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cependant daîis l'incendie du capitole l'an 671 de
Rome, fous la di&ature de Sylla ; mais on fe hâta
de réparer cette perte. On en recueillit d’autres dans
la ville d’Erythrée & ailleurs ; on les rédigea par
•extraits. Augufte les renferma dans des coffres dorés
, 6c les mit fous la bafe du temple d’Apollon Palatin
qu’il venoit de bâtir. Ils y demeurèrent jufou’au
temps d’Honorius en 405 de J. C. & cet empereur ,
dit-on, donna des ordres à Stillccn de les jetter dans
le feu. Traçons en détail toute certe hiftoire d’après
les écrits de M. Freret, & faifons-la précéder de fes
réflexions intéreffantes for cette maladie incurable de
Tefprit humain , qui, toujours avide de connoître
l’avenir, change fans cefle d’objets, ou déguife fous
une forme nouvelle les anciens objets qu’on veut lui
arracher. Croyons que l’hiftoire des erreurs qui fem-
blent les plus décriées , peut encore ne pas être aujourd’hui
des recherches de pure curiofité.
Dans tous les fiècles 6c dans tous les pays, les
hommes ont été également avides de connoître l’avenir
; 6c cette curiofité doit être regardée comme le
principe de prefoue toutes lés pratiques foperftitîêu-
lès qui ont défiguré la religion primitive chez les
peuples policés, auffi-bien que chez les nations fauvages.
Les différentes efpèces de divination .que le ha-
fard avoit fait imaginer , & - qu'adopta la fuperfti-
îion , confiftoient d’abord dans une interprétation con-
jeéhirale de certains événements , qui par eux-
mêmes ne méritolent le plus'Touvent aucune attention
; mais qu’on étoit convenu de prendre pour autant
«de lignes de la volonté des dieux. O.i commença probablement
par l'obfervation des phénomènes céleftes, dont
les hommes furent toujours très-vivement frappés; mais
la rareté de ces phénomènes fit cherches d'autres lignes
qui fo préfëntoient plus fréquemment, ou même que
Ton pût faire paroître au befbin. Ces lignes furent le
chant 6c le vol de certains oifeaux ; l’éclat & le
mouvement de la flamme qui confumoit les choies
offertes aux dieux ; l'état où fetrouvoientfes entrailles
<Jes viéHmes ; fes paroles prononcées fans des-
fein , que le halard faifoit entendre , enfin fes objets
qui fe préfentoient dans lefommeil à ceux qui par
-certains facriêces ou par d’autres, cérémonies > s’é-
toient préparés à recevoir ces fongcs prophétiques.
Les Grecs furent pendant pluueurs fiècles làns
connoître d’autres moyens que ceux-là de s’infiruke
de la volonté des dieux ; & chez les Romains, fi on
en excepte, quelques cas finguliers, cette divination
eonjeéhitafè tilt toujours la feule que le gouverneraient
autorifa ; on en. avoit même fait un art qui
avoit fes règles & les. principes.
Dans fes. éccafiens importantes, c’étoit par ces réglés
que fe conduifoient les hommes les ' plus fenfés
' oc les plus courageux ; la raifon fubjuguée dès l’en-
Tance par fe préjugé religieux , ne fe Croyoit point
en droit d’examiner un fyftême adopté par le corps
de la nation. Si quelquefois feduite ' par cette nouvelle
pjijlôfophie , dont Tite-Live fait gloire de; s’iê-
trè garanti, elle eiitreprenoit de fe rèvoltet, biejx-
tê ï ia force de l’exemple de le re^e& pour les ans
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ciennes opinions la contraignoient de rentrer fbifS
le joug. En voulez-vous un exemple bien fingulier î
le voici.
Jules Céfar ne peut être accufé ni de petiteffe
d’efprit, ni de manque de courage, 6c on ne le foup-
çonnera pas d’avoir été fuperftitieux ; cependant, ce
même Jules Céfer ayant une fois verfé en voiture ,
n’y montoit plus fans réciter certaines paroles ,
qu’on croyoit avoir la vertu de prévenir cette efpèce
a accident. Pline qui nous rapporte le fait , liv.
X X V II, chap. ij. allure que de fon temps , prefque
tout le monde fe fervoit de cette même formule ,
& il en appelle la confcience de fes leéfeurs à témoin.
