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Nouvelle méthode de fonder fans batardeaüx ni
épuifemens.
Cette nouvelle façon de fonder, confifte eflen-
tiellement dans la conftru&ion d’un eaiffon , ou
efpèce de grand bateau plat, ayant la forme d’une
pile , qu’on fait échouer fur les pieux bien battus &
fciés de niveau à une grande profondeur, par la
charge même de la maçonnerie à mefure qu’on la
conftruit. Les bords cfe ce eaiffon font toujours plus
élevés que la fuperficie de l’eau ; & lorfqu’il repofe
fur les pieux fciés , les bords, au moyen des bois
& affemblages qui les lient avec le fond du eaiffon ,
s’en détachent facilement en deux parties en s’ouvrant
par les pointes pour fa mettre à flot : on les
conduit ainfi au lieu de leur deftination, & on les
difpofe de manière à fervir à un autre eaiffon. V oy.
la planche X 6* fon explication.
Perfonne n’ignore que M. de la Belye eft le premier
qui ait fait avec fuccès ufage d’un pareil eaiffon
pour la conftru&ion du pont de Weftminfter, en le
faifant, par le fecours des vannes, échouer fur le
terrain naturel dragué bien de niveau. Il manquoit
à cette ingénieufe invention , le mérite de ne Iaiffer
aucune inquiétude fur la nature du terrain fur lequel
on a fondé , foit par fon propre affaiffement , foit
par les affouillemens toujours redoutables dans les
grandes rivières : l’expérience a même fait connoître
que le terrain fur lequel on a fondé le pont de
‘Weftminfter, quoique jugé très - propre à recevoir
les fondations de ce pont fans aupun pilotis, n’étoit
point à l’abri de ces affouillemens. Il étoit donc
d’autant plus indifpenfable de chercher des moyens
de remédier à cet inconvénient effentiel, que dans
l'emplacement du pont de S^ùmur, la hauteur des
fables ou de l’eau eft de plus de 18 pieds fous
Pétiage, & qu’on népouvoitfe flatter, par quelque
moyen qu’on mît en ufage , d’aller chercher à cette
profondeur le terrain qui parpît folide. G’eft à quçi
l’on a remédié en faifant ufage des pieux battus à un
refus confiant, & les feiant enfuite tous de niveau
à une profondeur déterminée fous la fiirface des
baffes eaux , au moyen d’une machine dont on
donnera ci-après la defeription : on commencera par
détailler les opérations & ouvrages faits pour remplir
le travail qu’on vient d’annoncer , en indiquant
en même temps tous les autres moyens de conf-
truélion dont on a fait ufage pour donner à cette
nouvelle méthode de fonder la folidité défirable.
Il eft bon de prévenir qu’il y a jufqu’à ce jour
trois piles conftrujtes de cette manière pendant deux
campagnes confécutives ; qu’elles ont toutes 54
pieds qe longueur d’une pointe à l ’autre , fur 12
pieds d’épaîfteur de corps carré , fans les retraites
& empatemens, qu’elles font fondées à 9 pieds de
maçonnerie fous le plus bas étiage ; que la hauteur
ordinaire de F eau dans remplacement du pont, eft;
depuis 7 pieds jufqu’à 18 , les crues moyennes de 6
pieds fur l’étiage > & les plus grandes crues de 17
1 18 pieds ; d’où l’on voit que dans les grands défier-
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demens , il fe trouve dans quantité d’endroits jufqifà
36 pieds de hauteur d’eau.
Détails des conjlruflions.
Les-premières opérations ont confifte dans la
détermination des lignes de dire&ion du pont j
favoir , la capitale du projet, & la perpendiculaire
qui paffe par le centre des piles & les pointes des
avant & arrière - becs ; lorfque ces lignes furent
affurées par des points cpnftans, fuivant la convenance
des lieux, on établit fur quelques pieux 8c.
appontemens provifionnels dans le milieu de remplacement
de la pile, deux machines à draguer, que
l’on fit manoeuvrer en* différens endroits ; on battit
enfuite de part & d’autre de la perpendiculaire au
centre de la pile, une file de pieux parallèle à ladite
ligne, dont le centre étoit diftant d’icelle de 12 pieds
& demi de part & d’autre, pour former une enceinte
de 25 pieds de largeur d’un centrera l’autre des files
de pieux.
Ces pieux, d’un pied de groffeujr réduite en çou»
ronne , étoient efpâcés à 18 pouces d,e milieu en
milieu fur leur longueur ; de^manière que depuis le
pieu du milieu qui fe trouvoit dans la ligne capitale
du projet, jufqu’au ceptre de celui d’angle ou d’é-
paulement, il y avoit de part & d'autre environ 25
pieds de longueur.
