
\<S6 V A K
heur rend défiant, & que la défiance égaré l'imagination
, ils allèrent jufqu'a fuppofer ( & un des
tribuns, parent de Vm o n , eut l'audace de dire
publiquement) que c'étoient les nobles qui, pour
le rendre importans & néceffaires, avaient provoqué
cette fécondé guerre punique, & appellé Annibal
en Italie;cjue c écoient eux qui., par le même motif,
entretenoienc & prolongeoient cette guerre par une
lenteur affeétée & fyflématiquè, colorée d’un vain
ptetexte de prudence; que le feul moyen de déconcerter
cette prudence perfide, étoit de nommer
pour un des confiais de l'année ra 6 , puifou’on
en avoir le droit, un véritable plébéien, un homme
véritablement nouveau , contraire & par intérêt,
& par principe à la tyrannie patricienne, en un mot
V^arron ; cefut ainfî que cet homme parvint au con-
lulat pour le malheur de Rome; tout ce que les patriciens
purent faire pour balancer ce ma'heur, ce fut
d allouer & doppofer à Varron , lé vaillant Paul
Emile. varron ne parloit que de bataille & n’at-
tendcit, difoit-il, pour terminer la guerie, que
le moment de voir l ’ennemi ; l’exemple de Minu-
cius éro:t entièrement perdu pour lui. Paul Emile au
contraire, joignant à la valeur d'un foldat, les
vues d’un général, admirait qu’on prétendît favoir
de h loin ce qu'il conviendrait de faire, & marquer
d’avance le jour 'où on livrerait bataille.' Il avouoit
que cetoit aux circonftauces des rems & des lieux
a déterminer les réfolutlons des hommes, non aux
hommes a prétendre régler par leurs réfolutions,
ces circonflances , non-feulementindépendaptes de
leur voronté, mais abfolument impérieufes. S e , qui
confiha magU res dent -hominibus , yuflm hommes
Tef>lLS_» ea ante tempus immatura non pr&cepturum.
Liv. Le peuple étoit peu en état d’apprécier & même
d entendre ces fages propos, il goûtait bien mieux
la brillante jaâauce de Varron. Le fénat lui-même
lans_ doute pour démentir ce reproche fait aux
patriciens de traîner la guerre en longueur , exhoria
Paul fcmiie a livrer au plutôt une batai'le déci-
five qui délivrât 1 Italie d'Arnibal & des carthaginois.
Ce ne fut point l ’avis de Fabius ; ce grand
homme voyant Paul Emile prêt à partir,voulut avoir
avec lui un entretien particulier fur les affiliées de
la république & fut le plan de la campagne qui alloit
s ouvrir : « Vous avez , lui dit-il, deux ennemis
a combattre , & de ces deux ennemis , Annibal
eft le moins redoutable, le plus i craindre c’eft
Varron-.R Ton plan s’exécute, ou je ne conr.ois
ni Varron, ni Annibal, ou il y aura bientôt
dans 1 Italie, un lieu plus fameux pat la défaite
des romanis que Je lac même de Trafÿmène. C’eit
en vous feul que Rome efpère
I n te omnïs dovnus in c lin â t a recumbit.
* Mais vous avez befoin de*courage, 8c je ne
parle point de ce courage guerrier t$onr je recevrons
de vous 1 exemple & qu’AnnîbâJ va éprouver je
parle de ce courage politique qu’il fâut appofa
V A K
eux-mêmes, aux vaux 'd'un peuple
infenfé aux voeux meme du fénat intimide ; ils
demandent tous la bataille. & en cela ils ne font
que trop d accord avec Annibal & j es carthagi-
Hoc ithacus velit Sr msgno mercentut Atrtda.
