
Où toi-même dès tiens devenu le bourreau ,
Au fein de ton tuteur, enfonças le couteau.
Cinna * aft, J V. fçert• iij.
Tl cil vrai que ce prince après tant d’exécutions,
prit le parti de pardonner à Cinna, mais ce fut
par les confeils de Livie ; & peut-être craignit-il
dans Cinna le nom de fon ayeul maternel , le
grand Pompée , dort les psjrifans cachés dans Rome
éccfent nombreux & puiffàns.
Je cherche des vertus dans Augufte, & je ne
lui trouve que des crimes, des défauts, des vices,
des rules, & des baflelfes. Ne .croyons pas cependant
les accusations d’Antoine, qui lui reprocha
que Ion adoption avoit été la rccompenfe de fes
àmpudicités. Je n’ajoute pas plus de foi à Fé—
pitre ad Oâtàvium , qu’en attribue à Cicéron ,
où il ' eft dit que la fervitude de Rome eft le
prix d’une proftitution. Audie.t C. Marius impu-
dzeo domino parère nos , qui ne militem voluit
ni f i pudicüm : audiet Brut us eum populüm , quem
zpfe. primo , pojlquam pr'ogenies ejus à regibus
l: be ravit 3 pro turpe fiupro datum in fervitutem, &c.
Mais ce qui femble plus fort j efl le témoignage
de Suétone , qui rapporte que depuis Céfar , il
avoit fervi de ganimède à Hirrius , le même qui
fut conful avec Pan fa ; c’efl pourquoi le peuple
romain entendit avec tant de plaifîr ce vers réc'té
fur le théâtre :
Videfne ut Cynoedus orbem âigito temperet ? *£•- !
' On doit metrre au rang de fes artifices les pro-
pofitions d’accommodement qu’il fit faire à Clco-
patre pour la trahir & la mener à Rome en triomphe.
Dangereux pour toutes fortes de commerces,
& en même tems capable des plus bas artifices,
il faifoit l’amoureux des femmes des Sénateurs , .
dans le deflein d’airachcr d’elles le fecret de leurs
•maris.
Plein d’une vanité défordonnée , il fe fit décerner
les honneurs divins- Il vouloit palier pour
fils & pour favori d’Apollon", le faifant peindre
fous la figure de ce dieu ; & dans fes feftins, comme
dans fes fiâmes,-il en prenoit l ’habit & tout
l’équipage; c’e f t c e que les romains nommoient
les menfonges impies d’ Augufte > impia Augufii
mendacia* Quelqu’un dit là-d ciflus, que s’il é?oif
Apollon , c’étoit l’Apollon qu’on adoroit dans un
quartier de la ville , fous le nom de Tortor, le
bourreau.
Cet Apollon romain. étoffe fuperflitieux à l’excès.
Il ajoüroit foi aux fonges, & aux préfàges ■
les plus ridicules. Il craignoit fi fort le tonnerre
qu’il éleva un temple à Jupiter ronnant, près du •
capitole; & comme ce temple ne le raiïuroit pas
encore, il s’alloic cacher fous des voûtes à la moin
dre tempête ; & par furcroît de précaution , U portoit
fur lui une peau de veau marin, pour fe garantir
des effets de la foudre.
Il mourut à Noie en Campanie , l’an de Rome
767. Le jour de fa mort il fe démafqua lui-même en
demandant à fes amis , s’il avoit bien joué fon rôle
dans le monde : Eequid iis videretur, mimum, vit a
commode tranfegijje} On lui répondit fans doute par
des témoignages d’admiration & de douleur; mais il
auroit dû favoir que la poffie dramatique met fur la
feene des perfônnages de fon ordre , comme 011
mettroit un bourreau carthaginois dans un tableau
qui repréfenteioit la mort de Régulus. Partons au
caradère du fécond triumvir, j’entènds de Marc-
Antoine.
CaraBere d'Antoine. Il étoic fils de MarcrAn-
toine le c ré tique , & de Julie, de la maifon des Jules
; fa famille, quoique plébéienne , tenoit un rang
difiingué parmi les meilleures de Rome. Son ayeul
étoit le fameux Marc-Antoine l’orateur, qui fut la
vidime des vengeances.de Marius. La mère d’Antoine
époufa en fécondes noces Cornélius Lentulus,
homme de grande qualité, que Cicéron fit mourir
parce qu’il étoit un des chefs de la conjuration de
Catifini. Cette mort tragique alluma dans le coeur
de fa femme une haine mortelle contre Cicéron , & r
lui infpira des Lntimens de vengeance, auxquels
elle fit participer Antoine ; c’eft là fans doute une
des-premières caufes de l’inimitié cruelle qui dura
toujours entre ces deux hommes-, & qui fut fi fatale
à Cicéron.
