fciences, avoit pour objet, la meilleure manière de
forger les ancres ? Cette queftion pouvoit avoir deux
branches : l’une, relative à l’ancre ; l’autre, relative
aux machines qu’on emploie pour la forger.
Le prix, quant à la partie relative à l’ancre, que
l’académie avoit principalement en vue dans fa
queftion, fut adjugé à M. Tréfaguet. Voici l’extrait
de fon mémoire.
On forge des barres plates & pyramidales ; on en
arrange plufteurs les unes auprès des autres , en-
forte qu’elles aient enfemble plus que le diamètre
de la pièce qu’on veut forger , & que leur longueur
foit moindre , parce qu’elles s’étendent &. diminuent
d?épailfeur en les forgeant. On donne plus d’épaiffeur
aux barres les plus éloignées du centre, parce que
le feu agit davantage lur elles. On lie toutes ces
barres enfemble avec des liens de fer foudés, que
l’on fait entrer par le petit bout du paquet, & que
l’on chaffe enfuite à grands coups de marteau ; &
on multiplie ces liens autant qu’on le juge néceffaire
pour relîerrer toutes les barres du paquet. Si quelques
barres fe dérangeoient , on les forceroit de
reprendre leur place avec des coins interpofés &
chaffés entre le lien & la barre qu’on veut affujettir.
On porte en cet état le paquet à la forge ; on le
place au deflus de la tuyère ; on le couvre dè charbon.
On fouffle d’abord modérément ; puis on fait
un vent fort 8t continuel. De cette manière la chaleur
paffe de la furface au centre ; & comme les
barres font inégales , & que les premières font l'es
plus fortes , tout s’échauffe également. Pour favoir
li le paquet eft affez chaud, on perce la croûte de
charbon qui l’enveloppe ; s’il paroît net & blanc , il
eft prêt à être foudé ; à l’aide d’une potence & de
fa chaîne qui embraffe le paquet, on le fait aller
fans effort fous le martinet, qui, en quatre ou cinq
coups, foude toutes les barres. Le paquet étant placé
fur l’enclume ou tas, deux forgerons le foutiennent,
& le marteleur, ou le maître ancrier , dirige la
pièce par le moyen du ringal, & fait appliquer les
coups de marteau ou ils doivent porter. Ce marteau
agit ordinairement par le moyen de l’eau, comme
celui des groffes forges.
La longueur d’une ancre de 6000 livres, doit être
à peu près de quinze pieds, & fa groffeur , de dix
pouces ; on proportionne le poids des ancres à la
force de l’équipage & à la grandeur du vaiffeau.
De la manière dont une ancre eft mouillée , le
plus grand effort qu’elle fait , eft dans le plan qui
paffe par la verge & les deux bras. O r , il eft évident
qu’une barre qui n’êft pas carrée , eft plus difficile
à cafter fur le côté que fur le plat ; d’où il s’enfuit,
félon M. Tréfaguet, que l’ancre, pour avoir la force
la plus grande , doit être plate dans ce fens. Cependant
il ne fera pas mal d’abattre les angles en rond
pour rendre plus doux le frottement contre le cable
ôc les rochers.
Lorfque la verge eft forgée, le trou par où doit
paffer l’organeau étant‘percé , le ringal coupé , le
carré & les tenons formés, lç trou qui doit recevoir
îa croifée étant préparé, on forge la croifée & les
pattes.
M. Tréfaguet eft encore d’avis que pour former
les pattes, on forge des barres dont 011 applatiffe les
extrémités.
Quand toutes ces pièces font forgées & affem-
blées , ce qui s’exécute à la forge , au martinet &
au marteau , l’ancre eft finie.
Lorfque l’ancre eft encollée , on la réchauffe ;
puis on travaille à fouder la balèvre ; ce qui ne peut
s’exécuter fous le martinet , mais ce qui fe fait a
bras. On entend par balèvre , les.inégalités cpi restent
néceffairement autour de l’endroit où s eft fait
l’encollage.
