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du fénat; ainfi le préteur propofa dans l’aflcmblée
le requiûtoire des pontifes, & rendit compte de la
lettre du prince. Vopifcus nous donne un précis de
' la délibération, qu’il commence en cës termes :prce-
tor urbanns dixit, referimus ad vos, patres confcripd ,
pontificum Juggejlionem , 6» principis litteras qui b us
jubeturut infpicïantUr fatales libri, &c. Le decret du
fénat rapporté enfuite , ordonne aux pontifes fibyl-
lins de le purifier , de fe revêtir des habits facrés,
de monter au temple , d’en renouveller les branches
de laurier, d’ouvrir les livres-avec des mains far, élidées
, d’y chercher la deftinée de l’empire , & d’exécuter
ce que ces livres ordonneront. Voici les termes
dans lefquels Vopifcus rapporte l’exécution du decret ;
hum ejl ad templum , infpecti libri, proditi verfus,
lujlrata urbs ; cantata car mina , amburbium cele-
bratum , ambarvalia promijfa , atque~.it à folemnîtas
qice jubebatur expleta ejl.
La lettre de l’empereur aux pontifes, qu’il appelle ;
patres fancti, finit par des- offres de contribuer aux
frais des fàcrifices , & de fournir les viélimés que
les dieux demanderont, même, s’il le faut, des captifs
de toutes les nations, cujujlibet gentis capiivos,
quoelibet anlmalia regia. Cette offre montre que ,
malgré les édits des empereurs , on croyoit, comme
je l’ai dit, les fàcrifices humains permis dans les
©ccafions extraordinaires , & qu’Aurelien ne penfoit
pas que les dieux fe contenteroient de cantiques &
de procédions.
Sa lettre aux pontifes commence d'une façon fin-
gulière , il marque qu’il eft furpris qu on balance fi
long-temps à confulter les livres fibyllins. Il femble ,
ajoute-t-il, que vous ayez cru délibérer dans une
^glife de chrétiens, & non dans le temple de tous
les dieux ; perindé quafi in chri(lianorum ecclefiâ, non
in templo deorum omnium tractaretis. Ce qui augmente
la fingularité de l’expreffion de l’empereur , c’eft
qu’il eft prouvé par les ouvrages de S. Juffin, de
Théophile d’Antioche, de Clément d’Alexandrie ,
& d’Origène , que depuis près de fix vingt ans, les
chrétiens citoient , au temps d’Aurélien, les ouvrages
de la fibylle , & que quelques-uns d’entr’eux la trai-
toient de prophéteffe.
Les livres fibyllins ne furent point ôtés du temple
d’Apollon Palatin par les premiers empereurs chrétiens.
Ils y étoient encore au temps de Julien qui les
fit confulter en 363 fur fon expédition contre les Per-
fes ; mais au mois de Mars de cette année, le feu
ayant confumé le temple d’Apollon, on eut beaucoup
de peine à fauver ces livres qu’on plaça fans
doute dans quelqu’autre lieu religieux : car Claudien
nous apprend qu’on les confulta quarante ans après
fous -Ho n orius, lors de la première invafion de l’Italie
, par Alaric en 403. Ce poëte parle encore de ces
vers dans fon poëme fer le fécond confelat de Stilicon
en 405.
r: Il faut conclure de-Ià, que f i , comme le dit Ru-
rilius Numatianus , Stilicon fit jetter ces livres au
feu, ce fut au plutôt dans les années 4 0 6 , ou 407.
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Au reffe, comme ce poëte , zélateur ardent det’ani
cienne religion, accule en même-temps Stilicon d’avoir
■ appel-lé les barbares, & d’avoir détruit les vers fibyl.
/wr, dans la vue de eau fer la ruine de l’empire-, en
lui enlevant le gage de fe durée éternelle ; peut-être
la feconde de ces deux accufations n’eft - elle pas
mieux fondée que la première.
Après voir donné cette efpèce d’hiffoire des livres
fibyllins , qui renferme tout ce qu’on en fait d’affuré,
je dois ajouter quelques remarques fur ce qu’ils con-
tenoient. Ce que Txte-Live & Denis d’Halicarnaffe
nous racontent touchant les diverfes confultations
qu on en faifeit, donne lieu de penfer, qu’on ne pu-
blioit point le*texte même des prédictions , mais
feulement la fubftance de ce qu’on prétendoit y avoir
trouvé; c’eft-à-dire, le détail des nouvelles pratique*
religieufes ordonnées par la fibylle pour appaifer les :
dieux. Comme il ne nous refte aucun des hiftoriens j
antérieurs à la perte du premier recueil des v ers fi-
byllins, il faut nous contenter de ce qu’en difent 1
Denis & Tite-Live ; & nous devons même regarder
comme feppofé le long fragment des vers fibyllins,
rapporté par Zozime , à l’occafion des jeux féeu-
laires.
