis pour ne les avoir pas vaincues.
On exige d’eux de la précifion ftour le poids
de chaque pain de la. forme/ordinaire , & fur une
quantité confidérable qu’ils vendent tous les jours
au public ; ils tâchent d’obtenir cette exaftitude dans
une certaine efpèce de pains, & n’y parviennent
jamais conftamment : la même précifion léur eft demandée
pour des pains qui s’écartent de la forme
ordinaire, & oh il leur eft impoffible de l’obtenir :
on les réduit donc , par la rigueur d’un pareil réglement
, ou à la néceflité de porter le poids de leurs
pains plus ou moins au-delà de celui qui eft prefcrit,
& contre leurs intérêts , pour fe mettre à couvert
de l’amende, ou au danger certain dé la p a y e r , f i ,
avec de la bonne foi, mais fans bleffer leurs intérêts ,
ils s’en tiennent à l’excédent ordinaire de dix onces
de pâte pour chaque pain de quatre livres, de quelque
forme qu’on le fuppofe, & quel que foit le caprice
du particulier, à l’égard de la cuiffon, qui aura
commandé ce pain.
' Nous devons aux boulangers là juftice de dire ici
qu’ils défirent qu’on les aftreigne à fournir au peuple
la quantité jufte de pain dont il paie le prix;
qu’ils fe foumettent volontiers , dans le cas oh le pain
'expofé en vente , de la forme ordinaire , & annoncé
toujours fur le pied du poids prefcrit, fe trouveroit
cependant au deflous de ce. même poids ; ils offrent,
dis-je, ou de fuppléer par d’autre pain à la quantité
qui manqueroit, ou de confentir à une diminution
proportionnelle fur le prix du pain quinauroit pas
îe poids annoncé.
En confidérant les chofes fous ce point de vue,
on fent tout d’un coup que la balance eft dans la main
du peuple ; que les boulangers ont autant de furveil-
îans , & de furveilkns continuels, qu’il.y a de particuliers
attentifs à leurs intérêts ; & que les boulangers,
ou rempliront toute juftice à cet égard, ou ne
jouiront jamais de la tranquillité qu’ils défirent.
Tant que le peuple fe repofe fur la vigilance du
magiftrat, fes plaintes font rares ; mais fon intérêt
peut être léfé, parce que ce magiftrat, avec les intentions
les plus pures, ne fauroit obvier aux imper-
feétions de l’art,& poürroit frapper fouvent un boulanger
de bonne fo i, en croyant punir un homme
infidèle. Il ne s’agit point ici d’un commerce comme
celui de l’orfévrie, oh la loi veille pour le peuple,
oh une infpeérion rigide devient néceffaire, parce
què le titre des matières , la valeur intrinféque des
•chofes, paffe les connoiffances du peuple, & demande
qu’une autorité éclairée la fixe : il eft quéf-
tïon de l’aliment de première néceflité ; le peuplé
Ta fans ceffe fous la main, & il en a le choix dans
mille- endçpits ; comme il fàit.l’appréeiér à fa jùftè
valeur pour la qualité qu’il peut avoir , il lui eft
également facile, s’il le veut, d’en connoître le poids,
de fe faire rendre fur le champ la juftice qui lui eft
due, en devenant en même temps & un fimple particulier
qui achète du pain, fi nous pouvons nous
exprimer ainfi, & l’homme d’une loi jufte, qui fe
trouve autorité, intéreffé fur-tout à la faire exécuter
fous fes yeux. Alors il ne manque rien au peuple
dans ce qui- concerne le premier de fes alimens ; il
n’en ignore jamais le prix ; il juge bien de fa qualité ,
& il en conftate le poids.
Nous terminerons ce rapport, non par une dif-
cuflion en forme, mais par une réflexion fimple fur
l’opinion de quelques perfonnes qui, prévenues en
faveur de l’ufage aéfuel de vendre le pain, penfent
qu’il faut continuer d’aftreindre les boulangers a le
tenir ftriéfement dans tout le poids prefcrit, & de
les y obliger fpus la peine d’une amende, quelque
humiliante qu’elle foit pour eux.
