
Stukély eft auffi lâche dans la pièce françoife que dans
la pièce angîoife; mais il l’eft fans indécence & avec une
forte de finelL ; au lieu que l’auteur anglois s’appefantit
fur les détails honteux de cette lâcheté, et que chez,
lui, Lewfon s’avilit prefquô à force d’avilir Stukély.
Ce Lewfon eft ennobli par M. Saurïn , dans la
fcène de fon démêlé avec Beverley, & le monologue
de Beverley qui fuit, relève encore Lewfon , au lieu
que ce monologue dans l’auteur anglois; n’eft qu’un
lieu commun fur les duels.
Le cara&ère de Mme Beverley conferve , chez
M. Saurïn , fà vertu touchante , fa douceur généreufe,
& il acquièrt quelques traits d’élévation dans la fcène
où elle pénètre Stukély & le démafque.
Il n’étoit pas poflible de laifler à l’indigne amour
de Stukély pour Mme Beverley, tout ce qu’il a de
vil & de criminel. Nos moeurs exigeoient à cet égard,
quelque adouciflement. M. Saurïn a donc fuppofe que
Stukély avoitaimé , fans fuccès, Mme Beverley avant
fon mariage.
L’auteur anglois avoit ménagé à Beverley une
dernière reftource dans toutes fes pertes, c’étoit la
fucceflion d’un oncle riche; on apprend la mort de
cet oncle, dans un moment oh cette reftource étoit
û néceftaire', que Mmc Beverley elle-même reçoit &
annonce cette nouvelle avec joie ;, petite circonflan ce
qui fàifoit tort à fon caractère, &. que M\ Saurïn a
fupprimée.
Beverley , dans le Joueur anglois, étoit trop conftam-
ment dupe, du moins à l’égard de Stukély. Il ne lui
échappoït pas un fèul trait de défiance contre ce faux
ami. M; Saurïn faifit l’iuftant ou Stukély fèrend garant
de la fidélité des joueurs qui ont ruiné Beverley , pour
mettre dans la bouche de celui-ci , ce mot terrible
pour un, fcélérat tel que Stukély.
Mais toi-même, l’es-tü ? ( fidèle ) •-
C ’eft avec beaucoup de ralfon encore j que M.
Saurïn a retranché un trait de hauteur & de, dureté
qui échappqit à Beverley contre fa' femmef & qui
révoltoit. Beverley a tant de torts, & fa femme a fur
lui tant d’avantages, qu’il ne doit fbnger à elle que
pour la bénir & pour l’admirer. Il eft beau que. dans j
fon défefpoir, il ne tourne fes fureurs que contre
lu i, & qu’il n’oublie pas un fèul moment ce qu’il doit
à cette femme célefte.
Il eft beaucoup parlé au fils du Joueur dans la fcène
angîoife, mais ce fils ne paroît pas, M. Saurïn a cru
ajouter au pathétique du tableau en produifant cet
enfant fur la fcène. ............. I
Il en tire en effet, un parti bien terrible au moment
de la cataftrophe , dans ce moment oh Beverley,
qui s’eft empoifonné, qui va expirer, Voit à fes côtés,
fon fils qui dort d’un fommeil tranquille, & qui, à fon
reveil, ne verra plus que des larmes, & n’aura plus que
le défefpoir à partager. Beverley devenu plus féroce par
fon attentat fur lui-même , fbnge que la pitié doit Rengager
à être' cruel, il veut épargner à cet enfant -, peut-être ;
«a fiècle de malheur, il veut lé faire paffçr'du fommeil à j
r la mort. Il lève fur lui le poignard qui échappe de &■
main ; l’enfant fe réveille, s’effraye, demande grâce & fe
, précipite dans les bras de fa mère, qui arrive au
même inftant. Ce fpeélacle arrache à celle-ci le fèul
mot dé reproche contre fon mari, qui lui échappe
dans toute la pièce ; & ce trait de vigueur, qui paroît
la faire fonir de fon caractère, mais qui lui eft infoira ,
par l’amour maternel-, varie ce carafière sans le démentir.
On a difputé fur la nature! du fentiment qu’excitoit
, ce tableau de l’enfant endormi , près d’être. égorgé
par fon père; on a prétendu que la terreur y étoit
! pouflee jufqu’à l’horreur. Ce feroit peut-être une grande-.
! queftion de favoir jufqu’à quel point l’horreur, quand
. elle n’a rien de bas ni de dégoûtant, peut être admife
au théâtre, & difficilement aftigneroit-on lés bornes
précifès oh la terréur finit & oh l’horreur commence.
