
roi, aux flottes & aux armées duquel j fi peu de-temps
auparavant, la terre & les mers pouvoient à peine
Suffire. Grand & mémorable exemple de l’inftabilité
des chofes humaines, & de la foiblefle des plus grandes
forces : c’eft la réflexion que fait Juftin.
Etat rts fpc&aculo digna , & æfbnatione f o r t is hu~
planez rerum varietate miranda , in exiguo Internent vi-
dere navigio , qüem paulà ante vix eequor onme capiebat,
cp.rcn.tem etîam omni fervorum miniferio , eu jus exerce
tus, propter muliitudinem y terris graves eranu Jüftin,
lib. 2 , cap. 13.
Gette grande révolution étoit principalement l’ouvrage
de Thémifoçle. Sa réçornpenfè fut une couronne
d’olivier> un char qu’on lui donna, des honneurs
qu’on lui rendit hors de fa patrie, à Sparte ÔC ailleurs ;
(ur-tout les acclamations des jeux Olympiques lorf-
qu’il y parut. Ce jour , oit tous les yeux fe détournoient
des jeux 6c des combats pour ne regarder que
Them'f ocle, ÔC ou il étoit fèut tout le fpeéhde, fut Je
plus beau jour de fa v ie , & furpaffa fes efpérances , 8c
prefque fes défirs , comme il preuoit plaifir à l’avouer
àfèsams.
L’habileté de Thémifoçle^ & ce mélange heureux
d’adreffe 6c de courage qui le caraéléiife , paroiflent
dans toute la conduite.qu’il tint après l’èxpulfton des
Perfes. Les. Athéniens rentrèrent alors dans leur v.Üe ,
quMs avoient abandonnée- avec tant de regret;, ils
reprirent pefleflion de tout ce qu’ils avoient de plus
cher ; ils firent revenir leurs femmes 6c. leurs enfans ,
qulls avoient mis en dépôt où- ils avoient pu. Les
Perfes avoient prefqu’entièrement détruit Athè les ;
Thémijhcle er treprit de la rétablir 6c de la fortifier.
Les Lacédémoniens, qui n*ignoroient pas le projet
quM avoit de donner à. fon pays la fuperiorité- de la
Grèce, & qui {envoient combien fa gloire perfonnelle
ôc fes triomphes pouvoient- faciliter ce projet, commencèrent
à voir ces travaux d’ n, oejl inquiet 6c
jaloux ;. ils craignoient qu’Athènes , qui -venoit de fe
montrer fi. puiffante fur mer , 4e devenant encore du
côté de la terre , né ffit en état de faire la l o i 6 c
d'enlever à. Lacédémone la prééminence, Ib firent
donc une- députa-'io.i aux Athéniens , pour leur re-
p refonte r que l’intérêt général de la Grèce demandai,
qu’ il n’y eût hors du, Péloponnèfe aucune ville fortifiée,
qui , dans le cas d’une nouvelle irruption dès
P< rfes, pût leur fèrvir de place d’armes. Thémijhcle
n’eut pas de peine à. comprendre que les Lacédémoniens
feignoient de craindre les Perfes, 6c qu’ils ne
craignoient en effet que les Athéniens :- fis veulent
TZifer avec nous > dit-il aù fénat ; 'i l fa u t rttfer avec
eux. La réponfe fut qubn enverront: des dépïttés à
Lacédémone, pour la rajfunr fur fes inquiétudes. On
ne fe préffa point de les envoyer ; 6c quand il fallut
enfin fetsfèir e à cette promeffe, Thémifoçle, qui eut
foin de fe foire nommer parmi les députés-, ne- fè
pre-ffa point de partir : cepéndantil partit le premier ;
fes collègues ne partirent ni, en méme-‘emps que lui,
ni les uns en même-temps-que les autres. Arrivé à
Lacédémcue, Thémifoçle iaiffa pafSCer plu fleurs jours
fans vifiter les Magiftrats, fans demander audience au
fénat. Quand on lui detnandoit la raifen de ces délais :
j'attends , difoit-il, mes collègues-, & je ne conçois pas:
ce qui peut les retarder. Ils arrivèrent fucceffivement,
Ôc toujours à quelque diflance les u, s des autres.
