
Henri écrivit à Louis de chaffer dé fès états cet
ennemi des rois , & il erivoÿa une âmbaflâ'de au
pape pour foiiiciter la déposition du Primat.
Louis alla lui-même trouver l’archevêque de Can-
torberi à Soiffons, pouf le remercier de s’être ret ré
dans les états , & pour l’aflurer que l’honneur • de
protéger un fi faint prélat , lui paroiffoit une des
plus belles prérogatives de la couronne.
Lès ambaffadeurs de Henri, qui, comme on le juge
bien, îi’obtinrent rien du pape, rencontrèrent dans
leur route l’archevêque de Cantorberi , efeorte de
trois cent cavaliers, avec lefeueJs il entra comme
en triomphe dans la ville de Sens. Les cardinaux
mêmes étoient allés a cheval au devant de lui. Le
pape à fon arrivée fe leva & courut l’embraffer. Il
cafl'a tout ce qui avoit été. fait en Angleterre contre
ce prélat , & le nomma fon légat en Angleterre ,
-l'abbaye de Poi tigny fe chaigea de le défrayer
Henri II traita en ennemis , & le Primat & lé
Pape, Louis VII. Il écriv.t à Cîteaux,il écrivit
aux moines de Pontigny , que s’ils confinuoient à
garder Becket dans leur abbaye, tous les biens que
leur ordre poffédeit dans fes état,s, alloient être foifis.
Cet emportement paroit dégrader Henri; il de,voit
lui fufEre que IrAngleterre fut, délivrée d’un ,1'ujqt
qu’il jugeoit trop turbulent..
Après beaucoup de débats & même quelques
hoftili.és, Louis VII, fe réconciliant avec Henri I I ,
fe piqua de tfaire en même-temps la paix particulière
du primat avec ce prince , il menàgea une Conférence
entre ebx & voulut y aflîfter comme arbitre ; on
étoit convenu avant l’entrevue , qu’il n’y feroit point
parlé-dis corflitutioris de Clarendon. L’archevêque
crut, bien s’hnm.iier devânt fon roi &L déférer beaucoup
à fon bienfaiteur , en lui jurant une foumiffion
parfaite , faUf Fhonneur de Dieu & les libertés de
l'églifc. Henri, qui favoit par expérience la vertu
dé cès rëftriéliqhs, voulut un ferment jobéiffance pleine
& entière, mais par égard pour le’ roi de France,
"il offrit de rétablir Becket clans fon archevêché, avec
tous! les privilèges & toute l’autorité dont avoient
‘ ioui fes‘ prédéçèffeùrs ^pourvu que Becket promît
dé lui rendre, les ‘mêmes r é lp e â s l a 3 même obéif-
fance que lés plus p'uiffans dé cés prélats euffent jamais
rendus au plils foible monarque de l'Angleterre.
Louis VII applaudit à cette modération, mais Becket
'trouva ce ferment trop vague. Henri'prit le parti
•de diff.muler pour ramener Becket en Angleterre ,
elpérant qu’éloigné de fesproteéleurs i l feroit plus
-docile ; Henri parut donc accorder-tout ce qu’on
voulut; mais Becket fe défiant1 de tant de facilité,
demanda, caution ;: chacun s’écria qu’il étoit indéçent
de demander caution à fon roi ; alors s’éleva un
incident ' finguliçr & qui tenoit yfâ^mblablement à
des uf?ges du temps dont nous n’àyôns plus qu’unç
'idéeimparfaite; Becket-, pour toute "caution, demanda
.que le.“-roi lui donnât le baifer de paix, & le rqî
Te rèfüfa , parce que dans fa Colère 41 avoit juré de
pç le jamais donner , ce qui prouve ençôrè qû’on
attachoit alors à ce ba:fer une importance particulière.’
On n’imaginefoit pas de combien de négociarions
ce baifer fut l’objet, & aujourd’hui même il r.’eft
pas encore confiant, fi Becket fe défifta de la demande
du baifer, ou fi Henri confontit enfin de le
donner, ou s’il fut donné en fa place par le jeune
Henri, fon fils, qui fut couronné vers ce temps à
Weftminfter, fuivant l’ufage commun alors en France,
& connu auffi en Angleterre, de couronner, du vivant
du roi i heritier du trône , pour afliirer à celui-
ci la fucceflïon a ce même trône. Ce couronnement
fut encore un incident dans la querelle de Henri II
& de Thomas Becket ; celui-ci le regarda comme un
nouvel affront pour lui, parce que la cérémonie avoit
ete faite par l’archevêque d’Torck , malgré les dé-
fenfes & les fulminations de l’archevêque dé Cantorberi,
qui demanda & qui obtint à cet égard, une
fàtisfacl on pour fon églifè.