Tout le travail précédent fuppofe qu’on a des
eaux à fa portée , & qu’on peut employer un équipage
& des roues à l’eau pour mouvoir un martinet,
ce qui n’arrive pas toujours ; alors il y faut fuppleer
par quelque machine , & faire aller le martinet a
force de bras.
Après cet extrait du mémoire de M. Trefaguet 9
nous allons entrer dans quelques autres détails fur
la fabrique des ancres.
On a pu comprendre de ce que nous venons de
dire, que les principales pièces d’une groffe ancre
font la vergé , les deux bras , les deux pattes & l’or—
ganneau. Toutes ces parties fe forgent fêparément,
enfuite on les <affemble. •.•’■•; .-
Il y a trois procédés différens pouf fabriquen ces
maffes de fer qui entrent dans la compofitipn d’une
ancre. On peut les faire de loupes, ou de mifes, ou
de barres, .
i° . Fabrique des loupes. Lorfque la mine du fer a
été mife en fufton , on la porte au feu* où on la
chauffe avec du charbon de bois. Ce fe r , très^àmolli
& prefque fondant , fe détache en parcelles , qui
tombent dans ce qu’on appelle Y affinerie. L’affine ur
raffemble ces parties avec un barreau, & en formé'
une maffe d’environ un pied' de diamètre ; c eft-la.
ce qu’on nomme du fer en loupe.
M. de Seignelay , miniftre de la marine , établit
une manufacture d’ancres dans le Nivernois, où l’on
en fabriqua d’abord de loupe. On foudoit enfemble
plufteurs loupes, & en les préfentant fous le gros
marteau , on leur donnoit la forme convenable.
C’eft de toutes les manières de fabriquer les ancres ,
celle qui eft la moins coûteufe , mais auffi celle qui
eft la plus défectueufe. Il faut que le fer des ancres
foit doux & liant ; or , les loupes n’étant point
affez forgées, & le métal n’étant point affez dépouillé
de fes parties hétérogènes, le fer de ces ancres fe
caffoit auffi facilement que de la fonte ; c’eft pourquoi
on abandonna cette méthode , condamnée par
l’expérience & par le danger auquel elle expofe les
vaiffeaux.
2°. Fabrique de mife. On chercha donc à fubftituer
aux loupes de meilleur fe r , & on fabriqua des ancres
avec des mifes, c’eft-à-dire , avec plufteurs pièces
d& fer forgées carrément , & enfuite en coin. Mais,
$n a reconnu que le fer de mife n’étoit pas encore
affez liant pour la fabrique des ancres.
o°. Fabrique des barres. M. de Pontchartrain ,
Hiiniftre de la marine , chargea M. Tréfaguet de
veiller à la fabrique des ancres. Nous avons rapporté
les procédés qu’il confeille &. qu’il a employés
avec fucçès pour fabriquer de bonnes ancres , qui
conftftent à les faire de barres de fer foudées fous le
martinet.
Enfin , M. le comte de Maurepas eft parvenu à
mettre la manufacture de Cofne, fur la rivière de
Loire , dans un état qui approche de la perfection ,
fous la direction de M. Babaud de la Chauffade.
M. de Machault fit attribuer aux forges de M. de
la Chauffade, le titre de manufacture royale.
Pour forger au gros marteau des ancres de mife
& des ancres de barre, il n’y a de différence qu’en ce
qu’on foude des mifes les unes après les autres; au
lieu qu’on forge à-la-fois, fous le martinet, toutes les
barres qui entrent dans la compofition d’une pièce.
Toutes ces barres fe foudent & s’allongent enfemble
, les intérieures autant que les extérieures ;
ce qui prouve quelles font toutes fuffifamment
chaudes pour être foudées ; & le volume d’une
pièce, faite de cette forte, eft plus petit que celui
d’une pièce de pareil poids faite à bras, parce que
la matière eft plus comprimée , & qu’il ne refte
point de vide entre les barres.