Nous fommes perfuadés que ces perfonnes nont
que des vues droites, en demandant une exaéiitude
fi rigoureufe dans le travail, & une févérite fi marquée
contre ceux qui s’en écartent. Mais c’eft pré-
cifément parce qu’elles fe croient guidées* dans leur ~
opinion par l’efprit d’équité, qu’il ne s’agit que de
bien entrer dans leurs vues, & de tirer ae l’équite
même les raifons folides qu’on peut leur oppofer. -
L’effençe d’une loi generale & des réglemens
particuliers qui en découlent, eft fans doute que
tous ceux qui s’y trouvent affujettis puiffent l’exe-
cuter , & que la mauvaife foi feule cherche des prétextes
pour l’enfreindre : une loi coaâive , q u i,
malgré des apparences capables d’en impofer ,; eft
en défaut fur ce point effentiel, cette lo i, attaquable
par elle-même , ne fubfifte qu’au milieu des abus ; &
fi un homme fidèle à fes devoirs s’y foumet d abord,
au hafard de bleffer fes intérêts, il ne tarde pas a
fentir que la loi eft impraticable, dans la rigueur
avec laquelle on la lui prefcrit ; il s’en écarte peu
à peu , & finit par voir dans la loi même la raifon
de s’y fouftraire.
Ou il eft poflible à un boulanger, pour revenir à
notre objet, de faire une fournée de cinquante a
foixante pains , foit de la forme ordinaire , foit plus
longs qu’on ne les demande communément , qui
aient été portés au degré de cuiffon néceffaire, &
qui, au fortir du four, pèfe.nt quatre livres juftes;
ou il lui eft impoffible de répondre de cette précifion
pour chacun des pains qui feront fortis du même
four , & dans' le même inftant. Le réglement de
police aéluel êft fondé fur la première de ces pro^*
pofitions ; & l’expérience, plus forte que la loi, plu$
décifive qu’un réglement, s’accorde avec la fécondé.
If eft donc néceffaire que tout réglement ait fa
bafe dans l’expérience ; fans cette condition effen-
tielle, il tombe bientôt par lui-même ; ou s’il fub-
I fifte par voie d’autorité, il fournit fans ceffe matière
a de juftes réclamations.
Mais il naîtra des abus, dira-t-on , de la liberté
dont jouiront les boulangers d’ayoir chez eux des
pains
pains foibles de deux ou trois onces fur quatre livres,
à côté d’autres- qui feront du poids prefcrit : le boulanger
n’avertira point l’acheteur de cette inégalité
de poids ; & celui-ci, de bonne foi, prendra le pain
qui lui fera préfenté.
Nous convenons qu’il le prend aujourd’hui avec
c-ette confiance, & fouvent à fon défavantage, parce
qu’il fuppofe qu’on veille pour lu i, & qu’une plainte
en forme de fa part auroit peut-être des fuites qui
l’affligeroient.
Au lieu que ce même acheteur, ne pouvant ignorer
que par un réglement nouveau il doit veiller
lui-même à fes intérêts, s’en occupera certainement,
ou les négligera, s’il le veut, fans avoir à fe plaindre
du boulanger.
Au refte, les abus font prefque toujours à côté
des meilleurs réglemens. Le point le plus important
d’une lo i, nous le répétons, c’eft qu’elle porte fur
une bafe fixe , & qu’elle foit d’accord avec les faits
qu’on lui donne pour appui : alors s’il naît des abus,
comme il faut s’y attendre, on tâche de les corriger ;
mais en revenant toujours à cette loi invariable,
fondée fur l’expérience., & dont on ne peut, fous
aucun prétexte plaufible , éluder l’exécution.
Le mémoire qu’on vient de lire étoit fous la preffe,
lorfque le comité de boulangerie nous chargea de
faire une troifième expérience fur le poids du pain
au fortir du four, & fur l’inégalité à cet égard , qu’il
ne nous avoit pas été poffible d’éviter dans les deux
premières. Celle-ci devint d’autant plus digne d’attention
, que plufieurs magiftrats diftingués voulurent
bien en être témoins; que les réfultats oh elle
conduifit acquirent, par leur préfence, plus d’authenticité
;& que cette expérience, s’accordant avec
celles qui n’avoient pas été faites fous leurs yeux ,
imprima en quelque forte aux deux premières toute
l’authenticité qu’elle avoit.
