
Avant cette découverte , on gravoit le difcours
fur une planche de bois, dont une feule pièce fai-
foit une page ou une feuille entière ; mais la difficulté
de corriger les fautes qui fe gliffoient dans les
planches gravées, jointe à l’embarras de ces planches
qui le multiplioient l’infini, infpira le deffein
de rendre les caractères mobiles, & d’avoir autant
de pièces féparées, qu’il y avoit de figures diftin&es
dans l’écriture.
• Cette découverte fut faite en Allemagne vers l’an
1440.L’utilité générale qu’on lui trouva, en rendit
les fucçès très-rapides. Plufieurs perfonnes s’occupèrent
en même temps de fa perfection , les uns s’unif-
fant d’intérêt avec l’inventeur ; d’autres volant, à
ce qu’on prétend , une partie du fecret pour faire
fociété à part, & enrichir l’art naiffant de leurs propres
expériences ; de manière que l’on ne fait pas
au jufte qui eft fe véritable.auteur de l’art admirable
de la gravuredes poinçons& de la fonderie des
caractères, plufieurs perfonnes y ayant coopéré pref-
que en même temps : cependant on attribue communément
l’invention de graver & de jeter en
fonte les caractères à Pierre Schoeffer , afiocié &
gendre de Fauft de'Mayence; & l’honneur de cette
belle découverte eft paffé à Jean Guttemberg , gentilhomme
allemand, fans doute parce qu’il la per-
Yeélionna.
Les graveurs des caractères font peu connus dans
la république des lettres. Par une injuftice, dont
on a des exemples plus importans, on a prodigué
aux imprimeurs qui ont fait les plus belles éditions,
une réputation & des éloges, que dévoient au moins
partager avec eux les ouvriers habiles qui avoient
gravé les poinçons fur lefquels les caractères avoient
été fondus ; fans les difficultés de l’art typographique
, qui font grandes , ce feroit comme"fi l’on eût
donné à un imprimeur en taille-douce la gloire d’une
belle eftampe , dont il auroit acheté.la planche, &
vendu au public des épreuves imprimées avec foin..
On a beaucoup parlé des Plantins, des Elzevirs,
des Etiennes, & autres imprimeurs que la beauté
& la netteté de leurs caractères ont rendus célèbres ,
fans obferver qu’ils n’en étoient pas les auteurs , &
qu’ils n’auroient proprement que montré l’ouvrage
d’autrui, s’ils n’avoient travaillé à le faire valoir par
les foins d’une impreffion propre & bien foignée.
Nous ne prétendons point ici déprimer l’art ap-
pellé proprement typographique ; il a fes règles, qui
ne font pas toutes faciles à bien obferver, & fa difficulté
, qu’on ne parvient à vaincre que par une
longue habitude du travail. Ce travail fe diftribue
en plufieurs branches, qui demandent chacune un
talent particulier. Mais n’eft-ce pas alTez pour l’imprimeur
de la louange qui lui revient du mécanifine
de la compofition, de la propreté de l’impreffion ,
de la pureté de la corse&ion, &c. fans lui tranfporter
encore celle qui appartient à des hommes qu’on a
laifies dans l’oubli, quoiqu’on leur eût l'obligation
de ce que l’imprimene a de plus beau ? car une
choie qui doit étonner, c’efl-que ,les écrivains qui
ont fut en différens temps l’hiftoire de l'imprimerie ,
qui en ont fuivi les progrès, & qui fe font montrés
les plus inftruits fur cet objet, fe font fort étendus
fur le mérite des imprimeurs , fans prefque dire un
mot des graveurs en caractères ,• quoique l’imprimeur
ou plutôt le typographe , ne foit au graveur , que
comme un habile chanteur eft à un bon compofi-
teur de mufique.
Les premiers poinçons que l’on grava , furent les
lettres gothiques bâtardes ou allemandes , dont on fit
ufage pendant le premier fiècle de l’imprimerie ;
puis l’on inventa le cara&ère que l’on appella lettres
bourgeoifes, qui tiennent le milieu entre le gothique
&. celles d’à-préfent, dont on imprima beaucoup de
livres , tant à Venife , Rouen , Lyon , qu’à Paris ;
enfin le cara&ère romain, dont on attribue l’invention
à Aide Mânuce , italien.
