
$> confacrc fa gloire ? Ouvre« les yeux & regardez
» autour de vous ».
On pourroit dire de même à la gloire du
maréchal de Vauban , & dans un fens plus vafte
& plus noble: «Guerriers , parcourez nos frontières 3
voyez de toutes parts ces grands monumens , ces
^ages de fureté , de protection , de confervation,
a 1 ombre defquels les peuples heureux jouiffent
au milieu de la guerre, de toutes les douceurs de
la paix 5 voyez ces innombrables & puijfantes barrières
oppofées à l’ambition , à la haine , à la
jaioufîe , défendant le citoyen, menaçant 1 etranger,
reponffant l’ennemi, fe prêtant des fecours mutuels 3
une intelligence bienfaifante en a combiné les rap-
ports, en a varie le plan & la forme d’après les
différences du fîte , la nature diverfe du terrein,
le voifînàge des mers ou des fleuves, l’inéaalité
des montagnes, l’uoiformité des plaines. Breft ,
Rochefort, Toulon, rendent notre marine florif-
i^ntej Dunkerque devient la terreur de la marine
angloife, Dunkerque le chef-d’oeuvre de Vauban, dit
M. Fontenélle, & par cpnféquent celui de fon art.
Le feul fyftême de Vauban , eft de n’en point
avoir, & de plier les principes généraux aux befoins
particuliers.
Un fouverain , ennemi de la France, obfervant
la frontière de ce royaume , pour y chercher uu
endroit foible & n’en trouvant point , s’écrioit,
faifi malgré lui d’admiration & de refpeél : fe peut-il
qu un feul roi , avec le fecours et un feul homme ,
ait exécuté tant <tétonnans travaux !
Vauban , confervateur du genre humain , vouloit
Tendre les guerres plus rares en les rendant plus
difficiles ; mais quelles barrrières peuvent arrêter
l ’ambition ? Les obftacles en la gênant , l’irritent
encore, & nos guerres font devenues plus longues
fans -ceffer .d’être aufli communes. Cependant ces
obftacles préfervent au moins des conquêtes, &
ménagent des refTources. Les irruptions foudaines
ne font plus à craindre, la correfpondance des
différentes places couperoit les vivres , fermeroit
lé retour à l’ennemi imprudent qui fe feroir engagé
fur nos terres , fans avoir affuré fa retraite.
Ces monumens qu’on pouvoft croire fuperflus
dans les beaux jours de notre grandeur & de notre
gloire, dévoient être notre dernière reffource dans
ces tems malheureux , marqués pour terme à la
puiffanee de Louis XIV. Vauban n’étoit plus , mais
Lille , qu’il avoir fortifiée, arrêta pendant quatre
mois, Eugène & Malborough , & après mille dif-
graces, Landrecies , foible & dernier refte de tant
de barrières dont Vauban nous avoit entourés, prépara
par fa réfiftance la victoire de Denain.
Cet homme , dont les talens pour la fortification
des places devoit porter fi loin fon influence dans
l’avenir,, étoit encore plus heureufement né, s’il
eft poflible, pour l’attaque 5 il n eft pas refté
entièrement fans atteinte fur le premier point.
Quelques v oix , folitaires à la vérité, fe font
élevées contre fon art fortifîcateur 5 la voix publique
a pris foin de leur répondre, mais elle n’a
pas même eu à répondre fur l'article des fièges.
La gloire des batailles , fous Louis X IV , fe partage
entre les Turenne, les Luxembourg, les Catinat, &c.
celle des fièges eft propre à Vauban. On'ne place
ancun nom dans ce genre à côté du fieu, on n'en
cite pas même au-deffous , comme fi on craignoit
de préfenter jufqu’à l’ombre d’un parallèle. Nul
fiège fous Vauban fans un fuccès certain, & pref-
que aucun fiège fameux , fous Louis X IV , fans
Vauban.
Vauban dont le feul nom fait tomber les murailles,
eût été fa devife la plus naturelle.
Cohorn qu'on a nommé le Vauban hollandais,
defendoit lui-même, à Namur, l e s § fortifications'
. qu’il avoit conftruites $ fon redoutable fort Guillaume
nourriffbit en lui de grandes idées de gloire
& d’orgueilleufes efpérances ; mais la communication
du fort avec les autres ouvrages de la
place n’étoit pas allez lûre : elle fut coupée, & le
fort Guillaume obligé de fe rendre -quinze jours
plutôt que - Cohorn ne l’avoit cru même poflible.