Cependant on prefîbit les travaux d’Athènes avec la
plus grande vivacité ; femmes , enfans , étrangers ,
efclaves , tous mettoient la main à l’ouvrage ; tous
I travaillaient, 6c te jour 6c la nuit c on ne Pignoroic
i pas à. Lacédémone, 6c on en fit de grandes plaintes.
Thémifoçle nia le fait ; fè plaignit lui-même de ce
; qu’on en croyoit des bruks vagues 6c fans fondement.
•Il demanda que la chofe fut éclaircie, ôc qu?on en.-
voyât à Athènes une nouvelle députation , pour s’aflu-
• rer de çe qui en étoit î tout cela foifôit gagner du
| temps. Il ne manqua pas d’avertir l'es Athéniens de
i retenir les nouveaux députés, pour lui fervir d'otages ,
à lui & à fes collègues , jufqu’à leur retour, craignant
d’êtrè arrêté à Lacédémone. Enfin , toutes ces mefures
étant prifes, 6c tous les députés Athéniens arrivés à
' Sparte, Thémifoçle demanda. au d en c e6 c déclara;
; en plein fénat qu’Athènes avoit en. effet voulu pouN-
: voir à fa sûreté- ; que c’étok pourvoir à. celle dis toute-
la Grèce; que la Péloponèfe même 6c la Laconie-
n’en éteient que- m eux défendus par ces barrières.
: extérieures ; que plus on auroit d’obftacles à oppofer
aux Perfes, moins on auroit à craindre leurs irrup-.
| rions ^ qu’en fin ces fortifications a\ oiect été jugées
néçeffaires x qu’elles étoient achevées, 6c que la ville
étoit en état defe défe .dre contre quiconque- oferoifc
l’attaquer ; que les Lacédémoniens auroient grand -tort *
de prérendre ?fTui er leur pif fiance fur la foiblefle de-
leurs alliés, au lieu de rétablir fur leurs propres forces
. ÔC fur four courage. Graviter caftgat eos, quod non vir-.
i tute y fed imbecilbitate fociorum potenliam quezrerent
Juftin , Hb. % y cap-, 15 ; ÔC cette déclaration., ôc i’àtt
employé par les Athéniens pour fe mettre en état de la-
faire , déplurent beaucoup aux Lacédémoniens ; mais
les premiers venoient de fè rendre trop utiles à la;
G rè cep ou r qy’ôa pût, avec honneur,, rompre avec
eux dans ce moments Sparte diflîmula donc, &
attendit une- occafion plus favorable. Les députés
furent renvoyés dp part ÔC d’autre,.ÔC - Thémifoçle:
revint à Athènes comblé de nouveaux honneui s parles
Lacédémoniens -mêmes, 6c ayant aiiflï ufilèmèht
fervi fa-patrie dans cette négociation par fon, adrefle ^
que dans les combats par fes armes,.
En fort-'fiant Athènes, Thèmiflbùle. ne perdbit pas
de vue-1 amer. Athènes n’avoit eu jufques là qu’un port,
peu fpacieux, peu commode, peu propre aux grands
dêfleins de Thémifoçle-, le port de Phalère ce fut lui.
qui fit bâtir 6c fortifier le Pirée*
Si Thépiïfbclë n’efat employé que d'e pareils moyens.'
pour élever Ôc aggrândir fa république , fa gloire
fèroit- fans tache;'mais il mérita le reproche qu’iL
avoit fait lui-même aux Lacédémoniens, de vouloir
fonder- leur pu.flanee fur la.foiblefle de leurs alliés, 6c
il mérita de plus le Reproche de vouloir la fonder furie
c ime. On fait qu’il annonça dans l^ffemhiée. du.