Du temps d’Homère & cPHefiode , on ne connoit-
foit point encore les oracles parlants, ou du moins
ils avoient fort peu de célébrité ; j’appelle oracle s
parlants, ceux où l’on prétendoït que la divinité con-
fultée de vive voix , répondoit de la même manière
par l’organe d’un prêtre, ou d’une prêtreffe qu’elle
, infpiroit. L’oracle de Delphes qui fut le premier des
oracles parlants, ne répondoit qu’un feul jour dans
l’année, le feptième du mois bufios, ufage qui fob-
fifta affez long-temps l ainfi on imagina , pour la
commodité de ceux qui vouloient connoître l’avenir
, de dreffer des recueils d’oracles ou de prédictions
écrites , que pouvoient confulter les curieux
qui n’avoient pas le loifir d’attendre. Ces prédi étions%
conçues en termes vagues & ambigus, comme ceux
des oracles parlants , étoient expliquées par des devins
particuliers, qu’on nommoit chrefmologu.es ou
interprètes d'oracles-
On trouve dans les anciens écrivains trois differents
recueils de cette efpèce celui de Mufée , celui de
Bacis, & celui de la Sibylle. Quoique ce dernier ait
été beaucoup plus célèbre chez, les Romains que chez
les Grecs, on voit néanmoins par les ouvrages de ces
derniers, qu’ils ne laifibient pas d’en faire ufage- M
falloit même que ces prédirions fuflènt très-connues-
aux Athéniens, puifque le poète Ariftophane en fait
le fojet de fes plaifanteri.es dans, deux des comédies
qui nous refient de lui. .
Différents pays , 6c différents fièctes avoient eu
leurs fibyiles r on conferyoit à Rome avec le plus
grand foin fes prédirions de celle de Cumes, & on
les conlultoit avec appareil dans les oçcafions importantes;
cependant les écrivains de cette ville * Pline ÿ
l. X I IL c. x iij, & Denis d’Haiicarnaffe,. L ƒ , c.iv.
ne font d’accord ni fur fe nombre dè livrés qui compo-
foie'nt ce recueil, ni for le roi auquel- ilfut/préfenté.
Ils s’accordent feulement à dire que Tàrquin, foitle
premier , foit lé fécond de ceux qui ont porté ce nom;
fit fermer èe recuéil-' dans un coffre de pierre, qu’il
le dépofa dans un fouterrein du temple de Junon au
capitole , & qu’il commit à la garde de ces vers
•qu’on prétendoit contenir le deftin de Rome, deux
magiftrats fous le titre- cîe duumvïri Jacris faciundis- „
auxquels il étoit défer/du de les communiquer, 6c à.
qui même i f rîéteit permis de les- confulter que par
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Kordre d u r a , & dans la fuite par celui du fénat.
•Cette charge étoit une efpèce de facerdoce ou de
jnagiftrature facrée, qui jouiffoit de plufieurs exemptions
, & qui duroit autant que la vie.
Quand les plébéiens eurent été admis à partager les
emplois avec les patriciens, l'an 366 avant J. C. on
augmenta le nombre de ces interprètes des defttnées
••de la nation , comme les appelle P. Décrûs dans
Tite-Live, fatorum populi Romani interprètes. Un les
porta jufqu’à d ix , dont cinq feulement etoient patriciens
, 6c alors on les nomma decemv.rs. U ans la
[fuite, 9ce nombre fut encore accru de cinq perfon-
Jnes & on les appella quincUolinvïrs. L’epoque. pre-
' cife’ de ce dernier changement , n’eft pas connue ;
mais comme une lettre de Cælius a Cicéron, epift.
famil. I V I I I , c. iv , nous apprend que le quindçcim-
virat eft plus ancien que la diéiature de Jules Ce far,
on peut conje&urer que le changement s’etoit fait
| fous Sylla.
[ Ces magiftrats que Cicéron nommoit tantôt Jîbyl-
■ litiorum interprètes , tantôt Jibyllini facerdotes, ne
l pouvoient confulter les livres Jîbyllins fans un ordre
exprès du fénat, & de-Ià vient l’exprefliçn fi fou-
vent répétée dans Tite-Live libros adiré juJJi funt.
! .Ces quindécimvirs étant les feul s a qui la leaure de
[ceslivres fût permife, leur rapport etoit reçu fans
examen, & le fénat ordonnoit en confequence , ce
| qu’il, croyoit convenable de faire. Cette confultation
[ ne fe faifoit que lorfquM s ag ffoit de raffurer les ef-
[ prits alarmés par la nouvelle de quelques prefa-
ges fâcheux, ou par la vite d un danger dont la république
fembloit être ménàcee : ad deponendas po-
tius qudpi ad fufeipiendas religionesdit Cicéron; &
afin de connoître ce qu’on devoit faire pour appauèr
fe| dieux irrités , & pour détourner l’effet de leurs
menaces , comme l’obfervent Varron ÔC. Tite-Live.