C’eft pour rendre à ces artiftes la gloire qui leur
eft due , que M. Fournier le jeune, lui-même habile
fondeur & graveur en caractères à Paris, en a fait
mention dans un livre de modèles de caractères d’imprimerie
, qu’il a publié en 1742. 11 a mis au nombre
de ceux qui fe font diftingués dans l’art de graver
les caractères, Simon de Colines, né dans le village
de Gentiîly ,près Paris; il gravoit en 1480 des carac-
-tères romains, tels que ceux que nous avons aujourd’hui.
Aide Manuce faifoitJa même chofe & dans le
même temps à Venife. Claude Garamond, natif de
Paris^ parut en 15 10, & porta ce travail au plus
haut point de perfection qu’il ait jamais acquis,foit
par la figure des caractères , foit par la jufteffe ôt^la
précifion avec lefquelles il les exécuta.
Vers le commencement de ce fiècle on a perfectionné
quelques jettres , mais on n’a rien ajouté à
l’exaditude & à l’uniformité que Garamond avoit
introduites dans fon art. Son caradère de petit-romain
étoit connu dans toute l’Europe fous le feul nom de
Garamond. Ce fut auffi lui qui exécuta, par ordre
de François premier, les caractères grecs qui ont tant
fait de réputation à Robert Etienne.
Les poinçons de cet habile artifte François , font
pafles à M. Fournier l’aîné, fondeur de Paris , qui
fait fi bien les faire valoir & les mettre en honneur
: témoins les fuperbes impreffions de M. Didot
l’aîné, qui donne tant d’éclat à l’imprimerie fran-
çoife.
Robert Granjon, auffi de Paris, fils de Jean
Granjon, imprimeur & libraire , grava de très-
beaux caractères grecs & latins ; il excella dans les
caractères italiques. 11 paffa à Lyon en 1570 : il y
travailla huit ans , au bout defquels il alla à Rome,
où le pape Grégoire XIII l’avoit appellé pour graver
des caradères hébreux , fyriaques , arabes ,
grecs, arméniens ; ce qu’il exécuta.
Les caractères de ce graveur ont été plus eftimés
que ceux d’aucun de fes contemporains : ils étoient
dans le même goût, mais plus finis. Les frappes
ou matrices s’en font fort répandues en Europe , Sc
elles fervent encore en beaucoup d’endroits.
Le goût de ces italiques a commencé à paffer vers
le commencement du dix-huitième fiècle : cette ef-
pèce de révolution typographique fut amenée par
les fieurs Grandjean& Alexandre, graveurs du ro i,
dont les caractères fervent à l’imprimerie royale. En
1742 , M. Fournier le jeune, que nous avons déjà
cité avec éloge, les approcha davantage de notre
manière d’écrire, par la figure, les pleins & les
déliés qu’il leur donna.
Guillaume le Bé, né à Troyes en Champagne vers
l’an 1525 , grava plufieurs caractères, & s’appliqua
principalement aux hébreux & rabbiniques ; il travailla
d’abord à Paris ; de-là il alla à Venife , à
Rome, &c. 11 revint à Paris , où il mourut. Robert
Etienne à beaucoup employé de fes caractères dans
fes éditions, hébraïques.
Jacques de Sanlecque , né à Cauleu, dans le Bou-
lonois en Picardie , commença dès fon extrême jeu-
neffe à cultiver la gravure en caractères. Il travailloit
vers l’an 15-58 ; il y a bien réuffi. C’eft lui qui a
gravé les caraCîères fyriaques , famaritains , chal-
déens & arabiques pour la fameufe Bible polyglotte
de Meffire Guy Michel le Jay, maître des requêtes.
C’eft encore lui qui a gravé & fondu le premier
caractère de mufique portant fes règles. Avant lui,
on les imprimoît à deux fois, les règles les premières,
& en fuite la note. x
Jacques de Sanlecque fon fils , né à Paris, commença
par étudier les lettres ; il y fit des progrès,
& fe rendit auffi digne fucceffeur de fon père dans
la gravure. Sanlecque, père & fils, étoient en 1614
les feuls graveurs qu’on eût à Paris. Le fils exécuta
de très-belles notes de plain-chant & de mufique;
plufieurs beaux caractères , entre lefquels on peut
nommer le plus petit qu’on connût alors à Paris,
& que nous appelions la Parijîenne. Il grava ce caractère
pour l’oppofer à celui que Jean Jeannon,
graveur , fondeur & imprimeur de la ville de
Sedan, venoit de donner au public fous le nom
de Sédanoife.