Nous ne répéterons pas ici ce que nous avons
déjà d it , en rendant compte de la première expérience
, fur la préparation du levain de première, de
fécondé &. de tout-point; fur la formation de la pâte
& le bon apprêt qu’elle reçut avant qu’on la tournât
pour en tirer les pains de différente pefanteur,que nous
mîmes au four : nous nous propofâmes, en gardant
à peu près le même ordre, de conftater de nouveau
les faits que nous avions reconnus. S’il y eut quelque
différence pour les réfultats, entre cette troifième
expérience & celles qui l’avoient précédée, nous y
trouvâmes un avantage de plus, celui de varier nos
ébfirvations, & d’en être mieux inftruits.
Lorfque la pefée de la pâte eut été faite avec
exa&itude fur le pied de neuf livres pour les pains
de huit livres ; de quatre livrés dix onces pour ceux
de quatre livres ; de deux livres fix onces pour ceux
de deux livres, & que ces différens pains eurent
pris leur apprêt dans les pannetons, on les mit au
four, en obfervant l’ordre que nous avions déterminé;
& on garda le même ordre en les retirant
du four, lorfque les boulangers , qui étoient témoins
Arts & Métiers. Tome I. Partie L
de cette expérience , nous eurent alluré que ces
pains étoient fuffifammert cuits.
On procéda fur le champ à la pefée de tous ces
pains , fous les yeux des magiftrats qui les.avoient
vu mettre au four., & que l’importance de l’objet,
leur zèle fur-tout, rendoient attentifs au réfultatde
cette opération. Nous préfentons ici un état détaillé
du poids de ces différens,pains, comme nous l’av-ons
fait en rendant compte dés deux autres expériences ,
& nous y diftinguons également les endroits du four
que ces pains occupoient. On voit par ce tableau
fidèle des produits de notre expérience, que l’inégalité
de poids a lieu dans tous les cantons du four;
(voyez le tableau de la troifième expérience') que la
perte fur le poids s’eft faite en raifon de la furface
des pains, puifque les douze pains longs ont perdu ,
l’un portant l’autre , cinq livres quatorze onces trois
gros, tandis que les dix-huit pains du premier quartier
, qui étoient de la forme ordinaire, n’ont perdu
que deux livres fix gros, & que les dix-fept pains
du fécond quartier, pareils à ceux .du premier pour
la forme , n’ont éprouvé en déchet que deux livres
onze onces fix gros.
On remarque que, par la même raifon,les pains
plats pour la loupe font très-éloignés du poids de
quatre livres ou de deux livres, auquel on auroit
. pu s’attendre fi on ne lés eût pas applatis, afin qu’ils
préfentaffent plus de furface ; & que la perte fur le
fécond de ces pains deftinés pour la foupe, a été*
jufqu’à quinze onces quatre gros, c’eft-à- dire, à un
! quart ou environ du poids dont auroit dû être, en
apparence, ce pain particulier.
Les deux pains préparés pour être de huit livres
chacun, après leur cuiffon, prouvent feuls la grande
différence, à l’égard du poids, que produit fur le
pain la forme qu’on lui a donnée : le premier de ces
deux pains, qu’on avoit maintenu, en le mettant au
four, dans toute la rondeur que la molleffe de la
pâte pouvoir permettre, pefoit un peu plus de huit
livres ; tandis que le fécond, qu’on avoit un peu
alongé, comme les pains de quatre, livres de la
forme ordinaire, pefoit quatre onces de moins que
le premier.
On peut remarquer encore que les cinq pains
deftinés pour être de deux livres chacun au fortir
du four, mais qu’on avoit un peu alongés avant
que de les y mettre, étoient tous plus ou moins au
deffous de leur poids, &. avoient perdu en total treize
onces trois gros. Il en a été ainfi du p^in én couronne,
ou qu’on nomme brajfelct; le déchet s’y eft
trouvé de quatre onces fix gros, parce que ce pain
étant trop ouvert dans fon milieu, & n’ayant que
peu d’épaiffeur, préfente beaucoup de furface , donné
même une iffue facile aux. vapeurs aqueufes , par
les gerçures qui fe forment affez ordinairement à fa
croûte.
Il convient enfin d’obferver que les cinquante-huit
pains dépendans de cette expérience, ne pèfent en
total que deux cent onze livres onze onces trois gros ,
au lieu de deux cent vingt-fix livres qu’ils auroienfc
Mm