Marc-Antoine avoit une figure agréable, la raille
belle , le front large, le nez aquilin, beaucoup de ■
barbe & de force de tempérament, exprimée fur
tous les traits de fa figure.
Plein de valeur & de courage, il fe fit connoître
de bonne heure par fon génie & par fes exploits militaires.
Etant encore jeune , il commanda un corps
de cavalerie dans l’armée de Gabinius contre les
juifs, & Jofephe nous apprend que dans celle contre
Alexandre, fils'^d’Ariftobule , il effaça tous ceux
qui combattoient avec lui. Ce fut dans ce pays là
qu’il forma fon flyle fur le goût afiatique , qui avoifc
beaucoup de conformité avec fa vie bruyante.
iFétaloit un fafle immenfe dans fes dépenfês,
line folle vanité dans fes diflours, du caprice dans
fon ambition démefurée , & de la brutalité dans fi s
débauches. Plus guerrier que politique , familier
avec Je foldat, habile à s’en faire aimer, prodigue
de fes riche fies pour fes plaifirs, ardent à s’emparer
de celles d’autrui, auiïi prompt à recompenfer qu’à
punir , aufïi gai quand on lc ia iilo it, que quand il
railloit les. autres,
• Fécond en refiources militaires, il réufïit dans
la plus grande détrefie où il fe foit trolivé, à gagner
les chefs de l ’armée de Lépidus ; il entra dans
fon camp, fe faifît de lu i , l’appella fon père, &
lui laifîà le rii-re de général.
Il favoit fouffrir plus que perfoi/he , la faim , la
foif, & les incommodités des faifons ; il devenoit
fupérieur à lui-même dans l’adverfité > & les malheurs
le rendirent femblable à l’homme de bien. - .
Lorfqu’il eut répudie7 fa fécondé femme, il s’attacha
à la comédienne Cythéris , affranchie de Vo-
lumnius, qu’il menoit publiquement dans une litiere
ouverte, fie la faifoit voyager avec lui dans un char
traîné par des lions. C ’étoit: ! a mode de fon fiècle ,
quoiqu’il ait plû à Cicéron d’enrichir de ce tableau
particulier, la plus belle de fes Phil'ippiques. Ve-
hebatur in ejfedo tribunus plebis, liftores Laureati
antecedebant, inter quos apertâ lefticâ , mima porta-
batur y quant ex oppidis municipales , homines ho-
nefii j obviam necejfarià prodeuntes 3 non noté Mo
mimiào nomine, fied Volumniam confalutabant : fe-
quebatur rheda cum lenonibus : comités nequijfimi ÿ
réjecta mater amicam impupi filii, tanquam nurum
J'equebatur. Phiiipp; 11.
. Mais Ia:flant'à part l ’attachement paffàger d’Antoine
pour Cythéris, pour peu qu’on examine fa
vie , on avouera que c’étoit un homme fans délicate
fie, fans principes &' fans moeurs, également livre
au luxe & à la débauche , abîmé de dettes &
rongé d’ambition ; il s’attacha politiquement à Céfar
qui le reçut très-bien ; le connoifîant pour un
excellent officier, iL lui confia les portes les plus
importons, ne cefia pas même de l’employer ,
quoiqu’il eût affez mauvaife opinion de fon ame, ’
& qu’iî fut que fes débordement en tout genre
étoient excefiifs. 1! eff vrai qu’il fe vît une fois
obligé de lui donner un grand fujec de mortification,
en permettant qu’on l ’aflignât, & qu’on faifît fes
biens pour le payement du palais de Pompée , dont
il s’étoit rendu adjudicataire fans vouloir en payer
un denier.
