
& quelquefois par. le peuple , pour récompenfer
un général qui par fes adions & fes vidoires avoir
bien mérité de la patrie,
Romulus & fes liiccefieurs furent prefque toujours
en guerre avec leurs voifins, pour avoir des
citoyens. des femmes & des terres. Ils revenoient
dans la ville avec les dépouilles des peuples vaincus
: c’étoient des gerbes de blé & des troupeaux ,
objets d’une grande joie. Voilà l ’origine des
triomphes qui furent dans la fuite la principale
caufe des grandeurs où parvint la ville de Rome,
Le mot triomphe tire fon origine de lutloOS
qui eft un des noms de Bacchus conquérant des
Indes. Il fut le premier qui dans la Grèce, félon
l ’opinion commune, inftitua cette réception magnifique
qu’on faifoit à ceux qui avoient remporté
de grands avantages fur les ennemis. Les acclamations
du foldat & du peuple qui crioient après
le vainqueur : io triumpke , ont donné naifiance
au mot triumphus , & étoient imitées du io triambe
Bacche, qu’on chantoit au triomphe de Bacchus.
Tant que l ’ancienne difcipline de la république
lubfîfta , aucun général ne pouvoit prétendre au
triomphe, qu’il n’eut éloigné les limites de l ’em-'
pire par fes conquêtes, & qu’il n’eût tué au moins i
cinq mille ennemis dans une bataille , fans au- ,
cune perte confidérable de fes propres foldats^ cela
etoit expreflement porté par une ancienne loi ,
en confirmation de laquelle il fut encore établi
par une fécondé ordonnance qui décernoit une
peine contre tout général qui prétendroit au
triomphe , de donner une lifte fauffe du nombre
des morts,,tant dans l’armée ennemie, que dans
la fienne propre.
Cette même loi les obligeoit avant que d’entrer ■
dans Rome , de prêter ferment devant les quef-
îeurs , que les liftes qu’ils avoient envoyées au
fénat , étoient véritables. Mais ces ioix furent
long-temps négligées, 8c traitées de vieillerie, &
comme hors d'ufàgé.' Alors l’honneur du triomphe
fut accordé à l’ intrigue & à la fadion de tout général
de quelque crédit qui avoit obtenu quelque
petit avantage contre des pirates ou des bandits,
ou qui avoit repoufie les incurfions de quelques
barbares fauvages , qui s’étoient jettes fur le» provinces
éloignées de l’empire.
C ’ér-ôit une loi dans la république de Rome
qu’un général vidorieux & qui dèmandoit le triomphe
, ne devoit point entrer dans la ville avant
que de l’avoir obtenu,
- 11 falloit encore pour obtenir le triomphe, que
le général eût les aufpices, c’eft-à-dire, qu’il fût
revêtu d’une charge qui dannoit droit d’aufpices,
& il falloit auffi que la guerre fût légitime &
étrangère. On ne triomphoit jamais lorfqu’il s’a-
gifioit d’une guerre eiviîe.
L e général qui avoit battu les ennemis dans un
1 » Sombat naval, avoit les honneurs du triomphe naval.
Ce fut C . Duillius qui les eut le premier
l’an 44y , après avoir défait les Carthaginois :
car c’eft à-peu-près dans ce tems-là que les Romains
mirent une flotte en mer pour la première
fois. L ’honneur que l ’on fit à Duillius fut d’élever
à fa gloire une colonne roftrale , roftrata,
parce qu’on y avoit attaché les proues des vaif-
fèàux : on en voit encore aujourd’hui une infcrip-
tion dans le capitole.