Cohorn fortant de Namur & paffant devant fon
vainqueur, qui s’empreffoit de l’accueillir, détourna
fes regards, & parut humilié , quoiqu’il pût être
fier encore, n’ayant cédé qu’à Vauban,
Louis X IV à qui Vauban avoit fournis tant de
villes , voulut que fon fils & fon périt fils appriflenc
de Vauban, l’art de prendre des villes. M. le
Dauphin prit Philisbourg : vous avie£ du canon ,
une àrmee & Vauban, ecrivoit à ce lujet le feul
homme qui ne flatta jamais, & devant qui on ne flatta
jamais impunément à la cour de Louis XIV.
Dans la guerre.de 1701, Vauban eut à reprendre
des places qu’il avoit fortifiées dans le tems où
elles appartenoient à la France 3 Brifach étoit du
nombre , le duc de Bourgogne l’afliégeoit, en fai-
lant, fous Vauban , fon apprentiffage. Le Prince ,
lui fit une de ces plaifanteries qu’on ne fait qu’à
ceux dont la gloire y a répondu d’avance : « il
faut néceflairement lui dit-il, que vous perdiez
votre honneur devant cette place , ou nous la
prendrons, & l’on dira que vous l’aviez mal fortifiée
5 ou nous échouerons, & l’on dira que vous
m’avez mal fécondé ». —- « Monfcigneur , répondit
Vauban, on fait comment j’ai fortifié Brifach 3 on
ignore fi vous favez prendre les villes que j’ai
fortifiées, c’eft de quoi j’efpere que vous convaincrez
bientôt le public ». Il eft inutile de dire que
Brifach fe rendit, après avoir dit que 'Vaubanco.
dirigeroip le fiége.
C*eft toujours avec la moindre perte poflible asc
Vauban obtient tous les fuccès. Dans l ’attaque
même, ç’eft fur-tout çe caractère de conlc|Yatcu»
des, hommes, qui le, diftingue des aut’es guerriers, j
Souvent ' devant les places les mieux défendues , j
il eft parvenu à ne pas perdre plus, de mondé ij
que les afliégés , quelquefois à en perdre moins , j;
.& c’érôit alors feulement qu’il croyoit avoir vaincu. !
Ennemi de toute attaque brufquée , de tout com- j
bac bazarde, de toute expédition fanglante, n’ef-
timant que les fuccès- dus au travail & a la combi-
naifon, il voyoit avec horreur ces fàcrifices coupables
que tant de généraux font fans fcrupule a
'leur gloire pcrfonnelle. Au fiège de Cambray ,
011 propofe de brnfquer l’attaque d’un fort,- il s’y
oppofe 3 irons perdre^ peut-être tel homme , dit-il ,
qui vaut mieux que la place 5 l’avis brillant eft
préféré, on perd près de cinq cents hommes, le
fort eft pris, mais reperdu à l’inftant : Vauban
opère félon fes principes , il ne perd que trois
hommes, reprend le fort & le cqnferve. Le roi
prêtent à cette expédition, connut alors Vauban
tout entier : une autre fo is , dit-il, nous vous
laijfe/ons. faire.
Mais fidèle *au principe de varier fes principes
félon les tems , les lieux & les circonftances-,
Vauban juge-t-il un coup d’éclat néceffaire l II
s’emprefle de. le propofer. A Valenciennes J 1 veut
qu’on livre l’affaut, il veut qu’on le livre en plein
jour : pour mieux furprendre l ’ennemi, dit-il, &
parce que la nuit produit la. confufion , & favorife
la timidité y au lieu qu au grand jour l ’oeil du
■ maître injpire la valeur.
Pour lu i, toujours dans les tranchées , à la
fappe , a la mine , la’ ’ mo.t affrontée fous tant
de formes , & dans tant d’occafions , des rivières
paffées à la nage fous le feu des ennemis, les bleffu-
res glorieufes dont il étoit couvert, montrent affez
que ce n’eft pas pour lui qu’il redoute le péril.
On a regretté que ce grand confervateur n’ait
jamais eu à défendre les places qu’il avoit fortifiées.