Antoine fut fi piqué du jugement de Céfar ,
qu'étant à Narbonne, il forma avec Trebonius lé
defTein de le tuer. On ignore ce qui les empêcha ;
d’exécuter ce projet, ni fi Céfar en eut connoif-
fance ; ce qu’ il y a de certain, c’efl qu’Antoine
rentra dans, fes bonnes grâces, qu’il fut fon collègue
dans fon cinquième confulat ; & qiralors il fer-
vit de tout fon pouvoir, dan<; la fête. dcsXupercalesj
le défi r fecret qu’a voit le diâateur d’être déclaré
roi ; cependant Vers le tems de la confpiraiion , on
re doutoit guère qu’il ne lut prêt à Je facrifier, dans
l ’efpérance de remplir fa place, au lieu que les
conjurés en tuant ce tyran , vôuloient abolir la ty- i
rannie. Ils crurent même qu’il falloit immoler An- !
toine avec Céfar; mais Krtitus s’y oppofa par prin- i
c:pe de juflice, car il n’avoit jamais eu pour lui la !
moindre edi inc , tomme- il p&roîc dans cet endroit :
d’une de fes lettres à Atticusî, où il lui d't : Quam-
vis yir fit bonus, ut Jcribis 3 Antonius 3 quod num-
quapi exiftimavi,
Sextus Pompée , fils du grand Pompée , avoit des
railons perfônueiles pour.ncnfer comme Br ut us, de
la probité d’Antoine. On raconte que dans une treve
qu’il fit, avec lui & avec Oélave, ils le donnèrent
tous trois confécutivement à manger : quand le tour
de Pompée vint , Antoine , toujours railleur, lui demanda
dans quel endroit il les recevroit; dans mes
carines, répondit Sextus , incarinis meis ; ce mot
équivoque fignifioit fon vailTeau, & les carines de
Rome , eù éto t bâtie la maifon de fon père , dont
Antoine avoit été dépofiedé après s’en être indignement
emparé.
, Tranlportons-nous avec lui en Orient, où il s’a-
vifa de difp.ofer en defpote fuivar.t la fougue de fes
caprices, des états &de la vie des rois, dépouillant
les uns , nommant d’autres en leur place ; & pour
donner des marques de fa^uifiance monfliueufe,
il mic aux fe:s' Artabafé-, roi d’Armén'e , qu’;“l
avoit vaincu par furprife , .le conduifit en triomphe
dans Alexandrie , & fit décapiter publiquement
Antigone, roi des juifs.
Dans la fureur Je fa paflidn pour Cléopâtre, il
lui donna la Phénicie, la baffe Syrie, l ’île de Cypre,
une partie de la Cilicie, l ’Arabie heureufe* en un
mot, provinces fur provinces , & royaumes fur
royaumes, fans s’embarraffer des volontés du fé-
nat & du peuple roma:n„
Les profufions extravagantes de fes fêtes, épûi-
foiènt les revenus de l ’empire , lé mettoient hors
d’état d’entretenir les armées, & Fobligeoient de
vexer par de nouveaux impôts , les peuples fournis
à fon gouvernement.
Cléopâtre fut fi bien enchaîner fa va^ur féroce ,
qu’elle t nt tous fes talens militaires giTujett s à l’amour
qu’elle lui infpira. Un feul de fes r -gards im-
pofleurs , un feul accent de fa voix.enchanterefie,
fuffifoit pour l ’abattre à fes pieds. Cependant elle
n’etoit plus dans fa première jeunefle; mais elle
avoit trouvé le f eret de. conferver fa beauté. Sa
n-agnificen.ee extraordinaire pîaifoft aux yeux d’A ntoine^
& foiï efprit fouple fe portoit à toutes fortes
de caradères avec tant de facilité'', qu’elle ne man-
quoit jamais de féduire quand elle l ’entreprenoit.
Elle avoit déjà autrefois fubjugué Céfar, & l’on dit
encore que le fils aîné du grand Pompée foupira
long-tems pour fes appas. .
‘ Elle 11e craignit qu’un moment la jeunefie, les
charmes & le mérite d’Odavie, ' dans fon voyage
d’Eg)pte ; & c’eft alors qu'elle crut n’avoir rien de
trop , pour faire de fon amant un mari infidèle. Elle
prodigua fes ri ch elfes, ou en préfens pour les amis
d’Antbinè, & pour ceux qui avoient quelque pouvoir
fur fon efprit, ou en efpions pour découvrir les
fentimens de fon' coeur, '& fes démarches les plus
cachées. Enfin , les délices d’Egypte l ’emportèrent
fur Rome, & les preftiges de fon art triomphèrent
de la vertu d’Odavie.
Après fon départ , l’amour d’Antoine pour Cléopâtre
prit de nouvelles forces, & il fe perfuada