La réponfe des livres fibylhns étoit communément
que pour fe rendre la divinité favorable , il falloit
Èi 11'tuer une nouvelle fête, ajouter, de nouvelles cérémonies
aux anciennes , immoler telles^ ou telles
viélimes, «fej. Quelquefois meme les pretres fibyl-
lins jngeoient , qu’on'ne pouvoit détourner 1 effet du
courroux célefte que par des fàcrifices barbares ,. &
• en immolant des viâimes humaines. Nous en trouvons
avoinnlo /I-im Uc nromiprPS Pïip'rrPR nuninues .
Les décemvirs ayant vu dans les livres ftbyllins
que des Gaulois &: dés Grecs s’èmparero.ient dè la
ville, iiibem occupât unes , on imagina qüe y. pour détourner
T effet de cette prédicf-on , il falloit enterrer
vif dans là place ,. un hemme & une femme de cha*
cune/ de cèsdêux nations, & leur faire prendre ainfi
poflèflîon dè là ville; Tonte puérile qu’étoit cette
interprétation,, un très- grand nombre d'exemples
nous montre que les- principes, de l’art divinatoire
admettoient ces fortes, d’accommodements avec la
deftinée.
Le recueil des* vers Jîbyllins dépofé par l’un dès
Tarquin^ dans fé capitole-, périt , comna5 on , l’.a vu
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au temps de. la guerre foc'ale , dans 1 embrârement de
ce temple en 671 ; mais on fe hâta de remédiera la
perte qu’on venoit de faire, & dès l’an 76 avant ï .
C. le fénat, for la pvopofition des confuls (Jetavins oC
Curion, chargea trois démâtés d’aller chercher dans
la ville d’Erythrée , ce qu’on y confervoit des anciennes
prédirions de la fibylle. Varron 6c Feneltel.a
cités pat Laftance , ne parlent que d’Erythree ; mais
Denys d’Halicarnàffe & Tacite ajoutent les villes
grecques de la Sicile & de 1 Italie. .
Tacite qui devoit être, inftruit de l’hiftoire des livres
Jîbyllins , puifqu’il étoit du corps des quindécemvirs
, dit qu’après le retour des députés, on chargea,
les prêtres Jîbyllins de faire 1 examen des differents
morceaux qu’on avoit apportés ; & Varron affuroit,
félon Denys d’Halicarnafle , que la règle qu’ils avoient-
foivie, étoit de rejetter comme faux tous ceux qui'
n’étoient pas afïùjettis à la méthode acroftiche. Nous
indiquerons dans la fuite quelle étoit cette methode.
Augufte étant devenu fouverain pontife , apres la.
mort de Lepidus, ordonna une recherche de tous-les-
.écrits prophétiques, foit, grecs , foit latins, qui fe:
trouvoient entre les mains des particuliers* 6c dont
les mécontents pouvoient abufer pour; troubler fa.
nouvelle domination. Ces livres ; remis au pret ur v
mtmtoient à deux mille volumes qui furent brûles ;
6c Tón ne conferva que les vers Jîbyllins. , dont, on fit
même une noùvelle révifion-
Comme l’exemplaire écrit au temps dé Sylla corn--
mençoit à s’altère r ., Augufte chargea encore les quin—
décemvirs d'en faire, upe copie de leur propre main
6c fans laiflèr voir ce livre à ceux cûï netoient pas»
de leur corps- On croit que ,. pour donner un air
plus antique 6c plus vénérable à leur copie, ils l’écrivirent
for ces xoîles préparées qui- compoföient les.
anciens librî.lintei, avant qu’on connut dans iocci--
dent l’ufage dû papier cfEgypte , 6c avant qu on. eut .
découvert à Pergame l’art, de préparer le parchemin3<
carta Per gamena^
Ce* exemplaire des vers Jibyllins-iuto.TiieviTiQ dans-
deux coffres dorés, 6c placé dans la bafe de la flatus-
d’Apollon Palatin, pour n’en. être. tiré .que dans les,
cas extraordinaires.
Il feroit inutile de fïnvre ■ les différentes contuka^
fions de ces livres-, marquées dans l’hiftoire romaine;
mais nous croyons devoir nous arrêter fur celle?
qui fe fit par l’ordre d’Aurélien,. au mois de Décembre
de l’an 270 de J. G. parce que; le récit en ©fis
extrêmement-circonflanoé dans Vopifeiis,..
Les Marcomans ayant traverfé le Danube, 8c for-*-
cé lè paffage dès Alpes-,, étoient entrés dans l’Ita--
lie ,. ravageoient les pays fîmes au nord du Pô , ôe.
menacoient même la ville de Rome , dont un1 mouvement
mal-entendu dè l’armée romaine., leur avoir:
ouvert le chemin. A la vue dû-périloùfé trou voit:
l’empire ,. Aurélien naturellement.fupetftkiêax y écrivit
aux pontifés, pour leur ordonner- dé? confulter“
les livres Jîbyllins, Il falloir, pour, la forme ,un decrec