Enfin, api es beaucoup de difficultés &de marques
de défiance , Becket retourna en Angleterre. ' Son
arrivée fui une fête & fa marche un triomphe. Le
clt-rge de toutes les villes par où il paffoit, alloit au-
devant de lui en proceffion, chantant des hymnes
que le peuple repétoit. On dit qu’enivré de cet accueil
, Becket ne mit plus de bornes à fon orgueil ,
& qu il abufa plus que jamais de l’autorité de primat
fortifiée de celle de légat, dont le Pape lui avoit laiffé
le titre. On parle beaucoup d’ir.folence & de fédi-
tion ; mais on fpécifie peu d’aétions infolentes ôd
feditieufes. La plus hardie paroît être celle qui concerné
fix evêches qui avaient yaqué pendant l’abfence
de Becket ; le roi avoit offert de s’en rapporter fur
çét article, aux pairs, au clergé , à l’univèrfité dé
France; il ne s’en étoit rapporté qu’à lui-même; il
avoit charge 1 archevêque d’Yorck & les évêques
de Londres & de Sarum, de choifir avec les députes
des chapitres, les perfonnes qu’il leur avoit
nommées pour chacun des ffeges vacans; le primat
indigne avoit notifie une fufpenfe à l’archevêque
fi*YGrck , & une excommunication aux : évêques dè
Londres & de Sarum. Ceux-ci partirent aufli-tôt pour
la Normandie, où le roi d’Angleterre étoit toujours
refié;- ils lui portèrent leurs plaintes de la hardieffè
du primat, dont ils peignirent la conduite , des couleurs
les plus ©dieufes. Henri avoit épuifé dans les
details de cette affaire toute la modération dont il
étoit capable. Ge récit le rendit à fon impétuoffiç
naturelle, :& fa fureur n’eut plus de bornes. Il fe
promenoit. dans fa .chambre avec une agitation
. teffible âc un filence farouche , ■ entrecoupé feulement
de tnoÆ pleins de violence , que l’emportement lui
arrachoit & que fon coeur défavouojr. Tantôt Ù
vôuloit faire juger Becket, félon la rigueur des loix,
comme rebelle & féditieux ; tantôt il paroiffoit roulér
dans-fon efprit «les idées encore plus funeftes , Qc
au mtliéu'de fes trànfports, ee mot affreux lui échappa:
ri ai-je donc pas un ami ? Il eut des courtifans.
Quatre chevaliers, officiers defâ matfon, Guillaume
dé Tracy , Renaud' Filzurzè ou Falfoürs , Hugues
de Mdf ville, Rîchârd Brito , jùrént entf e * eux de
ïe venger, fïr-ce malgré lu», -ils quittent da cour, &
de peur* que le rpi ne fe fét-raéle &. né les rappelle,
ils s’embarquent chacun dans un port de France
différent, &. arrivent dé même dans différens ports,
d’Angleterre. Ils fe rejoignent près de Cantorberi,
où douze autres affaflins grofliffent leur troupe. Ils
Courent tous enfemble au pala s de i’archevêque ; les
douze s’emparent des portes ; les quatre montent- à
l'appartement. Parmi ces derniers, l’archevêque en
reconnut trois qui avoient été fes domeftiques dans
4e temps qu’il étoit chancelier : il leur reprocha leur
ingratitude à fon égard; ils lui reprochèrent la Tienne
à l’égard du. roi. Leur intention yraifemblablement
n’avoit été que de donner un avertiffement à l’archevêque
, & de tenter fur lui un dernier effort pour .
le plier aux volontés du monarque , car ils étoient
venus fans armes. Aigris par la difpute, ils coururent
en chercher,- &. pendant ce temps l’archevêque au-
foit pu fe fauv’èr par fon églife , dont les portes
n’étoient point gardées. Les moines de Cantorberi
l’en preffoient,. mais il étoit dans le caraélèfe & dans
la défi née d’un tel homme de rechercher la gloire
du martyre. Il rejetta tout confeil timide & voulût
•aflîfter à vêpres à la tête de fes moines. Les affaflins
entrant dans l’égÜfe à fa fuite, fondirent fur lui à
coups d’épées & de maffues ; il reçut à la -ête quatre
bleflùres mortelles , & alla tomber au pied de l’aurél
de Saint-Benoît j qui-fut tout couvert de fon fang
& de fa cerve’le. Il étoit né en 1 1 1 7 , avoit été
•nommé primat en 1162; il périt le 29 décembre
1170.