M. Fournier le jeune., juge très-compétent par la
connoiffance qu’il a & de fon art & de l’hiftoire de
cet art, prononce.févérement que depuis Sanlecque
fils, jufqu’au commencement du dix-huitième fiècle ,
il ne s’eft trouvé en France aucun graveur en caractères
, tant foit peu recommandable. Lorfqu’il. fut
queftion de- diftinguer les i & les u confonnes &
voyelles , il ne fe trouva pas un feul ouvrier en état
d’en graver paffablement les poinçons ; ceux de ces
anciens poinçons qu’on retrouve de temps en temps,
montrent combien l’art avoit dégénéré. 11 en fera
ainfi de plufieurs arts, toutes les fois que ceux qui
les profeffent feront rarement employés ; on fond
rarement des ftatues équeftres ; les poinçons des
caractères typographiques font prefque éternels. Il
eft donc néceffaire que la manière de s’y prendre &
d’exceller dans ces ouvrages , s’oublie en grande
partiel
Enfin , M. Fournier le jeune., très-habile graveur
& fondeur de caractères , qui fleuriffoiî en 1740, a
beaucoup perfectionné ces deux arts, foit çn corrjgéant,
foit en-perfectionnant, foit même en inventant
plufieurs parties des objets relatifs aux caractères
& à l’imprimërie, comme nous aurons occafion
de le faire obferver dans la fuite de cette def-
cription.
La gravure des caractères eft proprement le fecret
de l’imprimerie ; c’eft cet art qu’il a fallu inventer
pour pouvoir multiplier les lettres à l’infini, & rendre
par-là l’imprimerie en état de varier les com-
pofitions autant qu’une langue a de mots , ou que
l’imagination peut concevoir d’idées , & les hommes
inventer de fignes d’écriture pour les défigner.
Pafions préfentement aux procédés de l’art de
graver les poinçons des cara&ères.
Procédés de l’art de graver des poinçons.
Avant de graver un caractère quelconque, il faut
déterminer la grandéur refpeCtive des lettres courtes,
des longues & des pleines, relativement à la force de
corps fur lequel on le veut faire, afin que les extrémités
des lettres longues rempliffent exactement ledit
corps, comme les a , 'c , e , m , n , t ; les petites
capitales a , b , c , d , e , & autres de même grandeur.
Les longues font celles qui occupent une plus
grande partie du corps , foit par en haut, foit par
en bas, telles que les A , B , M , b , d , p , q, &
autres. Les pleines font celles qui tiennent tout le
corps, comme J , Q » f i j f i > jfi »
La gravure de la lettre fe fait en relief fur un des
bouts d’un morceau d’acier, d’environ deux pouces
géométriques de long, & de groffeur proportionnée
à la grandeur de l’objet qu’on y veut former , &
qui doit y être taillé le plus parfaitement qu’il eft
poffible , fuivant les règles de l ’art.& les proportions
relatives à chaque lettre ; car c’eft de la perfection
du poinçon que dépendra la perfection des
caractères qui en émaneront.
, On fait les poinçons du meilleur acier qu’on peut
çhoifir. On commence par arrêter le deffin de la
lettre : c’eft une affaire de goût ; & l’on a vu en
différens temps les lettres varier , non dans leur
forme effentielle , mais dans les rapports des différentes
parties de cette forme entre elles. Soit le
deffin arrêté d’une lettre majufcule B , que nous
prendrons ici pour exemple ; cette lettre eft com-
pofée de parties blanches & de parties noires : le
premières font creufes , ôc Iss fécondés font fa.il—
lantes.
Du Contre-rpoinçon,
Pour former les parties creufes , on travaille un
contre-poinçon d’acier de la,forme des parties blan»
ches , & qui repréfente la figure intérieure de la
lettre. Voyez planche/ , fig• 1 % ri°. ƒ , 2, le contre-
poinçon de la lettre B ; ce contre - poinçon étant
bien formé , trempé dur , & un peu revenu ou
recuit, afin qu’il ne s’égrène pas , fera tout prêt à
fervir.
C’eft de la précifion du contre-poinçon que dépend
la perfection de la forme de la lettre. Pour s af*
r r B b b ij