p o ^ t V e 6, T ’’e7 f a % P£
& oervihus, qui en fe tenant fur la défenfive ont
éludé tous les efforts d Annibal. Ofons perfévérer
encore quelque tems dans ce plan R fa oc „ r
combatte Annibal par la patience& / Ê & £ *
Linadion feule va chaffer cet étranger d’an pavs
eunemt qut ne lui fournira plus d | C a b ^ S l
M^S encore un coup ayons le courage d'aftendre
a gloire fans la rechercher, de braver E
l ' â F T v ’ de »• point envier à Varron les fûneflev
applaudiffemens que fa témérité lui attire. Ce nVft
pas le fuffiage des romains qu’il faut rechercher I c i 1
c e ll celui xi Anmbal, voyez comme il ménrife *
comme ,! encourage la vaine audace des Minucfos
& des Varron, voyez quel éloge fà crainrJII î
Ceux qui , ne mettant rien au^haruird^Ie lailTeiit
fe confumer dans fou camp » Nec e L ! J?
hoc iocet, (fiultomm ifte OE S f f i
rauo qui fu it , futuraque donJc ‘ ‘
tant, immutabilis effl__ Duoius J •; mane~
refiflas oponet. RefijL autem a dL f^famdm^u
morefque honunum f i f it is firmus. L e r i s T ■
collegi vana glona,ncquc falfa tuainfamia mn
Veritatem laborare nimïs f i p'e ai{nt . n \
Tr^tTcaZ fpr r ver™ ZT<-
ïmbeLUm Pro Z e n 7 W S B E .
hoflts metuat, qu'am fiaiti cives Uudent
Z S ” « p
cartes “S i'fr t **• fabienne, fe lailfoit accufer de ' f f l l nfp' ft' on
impatient collègue , qui touioh« , 'u par. fo"
quelque nouvelle infult’e de la partg Ë F
prenoit les dieux & lés homm s d.Anmbal ,
qu’on lui faifoif,
c e t t e maéè on ; il s indigrtofc qu’Annibal fîi* ’ ^ar
en Italie; il fembloit, dffoit i l % X v
acquérir a l’ennemi une forte de droit fi ,
contrée par une longue & paîfible poffeffion <!■ '“
paroffioit prend, e plaifir à refpeâer T ' i9 ■ "
nue les foldats partageam fou ardem & i/e dém'n ‘
dant qu a combattre, frémiiToient d f coleVe
Vûyant qu oh s obflihoir â'e.Khaîner'jeur valeur ^
V A R
armé
M ilitib u s f in e c'cede,
jD Irepta vidi.
dixit
H o r a t .
Les deux confuls avoient chacun leur jour pdur
■ commander; Varron profitant de l’avantage du jour
.où il avoit le commandement, fait avancer fes
troupes, & engage le combat; on aimoit alors la
patrie , & l’on ne connoiffoit point cet art perfide ,
fi bien connu depuis, de laifler dans le péril ,
J’imprudent qui s’y eft mis , St de triompher de fa
faute St de fa défaite. Paul Emile courut au fe-
cours de fou collègue, & chercha tous les moyens
de réparer une témérité dont il gémiifolt. C cil
ainfi que s’engagea cette fameule bataille de Cannes,
dont la ruine entière de Rome fembloit devoir
être l'effet naturel. Paul Emile ne put foutenir le
fpeélacle du nouveau triomphe de Carthage, il fe
fit tuer.
animes que magnas
Prodigum Paulum, fuperante poeno.
H d R A T.,
Et Pauli fiare ingentem miraberis umbram.
S l L . I î A L Î C .
L ’imprudence de Varron eft à jama’s carac-
térifée par ces trois vers de Rouffeau, qui font
proverbe :
L’inexpérience indocile
D,u compagnon de Paul Emile 5
Fit tout le fuccès d’Annibal.