De ce moment tous fes torts furent oubliés. On
ne vit plus le fiijet turbulent, on ne vit que le faint
'& le rnartir ; le peuple entroit en foule pour le voir
& pour l’invoquer ; les dévots trempoient leurs doigts
dans fon fang, & s’en faifoient des croix fur le front
& fur le coeur. Les affaflins à la faveur du tumulte,
fe fauvèrentau comté d’Yorck , dans un chateau appartenant
à l’un d’en tri eux ; ils y demeurèrent un
an entier, féparés de toute fociété , abhorrés du
peuple , rejettés de tous les honnêtes gens avec effroi
& avec mépris , défavoués du roi qu’ils avoient cru
fervir ; ils allèrent enfin à Rome demander pardon
au pape, qui les envoya dans la terre fainte.
Henri II n’avoit p s tardé à fe reprocher foh em-
porteinent; il . avoit fenti avec terreur quelle force
certains mots pouvoient avoir dans la bouche des
rois ; il avoit frémi fur-tout en ne voyant plus paroître
à fa cour les quatre chevaliers , & leur départ l^voit
déterminé à commander qu’on arrêtât l’archèvêcjue
bien moins pour attenter à fa liberté que pou r lui
fauver la vie. La diligence des affaflins prévint l’exécution
de cet ordre. JLorfciue Henri apprit le funefte
fervice qu’on lui avoit rendu, il fut fàifi de défefpoir.
Il s’enferma pendant trori jours fans vouloir prendre
ni confolation ni nourriture : il vit toute l’horreur
de fa {filiation » la fureur du pape, l’indignation du
clergé, les,intrigues des moines , le foulèvement des
peuples. On n’aUoit plus yoir en lui que le persécuteur
& lè’ bciirréaü des faints; on n’entendoit parler où«
de miracles opérés au tombeau de i’archevêque. De
fauffes apparence s’éièvoient même contre le roi.
Sa réconciliation avec i’archevêque fembloir n’avoir
été qu’un ftratagéme pour attirer ce prélat dans le
piège & le conduire à !a mort. Henri eut la poî tique
de défarmer le pape , en lui demandant la permiffion
de conquérir l’Irlande , & en lui promettant d’y
établir le- denier-de Sairit-Pie^re,i Alexandre III , le
contenta donc de canonifer Becket, & d’excommuniéo
en-généml fes,affaflins , leurs fauteurs & inftigateurs,
faas nommer le rc>i. m
A fon retour d’Irlande, deux légats le citèrent à
leur tribunal fur, cette affaire de l’aflaflinat de Becker.
Il fallut que Henri achetât par bien des humiliations
& des faciifices le pardon du crime qu’il n’a voit ni
commis ni ordonné. On lui fit grâce de la difcipline
& de quelques autres cérémonus humihantes; mais
Henri II ne voulut pas profi'er de cette indulgence ,
il alla fubir â Cantorberi tyr.te la tigueur de la pénitence
publique. 11 traverfa la ville pieds nuds,depu'S
l’églifo de Saint-Dunftan jufqu’à celle du Chrift, fe
fournit à recevoir la d feipline de la main des moines ,
les aima chacun d\.n fouet, & fe découvrit les
épaules lui-même.
Pierre de Blois s’eft plu à décrire dans fes lettres
la pénitence de ce monarque. Il difoit aux légats :
mon corps efi entre vos mains , faites-en tout ce qriil
.vous plaira, paroles qui , félon Pierre de Blois
tiroient des larmes. des yeux , de tous les afliftans ;
elles pourroient aujourd’hui en faire verfer de pitié :
» Un roi, dit le P. d’O r éans, doit tellement humilier
» fa majefté devant Dieu, qu’il ne l’aviliffe pas de-
» vant les hommes.
40. De S. Thomae d’Aquin , Jacobin , d t le doç-
leur Angélique, Fange de l'école , Faille des théologiens9
difciple d’Albert le Grand & jd’Alexandre de Haies.
Il étoit d’abord froid & taciturne, fes compagnons
l’appelloient le beeufmuet, Albert le Grand prophétffa
que les docks mugijjemens de ce betuf retentiroient un
jour dans tout F univers.
On connoît la fomme théologique de S. Thomas
d’ Aquin , & l’office < uM compofa pour la fête du
Saint-Sacrement, inftituée de Ion temps par Urbain
IV , fur-tout cette proie, Lauda , S ton , où le myf-
tère de l’Euchariftie eft expofé en vers rythmiques,
linon avec é-égance, du moins avec une précifion
toujours difficile. Le nouvel abiégé chronologique nous
a confervé l’ingénieufo réponfe qu’il fit au Pape Innocent
IV , dans la chambre duquel il entra un jour
au momentroù l’on y comproit de l’argent; le Pape
lui dit,: vous voyez que,1’églife ne peut plus dire:
je ri ai ni or ni argent ; il eft vrri ^ répondit S Thomas ,
mais aufli elle ne peut plus dire au boiteux : Zmt-roi
& marche.
Sèn application continuelle à la théologie lui don-
noit quelquefois des diftraâions un peu fortes. On
copte que' mangeam un jour avec Si Louis , il frappa