s. Comme pour triompher, il falloit être général en
chef, lorfqu’il n’y eut plus d’autre général ou chef
que l ’empereur , 1 es triomphes lui dévoient être réfer
vés. Cependant, comme le dit très-bien M. l*abbé
de la Bletterie, Augufte en habile politique, accoutumé
à tout attendre & à tout obtenir du tems , ne
fe hâta point de tirer cette conféquence. Au contraire
il prodigua d’abord le triomphe , & le fit décerner
à plus de trente perfonnes. Mais enfin l’an
de Rome 740 Agrippa, foit par modeftie, foit pour
entrer dans les vues d’Augufte , qu’il féconda toujours
d’aufli bonne foi que s’il eût approuvé la nouvelle
forme de gouvernement ; Agrippa, dis-je,
ayant remis fur le trône Polémon, roi de la Cher-
fonnèfe taurique, n’écrivit point au fénat, & re-
fufa le triomphe•
L ’exemple d’Agrippa, gendre d’Augufte, & fon
collègue dans la puiffance tribunitienne, eut force
de loi : on fentit que l’on faifoit fa cour au prince
en s’excluànt foi-même de cet honneur; & les bonnes
grâces d’Augufte valoient mieux que les triom-
phes. Ceux qui commandoient les troupes, quelques
vidoires qu’iis eu fient remportées . n’adrefie-
rent plus de lettres au fénat, & par-là fans exclufîo-n
formelle , le triomphe devint un privilège des empereurs
& des princes de la maifon impériale.
En privant les particuliers de la pompe du triomphey
on continua de leur accorder les diftinétions
qui de tout tems en avoient été la fuite ; c’eft-à-dire,
le droit de porter la robe triomphale à certains jours
& dans certaines cérémonies , une fiatue qui les re-
préféntoit avec cet habillement, & couronnés de
lauriers , enfin quelques autres prérogatives moins
connues qui font renfermées dans ces paroles de
Tacite : Et qu.idqu.id pro triumpho datur•
Augufte, pour faire valoir & pour ennoblir eette
efpèce de dédommagement dont il étoit inventeur ,
voulut que Tibère, quoique devenu fon gendre après
1 a mort d’Agrippa, fe contentât des orneraens triomphaux
, au l'eu du triomphe que le fénat lui avoit
décerné ce ne fut que long-tems depuis & polir
d’autres yidoires > qu’il lui permit de triompher.
Le dernier des citoyens qui foit. entré dans Rome
en triomphe, eft Cornélius Balbus, proconful d’Afrique
, neveu de ce Cornélius Balbus connu dans
I’hiftoire par fes liaifons avec Pompée , Cicéron 8c
Jules-Céfar. Balbus, le neveu, triompha l'an de
Rome 73? , pour avoir vaincu les Garamantes,
chez qui les armes romaines n’avoient point encore
pénétré. Deux Angularités caradérifent fon
triomphe; i° . Balbus eft le feul, qui, n’étant citoyen
romain que par grâce , & n’ayant pas même
l ’avantage d’être né dans l’Italie, ait obtenu le plus
grand honneur auquel un romain ait pu afpirer.
i ° . Nul particulier n’eut cet ^honneur depuis le
jeune Balbus. On ne fauroit alléguer férieufement
contre ce*te propofîtion l ’exemple de Bélifaire qui
triompha fîx cent ans après à Conftantinople fous
le règne de Juftinien.
Il arrivoît quelquefois, que, fi le fénat refufoit
d’aecprder le triomphey à caufe du défaut de quelque
condition nécefîaire, alors le général triomphoit fur
le mont Albain. Papirius Mafia fut le premier qui
triompha de cette manière l ’an j a i de Rome.
Lorfque les avantages qu’on avoit remportés fur
l ’ennemi ne méritoient pas le grand triomphe , on
accordoit au général le petit triomphe , nommé
ovation : celui qui triomphoit ainfi , marchoit
à pié ou à cheval, étoit couronné de myrthe , &
immoloit une brebis. Il n’étoit pas même néceffaire
d’être général d’armée, & d’avoir remporté quelque
vidoire pour obtenir ce triomphe ; on le décernoit
quelquefois à ceux qui n’étant chargés d’aucune
magiftrature ni d’aucun commandement en chef,
rendoient à l ’état des fervices fignalés.
Auffi trouvons nous qu’un particulier obtint cet
honneur l’an de Rome huit cent, quarante-feptieme
de J. C , plus de cinquante ans depuis l ’éta-
bliflement de la monarchie; je parle d’Aulus Plau-
tius qui fous les aufjpices de Claude, avoit réduit
en province la partie méridionale de la Grande-
Bretagne. L ’empereur lui fit décerner le petit
triomphe, alla même au-devant de lui le jour qu’il
entra dans Rome, l ’accompagna pendant la cérémonie,
& lui donna toujours la main. Au/o Plau-
iio etiam ovationem decrevit , ingreJJoque urbem ob-
viam progrejfus , & in capîtolium eunti, & inderur-
fus revertenti latus texit, dit Suéton^ L ’hiftoire ne
fait mention d’aucune ovation qui foit poftérieure à j
celle de Plautius.