Sur ce pieu d’épaulement fut formé1 en amont
feulement avec la file parallèle à la longueur de la
île , un angle de 3 5 degrés, fuivant lequel furent
| attues de part & d’autre .les files qui dévoient fe
réunir fur la perpendiculaire du centre de la pile,
traverfant les pointes des avant & arrière-becs. Du
côté d’aval , il ne fut point formé de battis triangulaire
femblable à celui d’amont ; mais la file des
pieux fut prolongée d’environ 2.0 pieds par des
pieux plus éloignés entre eux.
Pendant qu’on battoit ces pieux d’enceinte les
maçhines à draguer établies dans le centre de la
pile, ne ceffoient de manoeuvrer, ce qui facilitoit
d’autant le battage par l’éfioulement continuel des
fables dans les foliés des dragues ; ces fables fe trou-
voient cependant en quelque manière retenus par
des pierres d’un trèsTgrand poids qu’on jettoit cou*
tinuellement en dehors de l’enceinte des pieux, qui,
appuyées contre ces mêmes pieux , defeendoient
continuellement à mefure que les dragues manoeu-
vroient plus bas. Ce travail a été exécuté avec tout
le fuççès poflible , puifque le ch^guage ayant été
fait dans tout l’emplacement, de la pile jufqu’à 15
& 18 pids fous la furface des eaux ordinaires, ces
mêmes pierres , ainfi jetées au hafard , ont formé
dans tout le pourtour des pieux d’enceinte , une
efpèce de digue ou d’empâtement de plus de 9 pieds
d’épaiffeur réduite , fur 7 & 8 pieds de hauteur, fe
terminant à 4 pieds fous le plus bas étiage, pour ne
point nuire à la navigation. Cette d"gue une ISSf*
faite, *& l’emplacement de la pile entre les pieux
d’enceinte dragué le plus de niveau qu’il a été pof-
fible, à environ 12 pieds fous J’étiage, on forma »
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au moyen des pieux d’enceinte & d’un fécond rang
provifionnel & parallèle, battu à 8 pieds de diftance;
un échafaud de 9 pieds de largeur, régnant dans tout
le pourtour de l’emplacement de la pile, excepté
dans la partie d’aval ; il étoit élevé de 3 pieds fur
l’étiagë. Voyeç toute cette manoeuvre repréfentée &
expliquée dans les planches X & XL
Le travail ainfi difpofé, on battit dans remplacement
de la pile plufieurs pieux propres à recevoir
des appontemens pour le battage de ceux de fondation,
ayant 15 &• 16 pouces en couronne., &
environ 23 pieds de 'longueur réduite. Ils furent
efpacés fur fix rangs parallèles fur la longueur, c’eft-
à-dire -, à 3 pieds 9 pouces de milieu en milieu ; ies
files tranfverfales n’étoient qu’à trois' pieds entre
elles. Ils avoient conftamment 26 pieds de longueur
au deffous de l’étiage , ou environ 13.à 16 pieds
de fiché. Le réfultat du battage fait pendant toute
la campagne de 1758 , fur deux cent trente-deux
pieux de fondation que contiennent les deux piles
fondées dans le même temps, eft que l’on n’a battu
à la tâche qu’un pieu pn cinquième par jour ; que
chaque fonnette, compofée dé cinquante hommes ,
a frappé par jour de travail réduit, fix mille coups
d’un mouton de 1200 livres en douze heures de travail
effeâif, & que le pieu le moins battu , quoique
mis au refus abfolu , a reçu plus de quatre mille
coups de ce mouton, & le plus battu huit mille.
Les pieux de fondation ainfi battus au refus,, on
s’occupa des moyens de les feier à dix pieds 1 pouce,
fous le plus bas étiage, pour pouvoir, déduâion faite
i de l’épaiffeur du fond du eaiffon , donner à la pile 9?
pieds de maçonnerie fous les plus baffes eaux. Cette
opération fut faite au moyen d’une machine mife
en mouyement par quatre hommes qui feient les
pieux lès uns après les autres. Nous en donnerons
ci-apres la defeription, & les moyens de la faire manoeuvrer.