On a foit beaucoup d’effais pour trouver la meilleure
manière d’arranger les barres de façon qu’elles
formaffent dans leur réunion un cône tronqué. On
a reconnu qu’il étoit avantageux de compofer le
faifceau de vingt - fix groffes barres au plus , & de
le faire oCtogone dans l’ordre fuivant.
Ce tableau eft tiré du mémoire de la fabrique des
ancres de M. de Réaumur , revu & publié avec
d’excellentes obfervations par M. Duhamel du Monceau
, de l’académie royale des fciences de Paris.
POIDS
d’une
Ancre.
3000 liv.
Nombre des Couches
en Barres pyrami-
, dales que l’on doit
mettre dans le paquet
de la verge &
des bras.
Première Couche
pr couverture.
Deuxième, idem.
Troifième, idem.
Quatrième, idem.
Cinquième, idem.
Sixième ; idem.
Septième, idem.
Huitième, idem.
•Neuvième, idem.
Nombre
des
Barrres
à chaque
Couche.
D i m e n s i o n à Longueur
D i m e n s i o n /
de chaque Barre >
au gros bout. \ au petit bout.
f du paquet de chaque Barre >de la verge
prêt à être
mis au feu.
Largeur. Epai fleur. Largeur.
pouc. 1 lignes. pouc. ! lign. •pouc. 1 lignes.
I . 5. 10 . I. 2 . 3. 10.
3 - 2 . 4 . I. 1 . 8.
4 - I. I I . I. 1 5 -
3- 2 . 9 . I. 2.
4 * 2. I. I. 1 . 7 .
3 - 2. 9 . I. 2 .
4 - I . 1 1 . I. B 5-
3 - 2. 4 . I . 1 . - 8.
I. 5. 10. I. 2 . H 3. 10 .
Epai fleur.
pouc. I lign.
10. 8.
Longueur
idem
de chaque
bras.
3 lO.
Les pièces des ancres doivent être chauffées avec
le charbon de terre, autrement dit le charbon de
pierre. Le charbon de bois, quoique beaucoup plus
propre pour la fabrique des fers doux, ne donneroit
pas affez de.chaleur pour échauffer dans le degré
néceffaire , jufqu’au centre , des pièces de fer fi
maffives.
Les forges deftinées à la fabrique des ancres , diffèrent
peu de celles où. l’on travaille la mine de fer.
Le deffus du foyer où de la table eft plat, excepté
vers le milieu, où il y a un creux'profond de quelques
pouces , pour contenir une partie du charbon
de terre. La différence la plus remarquable entre les
forges pour les ancres & les forges ordinaires , eft
celle de leur tuyère. L’ouverture de la tuyère des
forges ordinaires, eft un demi-cercle ; au lieu que
l’ouverture des forges à ancres eft circulaire , &
beaucoup plus petite que l’autre, afin que le vent
qui en fort ,^tant plus preffé, agiffe plus vivement
contre les parties qu’il rencontre.
Il eft effentiel pour réuffir dans une groffe pièce
de forge , que le chauffeur foit attentif ,& diligent,
& qu’il diipofe la pièce qu’il chauffe de façon que le
vent des foufflets ne donne pas deflus, mais qu’il
paffe par deffous ; il doit prendre garde, dans les
différentes pofitîons qu’il donne à la pièce, de déranger
la voûte que forme le charbon ; il faut même
jeter de l’eau deffus , & la fortifier avec du charbon
mouillé. On continue un feu bien réglé, & l’on a
attention de chauffer le faifceau de barres jufqu’an
centre , fans en brûler la fup.erfi.ciev
La verge & les autres principales pièces d’une
ancre étant des maffes très-lourdes à remuer , on
en charge une machine fimple & commode, que les
forgerons appellent une grue, faite en forme de potence
s qui tourne fur deux pivots à l’un & l’autre