Ces vers qui dévoient être tirés de l’ancien recseil ,
ne font point dans la forme acroftiche ; ils contiennent
le nom de Rome, du Tibre, de l’Italie, &c. \
& preferivent les cérémonies qui dévoient accompagner
les-jeux féculaires dans un détail qui démontre
la foppofition.
Le fécond recueil compilé fous Sylla , nous eft
un peu mieux connu , & je vais rapporter ce que les
anciens nous en apprennent. i° . Varron cité par
LafSance, affure . que ce recueil contenoit d’abord
mille vers au plus ; & comme Augufte ordonna une
feconde revifion , qui en fit encore rejetter quelques-
uns , ce nombre fut probablement diminué.
20. Ce que difoit Varron cité par Denis d’HalI-
carnaffe, qu’on avoit regardé comme feppofés tous
les vers qui interrompoient la fuite des acroftiehes, j
montre que cette forme regnoit d’un bout à l'autre
de l’ouvrage.
30. Cicéron nous explique en quoi confiftoit cette
forme. Le recueil étoit partagé en diverfes ferions ,
ÔC dans chacune, les lettres qui formoient le premier
vers, fe treuvoient répétés dans le même ordre
au commencement des. vers foivans ; en forte que
l’affemblage de ces lettres initiales devenoit au fit la
répétition du premier vers de la fe&ion ; acrofiichus
dicitur , chm deinceps ex primis verfûs litteris aliquid
connectitur. . . . . . In fibyllinis ex primo verfu cujufque
fententice primis litteris illius fententioe carmen ornne
prattextitur.
4°. Les prédirions contenues dans ce recueil étoient
toutes conçues en termes vagues & généraux, fan?
aucune désignation de temps ou de heu ; enforte,
dit Cicéron, qu’au moyen de l’obfcurité dans laquelle
l’auteur s’eft habilement enveloppé, on peut appli-
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|quër la même prédiftion à des événement différens :
callidé, qui ilia compofuit, perfecit u t , quodeumque
Iaccidifiet, prcedictum videretur, hominum & tempo rum
\definitione fublalâ. Adhibuit etiam latebram obfcuri-% '
ut iidem verfus alias in aliam rem pojfe accom*
I tnodari viderentur. J Dans le dialogue où Plutarque recherche j pour-
Jquoi la. Pythie ne répondoit plus en vers, Boethius ,
lun des interlocuteurs qui attaque vivement le fur-
fiaturel des oracles, obferve dans les prédiéhons de
ÎMufée, de Bacis & de la Sibylle , les mêmes défauts
Jque Cicéron avoit reprochés aux vers fibyllins. Ces
lauteurs de prédirions, dit Boéthius, ayant mêle au
Blafard des mots & des phrafes qui conviennent à des
févénemens de toute efpèce , les ont, pour ainfi dire ,
fiverfés dans la mer d’un temps indéterminé, : ainfi,
lors même que l’événement femble vérifier leurs pro.
ïphéties, elles ne ceffent pas d’être fauffes , parce
mue c’efl au hafard feul qu’elles doivent leur accom-
mlifferaent.
■ Plutarque nous a confervé dans la vie de Démof-
■ hène „un de ces oracles qui couroient dans la Grèce
Mous le nom de la Sibylle ; c’eft à l’occafion de la
Refaite des Athéniens, près de Chéronée; on étoit,
|dit Plutarque, dans une grande inquiétude avant la
bataille, à caufe d’un oracle dont tout le monde s’en-
ilretenoit : « Puiffai - je, difoit - i l , m’éloigner de la
» bataille du Thermodon , & devenir un aigle pour
b contempler du haut des nues ce combat , où le
r vaincu pleurera , & où le vainqueur trouvera fa
» perte. *> Il étoit bien d fficile d’appliquer cet oracle
Jà la défaite de Chéronée; 1J. il falloir trouver un Ther-
inodon auprès du champ de bataille ; & Plutarque
iqui étoit de Chéronée même , avoue qu’il n’a pu
Recouvrir dans les environs de cette ville , ni ruif-
Beaux, ni torrents de, ce nom. Le vainqueur ne .
prouva point fa perte à cette bataille , &. même il
In’y fut fut pas bLffé.