Au refte , peu de perfonnes étoient curieufes !
d’obtenir ce triomphe, tandis que le grand triom- ;
phe étoit l’objet le plus.flatteur de l ’ambition de
tous les Romains. Comme on jogeoit de la gloire
d’un général par la quantité de l ’or & de l ’argent
qu’on portoit à fon triomphe, il ne laifioit rien à
l'ennemi vaincu. Rome s’enrichifioit perpétuellement
, & chaque guerre la mettoit en état d’en
entreprendre une autre.
Lorfque le jour deftiné pour le triomphe étoit arrivé,
le général revêtu d’une robe triomphale ,
ayant une couronne de laurier fur la tête, monté
fur un char magnifique attelé de quatre chevaux
blancs, étoit conduit en pompe au capitole, à
travers la ville. Il étoit précédé d’une foule intr
menfe de citoyens tous habillés de blanc. On portoit
devant lui les dépouilles des ennemis, & des
tableaux des villes qu’il avoit prîtes & des provinces
qu’il avoit fubjuguées. Devant (on char mar-
choient les rois 8c les chefs ennemis qu’il a vote
vaincus 8c faits prifonniers.
Le triomphateur montoît au capitole par la rue
facrée. Lorfqu'il étoit arrivé, il ordonnoit qu’ on
renfermât fes prifonniers, & quelquefois qu’on en
fît mourir plufieurs. A la fuite de ces prifonniers,
étoient les vi&imes qu’on devoit immoler. Ceux
quifuivoient le triomphateur déplus près , étoient'
fes parens & fes alliés. Enfuitc marchoit l ’armée
avec toutes les marques d’honneur que chaque mi-
litaire avoit obtenues du général. Ses foldats couronnés
de lauriers, croient, io triumpke , qui étoit
un cri de joie ; ils chantoient auffi des vers libres ,
8c fouvent fort fatyriques contre le général même.
On trouve dans les anciennes bacchanales quelques
traces de cette licence. Elle régnoit dans les
: faturnales, dans les fêtes appellées matronales, &
prefque dans tous les jeux. Ceux du cirque en particulier
avoient leurs plaifans dans la marche fo-
lemneke qui fe faifoit depuis le capitole. Denys
d’Halicarnafle dit que cette coutume bizarre ne
venoit ni des ombriens , ni des lucaniens , ni des
anciens peuples d’Italie, & que c’étoit une pure
invention des grecs qu’il compare à l’ancienne comédie
d’Athènes,
Quelle que foit l’origine de cet ufage , il eft:
certain qu’il avoit lieu dans les triomphes', comme
on le voit par le récit des hiftoriens. Tite-Live ,
/. X X X IX . parlant du triomphe de Cn. Manlius
Volfo, qui avoit dompté les gaulois d’Afie , dit
que les foldats firent comprendre par leurs chan-
lons, que cegénéral n'en étoit point aimé. Pline, liv.
X IX . c. viij. obferve que les foldats' reprochèrent
à Jules-Céfar , fon avarice , pendant la pompe d’un
de fes triomphes , difant hautement qu’il ne les
avoir nourris que de légumes fauvages, & lorfque
ce même didateur eut réduit les Gaules, parmi
toutes les chanfons qui fe firent contre lui, pendant
la marche du triomphe, il n’y en eut point
de plus piquante que celle où on lui reprochoit
fon commerce avec Nicomède , roi de Bithynie,
Gallias Coefar fubegit, Nicomcdes Ccefarem. Ecce
Ceefar nunc triumphat qui fubegit Gallias. Nico-
medes non triumphat, qui fubegit Ccefarem. On
ne l’épargna pas non plus fur toutes fes' autres
galanteries -, & c’étoit tout dire , que de crier devant
lui j Urbani, fervate uxores , mceckum calvum ad-
ducimus. Suétone & Dion Caffius, liv. X L I I I •
nous rapportent tous ces détails.
Lorfqu’il n’y avoit point de prife du côté des
vertus, on fe rabattoit fur la naifiance, ou fur
quelqu’autre défaut. Nous en avons un exemple
remarquable dans le triomphe de Ventxdîus Bafius,
homme de baffe extradion, mais que Cefar avoit