Il fuffit de dire pour le préfent, que ce
feiâge a été exécuté avec la plus grande précifion
pour le niveau des pieux entr’eux à dix pieds 1 pouce
I fous le plus bas étiage, & 12 à 13 pieds fous les eaux,
telles qu’elles étoient pendant le temps du travail ;
cette opération n’a même duré que fix ou fept jours
pour les cent feize pieux de fondation de chaque
! pilç. •
Il fut enfuite queflion de faire entrer le eaiffon
dans l’emplacement de la pile entre les pieux d’enceinte
, de le charger par la conftruéfion de la pile
meme, & de le faire échouer fur les pieux de fondation
deftinés à le porter, en l’affujettiffant avec la
plus grande précifion aux lignes de direâions prin-
pales , tant fur la 1 ongueur que fur la largeur du pont.
Avant d’entrer dans le détail de ces différentes manoeuvres
, il eft néceffaire de détailler la conftru&ion
& dimenfion de ce eaiffon.
Il avoit 48 pieds de longueur de corps carré, 20
P>eds de largeur de dehors en dehors, & 14 pieds de
hauteur de bords, compris-celle du fond ; les deux
Extrémités étoient terminées en avant-bec ou trian- 1
•Arts & Métiers. Tome /. Partie IL
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gle ifocèîe , dont ia baie étoit ia largeur gu corps
carré ; les deux côtés pris de dehors en dehors
avoient chacun 13 pieds 3 pouces de longueur, le
fond tenant lieu de grillage étoit plein & conftruit
de la manière fuivante. .
Le pourtour de ce grillage eft formé par un cours
de chapeau , conformément aux dimenlions générales
qui viennent d’être preferites ; il a 15 pouces
de longueur fur 12 pouces de hauteur, & eft alïem-
blé fuivant Fart & avec la plus grande folidité à la
rencontre de différentes pièces oui le compofent ;
fur ce chapeau font affemblés des racinaux jointifs
d'un pied de longueur & de 9 pouces de hauteur, de
trois un à queue d’aronde, & les deux reftans entre
chaque queue d’aronde à pomme graffe & carrée
en deffous , portant fur ledit chapeau qu’ils affleurent
exaâement en-deffous, & avec lequel ils ne
forment qu’une même fuperficie. Pour donner à ce
fond toute la folidité poflible , on a relié ce cours
de chapeau par trois barres de fer qui traverfent toute
la largeur du eaiffon , font encaftr.ées dans un racinal,
pénètrent le chapeau , & portent à leurs extrémités
de forts anneaux pour faciliter les différentes manoeuvres
que devoit éprouver le eaiffon : tous les
racinaux font en outre liés entr’eux fur le côté par
de fortes chevilles de bois pour ne former qu’un
même- corps ; & comme ils n’ont que 9 pouces de
hauteur le chapeau 12 , ce dernier a été entaillé
de 3 pouces de hauteur fur 8 pouces de largeur dans
tout fon intérieur pour recevoir une longuerive de
pareille longueur, & d’un pied de hauteur fur dix de
largeur, qui recouvre toutes les queues d’aronde Sc
pommes grades des racinaux, & eft chevillée dedif-
fance en diftance avec forts boulons traverfant toute
î’épaiffeur du chapeau contre cette pièce : & dans
l’intérieur eft placé un autre cours de longuerives de
pareille largeur & hauteur, boutonné comme le premier
avec toute, la folidité requife ; i’efpace reftant
dans l’intérieur du grillage entre ce fécond cours de
longuerives , ayant 15 pieds 10 pouces de largeur, a
éfé enfuite garni de madriers de 4 pouces d’épaiffeur
bien jointifs & pofés fuivant la longueur -du fond 9
pour couper à angle droit les joints des racinaux fur,
lefquels ils font chevillés : l’épaiffeur totale du fond
eft par ce moyen de 13 pouces , & le fécond cours
intérieur de longuerives de 8 pouces au-deffus def-
dits madriers. '
A mefure qu’on a conftruit ce fond ou grillage, on
a eu l’attention de bien garnir les joints de fériés pour
empêcher l’eau d’y pénétrer. Ces fériés fe font en
pratiquant une efpèce de rainure d’environ un pouce,
de largeur fur tous Tes joints de l’intérieur du eaiffon
ayant à peu près pareille profondeur déterminée en
triangle. Cette rainure fe remplit enfuite de moufle
chaffée avec coins de bois à coups de marteau & battue
à force. Sur cette moufle on applique une efpèce
dè latte que les ouvriers nomment gavel ; elle a 9
lignes de largeur & 3 d’épaiffeur , & eft percée à
diftan.ces égales de deux pouces pour recevoir fans
s’éclater, les clous avec lefquels on la fixe fur tous
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