peuple un projet important, mais dont le fuccès
dépertdoit du fècret, 6c que par cette raifon il ne
pouvoir, difoit-il, communiquer au peuple. Il de-
iuai|da qu’on nommât, quelqu’un avec qui il pût en
conférer ; Ariftide fut nommé. Son rapport fut, que.
le projet écoit très-utile, mais très-injufte : fur ce fèul
mot il fut rejîtté. Ce projet étoit de brûlèr la flotte des
Grecs qui étoit dans un port voifin ; ce qui devoit,
félon Thémifoçle, procurer aux Athéniens le commandement
de la Grèce;, parce qu’a lors Athènes eût
été la feule reflource des Grecs pour la marine. Que
ce projet fût injufte ÔC criminel , c’eft un pbint accordé
6c jugé. Mais qu’eft-ce donc qu’Ariftide pouvoit
trouver de fi utile dans un pareil projet ? Ce jugement
pouvoit tenir de l’erreur de tant de politiques Mach’ia-
velliftes, qui croyent le crime utile , parce qu’ils ne.
portent jamais leurs regards au-delà, au moinent , 6c
qu’ils ne fongent point au lendemain. Si les Athéniens
e.ufl'ent brûle la flotte Grecque , qu’en feroit-il arrivé ?;
Çe crime les eût à jamais diffames dans la Grèce ; il
■ auroit exci:é une haine univerfelle. Ceux des alliés qui
pouvoient balancer entr’eux, ÔC les Lacédémoniens,
le feroient hautement déclarés pour ceuxrci, ou fi la
crainte eut contenu l’horreur , ce ri’auroit été .que pour
un moment, 6c jufqn’à la première occafion de vengeance.
Le jugement d’Ariftide étoit donc encore trop
favorable an projet, qu’il fit cependant rejetter ; mais
le peuple fut très-eft mable de le rejetter , par la feule
raifon que le projet écoit injufte; 6c en cela il ne fe
montra pas moins politique que vertueux.
Ce commandement de la Grèce, que Thémifoçle
avojt voulu piocurer à fa patrie par le crime, Ariftide
ÔC Cimon le lui procurèrent par la vertu. la perfidie
de Paufanias, général Lacédémonien , qui trahit
les Grecs, 6c fe permit des intelligences criminelles
avec Xercès, contribua beaucoup à ce changement.
' Paufanias étoit ami particulier de Thémifocl:. Celui-
;£i, par fon orgueil , par l’éralage perpétuel de fes fer-
vices , autant que par fa puiffance , avoit attiré fur lui
i’oftracifme, qu’il avoit auparavant excité lui-même
contre le modefte Ariftide. Il avoit bâti près de fe
maifon un tempie à Lriane , fous le nom 'de Diane
Arifobule , c’eft-à-dire , du bon confeil, en mémoire
des bons confeils qu’il fe flattoit d’avoir donnés aux
Athéniens, 6c à toute la Grèce. En toute occafion il
fetiguoit fes concitoyens dp récit de fes exploits 6c de
fes viâoires., 6c fembloit leur reprocher d’en avoir
perdu le fouvenir. Quelqu’un lui demandant un jour
s’il n’étôit pas las de répéter toujours les mêmes
chofes : Hé ! vous lajfe^vous, leur dit-il, de recevoir
fouvent d.t bien des mîmes perfonn s. C ’ctoit provoquer
les honneurs de l’oftracifme , 6c il les obtint : il fe
retira d'abord à Argos. Pendant qu’il y vivoit tranquille,
Paufanias, fon ami, ourdsflbic fa trame. Il
lui en avoit p.éfédemme it faicmyftère ; mais quand
il le vit chafle,- comptant fer le reffenriment- que çec
homme fier ÔC fenfible auroit d’une telle iujuce, il lui
fie part de fes projets , 6c le prefia d’y entrer. Thi-
mifoclc s’y refufa entièrement; mais il lui garda le
fecret f 6c continua de recevoir fes confidences.