Tout étant égal entre la tragédie bourgeoife & la tragédie
ordinaire , quant aux paftjons qu’elles ont droit
de peindre , & aux mouvements qui én peuvent ré - .
i fulter , nous ne trouvons d’autre différence entre Danaüs
& Beverley levant le poignard, l’un fur fà fille, l’autre
; fur fon fils , finon que les motifs de Beverley font bien
j plus excufables que .ceux de Danaüs ; & cette diffé- f
rence dé motifs décide tellement de la fituation, que,
le coup même pourrait être porté , fans qu’on éprou-
| vât d’horreur ; c’eft ce qui arrive dans le fujet de
: Virginie, oh l’on voit avec quelque douceur, l’inno- r
cence échapper par la mort, à la violence d’Appius
à la perfidie de Claudiu<s, & oh Virginius, àu lieu d’ex--
citer l’indignation, comme meurtrier de fà fille , petit!
exciter l’admiration comme un héros qui arrache! une?
• vifiime à la tyiannie , & qui dérobe fonfang à l ’in-;
fàmie. Beverley ne pouvoit pas avoir des motifs; auffi.
nobles que Virginius, mais il en a de bien moins choquants
que Danaüs; fes motifs même conviennent à fa
fituation, c’eft la pitié d’un furieux "y & cette pitié eftl-
confequente. « Mon fils & moi nous n’avons, plus,que.
» la mort pour afyle. J’ai affuré mon repçs, affinons :
» le fien; » & c’eft un trait bien dramatique & un
bél hommage rendu, à la nature, qu’au milieu dé.ce
délire, Beverley ait le courage forcené de s’immoler
lui-même, & n’æt pas celui d’immoler fon fils.
M. Saurïn a mieux préparé que l’auteur, anglois £
le moment de folitude qui fournit à Beverley. les
moyens de confommer fon crime ;• & quant à ce coup
de théâtre oh Bevètley, par tendreffe & par pitié,
eft prêt à poignarder fon fils, il eft adroitement amené
par une précaution bien naturelle &. bien délicate ;
c’eft l’ordre que Mme Beverley , obligée-de fbrtir pour
un inftant, & pour fèrvir fon mari., donne au fidèle
Jarvis d’épier le moment du réveil de Berverley pour
lui préfenter fon fils r
A. cette chère Vue
D*un fentiment fi doux un père a l’àme émue i
Le ftyle de cette pièce eft facile, naturel, élégant*
énergique , bu terrible ou louchantx fuiyant la fitua»
tion &. le’tnomeat.'
Si la mort, au lieu d’être un fommeil ,
Etoit un éternel.........& fiinefte réveil !
Et fi d’un. Dieu vengeur. . . . . il faut que je le prie ;
Dieu , dont là clémence infinie. . . . .
Je ne faurois prier..'... du défefpoir fur moi
La main de fer appefkntie
M’entraîne.. . . . cependant j’entends avec effroi,
Dans le fond de mon coeur, une voix qui me crie :
Arrête , malheureux ; tes jours font-ils-à toi ?
O de nos aéfions incorruptible juge,
Confoience î . . mais quoi, fans dpoir, fans refuge,
Voir ma femme , mon fils languir dans lebefoin l
Auteur de leur misère, en être Je témoin 1
Ce vers eft excellent & d’une précifion admirable.
Oh ! frfhomme au tombeau s’enférmoit tout entier !
Mais des pleurs des- vivans fi l’ame encore émue,
.Voit ceux qui lui font chers fouffrans &,malheureux
Si j’entends vos cris douloureux ,
O ma femme, 6 mon fils , ô famille éperdue,
L’enfer, l’enfer n’a pas de tourmensplus affreux.
Ces vers font un modèle du ftyle touchant.
SAUSSAY , ( André du ) ( Hifi. Litt. moi. )
évêque de Toul, eft auteur du Martyrologium Galli-
canum, peu eftimé de nos fa vans critiques agiographes
tels que Papebroch & Baillet. On l’appelloit Plaufirum
mendaciorum. Né vers l’an 1595. Mort à Toul en 1675,
SAUSS A Y E , (Charles de la) {Hifi. Litt. mod.') chanoine
d’Orléans., puis de Paris , & curé de St. Jacques-
de-la-Boucherieà Paris, né en 1565 à Orléans, mort en
1,62,1 , eft auteur du livre intitulé : Annales Ecclefice
Aurelianenfis. On y trouve un traité : De veritate tranf
lationis corporis fancti Benediéîi ex Italiâ ad monaflerium
Floriaàenfe dioecefis Aurelianenfis. Cette tranflation
des' corps de St. Benoît & de Ste. Scholaftique fà
foeur, a été la matière d’une grande conteftation, non-
feulement entre les Bénédiéhns de l’abbaye de Fleury
ôu de St. Benoît-fur-Loire & ceux du Mont-Caftin ,
mais en général entre les favans de France & ceux
d’Italie. Parmi les Italiens , les uns , tels que Léon
d’Oftie & Ange de la Noix , prennent le parti de
nier cette tranflation , que Paul Diacre , dans fon
Hiftoire des Lombards , paroît rapporter au règne
de Cunibert , qui commencç vers l’an 687 ou 688 ,
dure douze ans, & finit avec le fèpt-ième fiècle ; le&
autres avouent que la tranflation a été faite , mais ils
foutiennent que les corps de St. Benoît & de Ste*
Scholaftique ont été dans la fuite reportés au Mont-
Caflin ,& qu’ils y exiftent encore. Parmi les François,
le P. Le Cointe, dans fes Annales Etcléfiaftiques, à
l’année 673 , & fur-tout Di Mabillon, dans fon fécond
Siècle des Afies des Saints dé l’ordre de St. Benoît, !