On eft étonné en effet de ne pas voir fon
nom à là tête des du Fay , des Calvo , des Montai ,
des Chamilly , de ces noms fameux par la défenfe
des places : M e jfieu rs , difoit aux ingénieurs de
Maftriét, le brave Calvo , je n’entends rien a la
défenfe des places , tout ce que je fais , c ’eft que
je ne veux'pas me rendre. A la même réfolution ,
Vauban eût joint toutes les connoiffances , toutes
les refTources, toutes les ruCes de l’a rt, cette
défenfe eût fait époque dans l’hiftoire militaire ,
& ferviroit aujourd’hui de modèle aux guerriers. ■
Il y a eu un moment où on fe flatta de recevoir
de lui cette grande leçon. Tes ennemis , en 1689,
menaçoient à la fois Dunkerque , Bergues & Ypres ,
Vauban eut ordre de’ s’enfermer dans celle de
ces trois places qui feroit afliégée, •aucune ne le
fut, & M. de Fonteuelle nous en dit la raifon :
fon nom les en préfarva. Nous voyons par des lettres
de M. de. Louvois , combien on - .employoit de
ftratagêmes pour tromper l’ennemi fur la marche
de Vauban, pour leur Dire craindre .fa préfence
où il n’étoic pas , & efpérer fon. abfence ou.il
avoit réfolu de fe rendre-. Ses, inftruftions éroient
toujours en fubftance :
Que les romains preffés de l’un à l’autre bout,
Doutent où vous ferez, & vous trouvent par-tout.
Mais/s’il île s’eft point enfermé dans des murs,'
il a défendu fouyent. des provinces entières.' En
170^ il fauva encore la Flandre, dont l’échec de
Ramillies alloit cauftr- Ja, perte. .
M. de Fontendïe nous a donné cette lifte des
exploits de Vauban : « Il a fait travailler à 30®
places anciennes & en a fait 3 3 neaves 5 il a
conduit 53 fièges , dont 3 0 ont été faits fous les ordres
du roi en perfonne , ou de monfieur ou de monfei-
gneur le duc de Bourgogne, & les 23 autres fous
aifférens généraux 3 il s’eit trouvé à 140 actions de
vigueur. »
Tel étoit dans Vauban l’ingénieur & le guerrier.
Arrêtons-nousj un moment à confidérer ■ le
ciroyen.
Otez à Vauban fes talens, fes travaux , fes
fortifications, fes fièges , fes bleffures, fes victoires*
il lui reftera fes vertus 3 dépouillez-Ie de fa gloire »
il faudra encore lui donner le prix de la bonté. Jamais
on n’a fi conftammept mis en pratique la maxime
plus citée que fui vie : Je fuis homme , rien .d ’hur
main ne m eft étranger. Voilà .en un feul mot
l’hiftoire de toute fa vie & l’emploi de tous fes
momèns.
Ses foins s’étendent' à tous les objets , & portent
fur tous le mérite des . grandes vues joint
à la Icience des détails 5 ports , arfenaux , canaux
navigables, commerce intérieur & extérieur, finances
3 tous les moyens d’enrichir l’état;, tous
les moyens de rendre heureux les fujets, Vaubart.
fuffit à tout. Que de cho'fês utiles en tout genre ÿ.
achevées depuis ou feulement tentées , ou qui
relient entièrement à faire , ont leur fource dànb
fes écrits 1 Ce que la fageffe du gouvernement vient
d’exécuter en faveur des non-catholiques , Vauban.
l’avoit propefé 5 ce port qu’elle fait* eonftruire
dans la Manche, Vauban T avoit projetté. Scs
écrits font/impies & fans art : je ne fuis point lettré ,
dit-il lui-même , mais eft-ce une raifon pour ne
pas propofer ce qu’on croit utile ? Ils font /impies ,
mais1 iis'peignent une grande ame.
Eft-il quelqu’un q u i, en propofant le bien , ne
veuille avoir le mérite de l’âvoir propofé ? La
gloire n’eft-elle pas la récompenfe naturelle du bien
qu’on fait ou qu’on projette ? Eh bien 1 là gloire
n’eft pas un, motif affez pur pour la vertu de V a u -
b a n ,3 il crôiroit prdfaner l’amour du-bien public
par le moindre mélange de Tintérêt particulier ,
même le plus noble. Aucun de fes ouvrages j dont
N n n i