I Lorfqu’on examinera les prédiélions des oracles
fies plus accrédtes, celles de la Pythie, de Mufée ,
fde Bacis, de la Sibylle, &.c. rapportées dans les anciens,
on trouvera toujours que Cicéron, livre II.
fi. 56 de divinat. a raifon de dire , que celles qui
m’ont pas été faites après-coup, étoient obfcures &
équivoques , & que fi quelques-unes n’avoient pas été
Idémemies par l’événement, c’étoit au hafard qu’elles-
pe dévoient.
K Quelques abferdes que fuffent les conféquenees
roue les partifans du furnaturel de la divination fe trou-
■ Voient obligés de foutenir dans les. controverles. phi--
Bofophiques , ils étoient èxcufables jnfqu’à un certain
[point. Le principe qu’ils défendoient , feifoit chez-,
[eux une- partie e(T;mielle de la religion commune ;
[ce principe une fois admis , i’âb(urdité: des confé-
Iquences ne devoit point arrêter des hommes reli- .
[g;eux. Mais que dire de ces rufés politiques, qui, pour
[couvrir les deffeins de leur ambition , forgeoient à
Beur gré- des oracles fibyllins ? C ’eft ainfi que P.
ILeatulus Sura,. un des chefs de la conjuration c.atiii-
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fiaîrô , n’ eut point de honte de femer comme vraie ,
une prétendue prédi&ion des fibylles, annonçant que
trois Cornéliens jouiroient à Rome de la fouveraine
puiffance.
Sylla & Cinna, tous deux de la famille Cornélienne,
avoient déjà vérifié une partie de la pré-
didion. Lentulus , qui étoit de la même famille, répandit
dans le public que l’oracle devoit avoir fort
accompliffement dans fa perfonne ; & peut-être eût-
il réuffi fans l’heureufe prévoyance de Cicéron , qui
fit mentir l’oracle.
Pompée voulant rétablir Ptolomée Auletès dans
fon royaume d’Egypte, la fa&ion qui étoit contraire
à ce puiflant citoyen , prit le parti d’inventer une
prédi&ion fibyiline qui portoit, qu’au cas qu’un roi
d’Egypte eût recours aux Romains, ils dévoient l’afe
fifter de leur prote&ion , fans lui fournir de troupçs.
Cicéron qui foutenoit le parti de Pompée , favoit
bien que l’oracle étoit fuppofé; mais perfuadé qu’il
étoit plus fage de l’éiuder que de le réfuter , i f
fit ordonner au proconful d’Afrique , d’entrer en
Egypte avec fon armée , de conquérir ce pays,
&. d’en gratifier Ptolomée au nom des Romains.
Jules-Céfàr s’étant emparé de l’autorité fouveraine'
fous le nom de diElateur % fes partifans qui cherchoient
à lui faire déférer la qualité de roi, répandirent dans
le public un, nouvel oracle fibyllm , félon lequel les-
Parthcs ne pouvoient être affujettis- que par un roi
des Romains. Le peuple étoit déjà déterminé à b i en
accorder le titre, &. le fénat fe trouvois. contraint
d’en figner le décret.^ le jour même que Ccfar fut
aftaftiné.
Enfin cet abus de faire courir dans Rome St dàns;-
toute l’Italie des prédirions fibyllincs, alla fi loin ^
que Tibare tremblant qu’on n’en répandît contre lui „
défendit à. qui que ce fût d’avoir aucun papier de
prédirions Jibyllïnes, ordonnant à tous ceux qui en
auroient. de iés porter dans le jour même au. préteur V-
fimul commonefech Tïberius % quia multa vana fuir
nomihe c Je b ri vulgabantur , janxijfe Augujlum f~qucm
intra diern ad prcetàrem urbanum deferrentur y neque-
luibere privaiim liceret~
Ce qui caufe mon étonnement, n’eft pas dè -veir*
que les Romains cruffent aux oracles des f ibylles
e’étoit un principe ëh leur religion, .quelque ridicule
qu’il fût en lui-même; mais jp fuis toujours furpris;
que dans dès- temps éclairés r tel' qu’étoit la. fin du;
dernier fiècle , la qu.-ftion du furnaturel des oracle c.
eût encore befoin d’être traitée férieufement- r ÔL
qu'une opinion fi folle & contredite par les faits^
mêmes fer- lefquels-on la.fondoit dans- le paganifine
ait trouvé de nos jours , pour ainfi dire , &. dans le ;
fëin. du chriftianifme , des défenfeurs- très-zélés. ( Ls
chevalier z? s Jazz COURT. ),
^ SICARD , , ( Claude..) ( Hifi. lut: mocL ) Jéfeite
célébré par fes miffions en Syrie & an Egypte „né;
à Aubagnè près de Mavfeille,. en 16 7 7 , mort au
Caire en 1726 : oa a de lui une d ffertation. fur le