ont traité à fond cette matière ; Baillet en parle auffi
au 2 i mars de fes Vies de.s Saints^ Baronius, quoiqu’il
déclare ne pas vouloir entrer dans , une queftion û épi-
neufè, & quoiqu’il avoue que, fi. les Italiens ont pour
«ùx des bulles de papes , ce genre de preuves ne
manque, pas non plus aux François , prononce ce-
: pendant en faveur du Mont-Gaffin ; & le P, Pagi,
.avec' une fi belle occafion de le cçntredirë, fe contente
de renvoyer au,x auteurs, qui; de par-t' & d’autre ,
ont traité cettè question plus à fond. Fixons - en du
moins l’état.
Le monaftère du Mont - Caffin avoit été ruiné par
les Lombards, vers l’an 580. On prétendoit que St.
Benoît, mort en 543 ou 544 , avoit vu d’avance cet
événement dans une révélation , & le pape St. Grégoire
le dit formellement dans fes Dialogues. On rapporte
que St. Mommol ou St. Momble , fécond abbé
de Fleury-fùr-Loire , lifaiit un jour cet endroit des
Dialogues de St. Grégoire, eut tout-à-coup, comme,
par inspiration, l’idée d’envoyer au Mont-Caffin , des
religieux de fa maifon, pour tâcher de recueillir quelques
reliquesau tombeau de St, Benoît, qui étoit alors
abandonné ; il chargea de cette commiffion St. Aigul-
~phe ou St. Ayou , un de fes religieux1 ; celui-ci
rapporta en effet, le corps de St. Benoît & celui de
Ste. Scholaftique. Celui de St. Benoit fut dépofé dans
l’abbayë de Fleury, qui, par cette raifon, a porté
depuis le nom de St. Benoît-fur-Loire. Des habitants
du Mans, qui avoient accompagné St. Aigulphe dans
ce voyage , obtinrent de Mommol la permiffion de
porter au Mans les reliques de Ste. Scholaftique. Ce
qui peut paroître allez singulier, c’eft que ceux qui
affirment cette tranflation, & ceux qui la nient, s’ap-
puyent également fur le.pafîage de Paul Diacre , qùe
Voici:
Circa haie tempora ,. ciim in Cafiro - CaJJino , ubh
beatijjîmb Beneditti Jacrum corpus requieficebat r ali-
quantis jam elapfis annis , vafia folitudo, exlfisret ,
venientes de Ccenomannicorum vel Aurelianenfium régions
Francï -, dum apud venembik corpus pemoctare
fe fimulaffent 3 ejufdem venerabilis patrïs ,. pariterque
ejus geimanæ venemndtz Scholafticoi ojfa auferentes,
in fuam patriam afportaverunt. Ubi fingUlatim duo ma
nafieria in utriufque honorem ,bead Beneditfi & fanSltz-
Scholafiicee confiructd funt. S'ed certum efi nobis as ïltud
venerabile &, omni. nehare fuavïus , ■ & oculos femper
coelefla contuentes, coïtera quoque inembra., quamvisin -
cinerem defiuxa re/nanfijfe.
Comme Paul Diacre , dans ce paiïage , femble :
dire deux chofes contradictoires l’une, que le corps,
de St Benoît a été tranfoorté en France; l’autre
qu’il eft refté en Italie ; il a fallu l’interpréter, & les deux
partis l’ont interprété,divetfement, félon l’intérêt.dé*
la caufe qu’ils avoient à défendre. Il étoit d’ailleurs-
important d’attirer à folle témoignage de Paul Diacre ■
parce qu’il eft un des plus anciens auteurs qui aient
écrit fur ce fait, & que de plus , ayant vécu longtemps
religieux àu Mont-Caftin, oh il eft mort il
femble qu’il dépofè d’un fait dont il a une connoiftance
perfonnetie , lorfqu’il dit 1. fed certum. efi. nobis os
illudy &c. remanfijfe.
Cependant,, on nelfàit pas bien ft Paul Diacr«-
étoit .déjà retiré dans le mônaftère dü,Mont-Caftin -
lorfqu’il écrivoit fon Hiftoire des Lombards; a
Léon tVOftie ». Jean de La .Noix Scies autres