Le croiroit-on ? l’auteur de Ce grand défaflre ,
à fon retour à Rome, fut-félicité & remercié
folemnellement par tous les ordres de l’état : ajoutons
qu’il le méritoit nn peu , & que ce beau
mouvement eft la gloite de Rome. Varron > apres
la bataille de Cannes, avoir raflemblé à Canoufe
les débris de l’armée roma ne , il avoit recueil'i
jufqu’ à dix mille hommes ; il avoit confervé une
ombre d’armée confulaire qui pouvoir encore arrêter
les carthaginois, -ou du moins retarder leur courfe ,
& dans le compte qu’il rendoît à Rome, du déplorable
état des affaires, il jugeoit allez noblement,
a (fez fièrement même , fon redoutable vainqueur,
qu’on craignoit à tout moment de voir arriver
aux portes de Rome > & qui s'amufoit à ramaffei
des dépouilles fur le champ de bataille, & à
marchander la ‘rançon des prifonniers , ce que
Varron , avec quelque rai fon peut-être , jugeoit
n’être digne ni d’un grand général, ni d’un vain
queur. }’&hum fcderc ad Cannas, in cdptivorum
pretiispr&dâque aliâ3 nec viÜoris animo, nee magn'i
ducis mort nundihantem. En un mot, Varron
V A R
n’avoit point défefpéré du falut de Rome, & c’eit
de ce fentiment de confiance.qu’il fut remercié par
les romains. Florus à ce fujet caraftérife en deux
mots fort expreflîfs , là conduite diverfe des deux
confüls, & femble donner la préférence à Varron :
Paul, dit-il, eut honte de furvivre à la perte de
Rome , Varron ofa ne pas défefpérer du falut des
romains.. Paulum puduit, Varro non defperavit»
Rome ne défefpéra point de Varron & lui prorogea
le commandement pour un an. On'jugea cependant
qu’il n’avoit pas montré plus de talent pour
les négociations dans fa conduire avec les campa-
niens, que de capacité à l’armée dans la bataille
de Cannes. Les campaniens éroient alliés des
romains ,'m a ’s c’étoient des alliés jaloux qui ,
dans le fond du coeur, n’é:oient pas fâchés de
l’humiliation & de l ’affbibliffement de Rome : cependant
des confidératiops particulières les ayant engagés
à envoyer des députés au confui pour lui témoigner
leur füuffe fenfibilité fur le malheur arrivé aux
romains , & pour lui faire des offres peu' fincéics
de fecours, Varron augmenta maladroitement leur
mauvaise difpofition, par la peinture qu’il leur,
fit de l’ état où Rome étoit réduite. Ce confui
qui dans fes lettres au fénat eut le mérite de ne
pas défefpérer de la république, eut dans fon.
difeours au campaniens, le grand tort de paroitre
en défefpérer. Son objet étoit d’engager les campaniens
à de plus grands efforts en faveur de Rome ,
mais le moyen étoit mai choifî & produifit pré-
eifément l’effet contraire. Il alla jufqu’à dire que
ce n’étoient pas Amplement des fecours, que Rome
attendoit en cette occafîon du zèle des campaniens;
que c’étoient eux*feuls déformais que regard oit la
guerre avec les carthaginois , Rome n’étant plus
en état de tenter le moindre effort pour elle-même.
N ih il, ne quod fupleremus quidem , nobis reliquit
fortuna, Legiones, equitatus3 arma>Jigna, cqui viriqucy
pecunia, çommeatus aut in -acie , aut binis poflero
die amijfis cafiris , perierunt. Itaque non juveris
nos in bello oportet, fed pene belLum pro nobis
fufeipiatis. Déterminés par cet aveu, qu’ils ne
foupçonnèrent pas même d’exagération, les campaniens
conclurent qu’en faifant alliance avec Annibal,
à des conditions dont ils feroient les maîtres, le tems
étoit venu pour eux , ' non feulement de recouvrer
des terres qu’ils prétendoient leur avoir été injuf-
tement enlevées par les romains , mais encore
d’acquérir l’empire de l’Italie, dont ils efpéroient
qu’Annibal les laifleroit en polfeffion, loi fque
vainqueur par leur fecours, il retoumeroit ea
Afrique avec fon armée, & ils firent alliance
avec Annibal. Telle fut Piiïue de l’aveu maladroit
ou dans fa fidélité , ou dans fon exagération 3
que Varron crut devoir faire aux campaniens.
Voilà tout ce que l’hiffoire nous apprend de
remarquable fur le confui Varron.
i ° . Marcus Terentius Varroi C ’eft ce doéte
■ Patron,réputé en effet le plus (avant des romains5