Le complot de Paufanias ayant été découvert, &
ce général convaincu 6c m s à mort , on trouva
dans fes papiers des lettres de Thémifoçle, qui donnèrent
contre lui des foupçons de complicité. Les
Lacédémoniens trouvant cette occafion de fe venger
de lui, ne la Iaifsèrent point échapper’; ils envoyèrent
à Athènés des députés pour l ’accu fer , ÔC les
envieux quM avoit parmi les Athéniens même fe
joignirent à eux. Thérnifocle fe défendit par lettres. Il
allégua pour fe jüftification cet orgueil même qui
lui avoit été tant reproché, ÔC qui lui, avoit Valu I’of-
tracifme': Je l’avoue, dit-il, j’aime, j’ai recherché
I » la domination : toute dépendance m’eft infuppor-
j » table, tout joug me p'èfe. Comment avec cet amour,
» hon-feuleraent de la liberté, mais; encore de l’au-
» torité, aurois-je été chercher l’efclavage à la cour
i« du roi de Perfe ? Comment, d’ailleurs, aurois-je
i » démenti tant de fervi ces, dont on m’aceufe , avec •
: » quelque raifon, peut-être, d’avoir tiré trop de va-
n nité ? Comment aurois-je voulu livrer à des ennemis,
» que j’ai vaincus, à des barbares , que je méprife,
I » cette Grèce que ma gloire eft d’avoir rendue tant
n de fois triomphante ? ,
» Mais j’ai fit le complot de Paufenias, 6c ne lai
» point révélé !
n II eft vrai, l’amitié me défendoit d’être le dé-
» nonciateur ÔC le bourreau de cet infortuné. Je le
» voyois s’égarer dans fa folle entreprife ; j’avois pitié
» de lui , 6c ne craig ois rien pour la Grèce. Une
; » machination fi mal concertée, ne pouvoir avoir une
; » heureufe iflue ; Ôc j’elpérois toujours qu’il y renon-
» ceroit de lui-même, comme j avois foin de l’y
: >1 exhorter î j.
Malgré cette apologie l’accufation prévalut ; ou
envoya des gens à Argos pour l’amener à Athènes,
afin qu’il fût jugé par le confeil de la Grèce. Cette
rélolution ne put être aflez fecrette pour que Thémifoçle
l'ignora:;.il alla chercher un afyle dans l’ifle de Cor-
cyre, à laquelle il avoit autrefois rendu quelque fer-
vice ; mais ne s'y trouvant pas. en sûreté , il pafla
jufqu’en Epire , 6c s’y voyant encrire pourfuivri parles
Athéniens.ôc les Lacédémoniens , il prit le parti de
fe retirer chez un ennemi qu’il efpéra trouver moins
implacable que fes propres concitoyens : cet ennemi,
ce n’étoit pas encore le roi de Perfe , mais Admète ,
roi des Molofles. Ce prince, dans une occafion importante,
avoit demandé aux Athéniens un fecours,
que Thémiftocle lui avoit fait refufer ; il en confervoit
un vif reflentiment, 6c ne refpiroit que la verigeance.
Thémifoçle, qui avoit de la grandeur dans l'ame,
imagina que le meilleur moyen de 1’appa.fer feroit
d’aller’fe remettre dans fes mains , 6c le rendre l’arbitre
de fon fort. Quand il arriva dans la cour d’Admète
, ce prince étoit abfenc. Il vit la reine fe femme ;
il la mit dans fes intérêts ; lui demanda confeil, Si ce
fut elle qui lui enfeigna la manière dont il devoit 1$
pi cfenter devant Admète , pour le défermer' 8c tauchef
! fon coeur. Au retour de ce prince, Thémifoçle \.rena.it
dans fes bras le fils du roi, s’affeyant au milieu de fon
J foyer, au fein de feô Dieux domeftiques ; n Grand
G g. ij