
de ion projet à Henri ; ma s Henri conduit dans
cette affaire par Anne de Boulen , qui étoit l’objet
de ce divorce, prit fon miniflre pour dupe. L’am-
baffadeur de France, Grammont-, évêque de Tarbes,
étant arrivé en Angleterre fur ces entrefaites,
Volfey le pria de propofer, comme de lui même,
au roi d’Angleterre, le mariage de la princelfe
Françoife , en lui faifànt voir l’illégitimité du
premier. L’évêque de Tarbes fit la proposition.
Henri parut étonné , fcandalifé, puis il examina,
il eut des fcrupuks, il confulta, il demanda aux
doâeurs en droit canon avec un effroi religieux ,
s’il étoit vrai qu’il eût le ma heur de vivre depuis
dix-huit ans dans l’incefte, & il le fit prier de ré-,
pondre que cela étoit vrai. Les préfins de Henri
VIII & ceux de François I , qui le féconda bien
dans cette affaire, lui procurèrent des confukations
favorables des universités les plus célèbres de France
& d’itali:. On décida que la difpenfe donnée par !
le pape Jules II à Catherine d'Arragon , pour
époufir lucceffivement les deux frères, étoit nulle
& contraire à la loi de Dieu ; mais ce n’éioit
encore qu’une décision de jurifconfultes , il falloit
un jugement ; la reine fe défendit, & il étoit aifé
de juger qu’avec de l’argent, elle auroit eu pour
le moins autant de confultations en fa faveur que
Henri VIII. Le pape (Clement V il) délégua des
juges pour inftruire l’affaire iur les lieux : c’éfoient
le cardinal Volfey & le «cardinal Campege. Il pré->
voyoit aifément que* le choix même de ces juges
feroit naître des incidens & des longueurs ; que
la reine ne manquèrent pas de reeufer Volfey comme
un juge prévenu & trop attaché à Henri VIII.
( Voye% l’article Clement vu ). Cependant Volf
e y , dont la reine fe défioit le plus, fut celui qui
la fervit le mieux. Lorfqu’il eut découvert le vrai
motif qui faifoit agir le roi , lorfqu’il -fut qu’en
favoriSant le divorce , il rravailloit pour fa plus
redoutable riva!e d’autorité, il changea de conduite
; il avertit fecretement le pape qu’Anne de
Boulen fuivoit les opinions -de Luther, & qu’il étoit
à craindre qu’elle ne les inlpirât au roi, à qui
elle avoit fu.infpirer un defir fi effréné de l’épou-
fer. Le pape , foit Sûr les avis de Vùlfey , foit par
d’autres raifons, évoqua l’affaire au tribunal de la
Rote, après avoir donné ordre au cardinal Cam-
pége de brûler la bulle de divorce, ce qui fut
exécuté. Henri, furieux de voir cette affaire fortir
de l’Angleterre, où il lui étoit aifé de la faire
juger en fa faveur, s’en prit à V o lfey , & ce cardinal
fi publiant, ce miniflre fi abfolu, ce tyran
de Son maître , ce juge des empereurs & des rois,
z e Séjan de l’Angleterre, dont il fembloit que rien
ne pût renverfer la fortune, fut détruit d’un coup
d’oeil. Le roi, paSïant tout-à-coup d’une déférence
aveugle à une haine implacable, le dépouilla de
là dignité de chancelier, d’une grande partie de
lès biens , & le relégua dans fon archevêché.
Alors mille cris, que la crainte avoit étouffés ,
S'élevèrent de toutes parts contre le miniffre oppri- l
nié. Le roi avoit l’oreilie ouverte à toutes les
plaintes qu’on vouloit hasarder j il ordonna qu’on
lui fît fon procès, il le fit arrêter ; mais tandis
qu’on le traînoit en criminel d Yorck à Londres,
exemple éclatant de l’inconftaoce de la fortune 8c
des révolutions des cours, la douleur & la dyf-
fenterie, plus promptes que la rage de fes envieux ,
terminèrent fa vie le 30 novembre IJ30.
La réputation de Volfey fut trop grande pour
n’avoir pas été fondée fur quelques talens , mais
l’orgueil & l’avarice les ont flétris. Il faut avouer
au relie que le terns', où il a régné, a été le plus
beau tems ,de la vie de Henri VIII & celui où
l’Angleterre a tenu la balance avec le plus de
grandeur. Tant qu’il vécut, le fougueux Henri
n’ofa s’abandonner à toute l’impétuofité de fes
pallions ; le principal éloge de ce miniflre fe tire
de tout ce que Henri VIII ne fit point pendant fia
vie , 8c de tout ce qu’il fit après fa mort. 4^
Le roi d’Angleterre, Sous prétexte de malver-
fations, confifqua la meilleure partie de fes biens,
fur-tout Sa belle maifon d’Hamptoncourt. Gregorio-
Leti rapporte qu’un jour, qu’Anne de Boulen y
étoit avec le roi, peu de tems après fon mariage,
die lui dit : « Qu’il m’eft doux , S:re , de me
» voir avec vous dans ce paiais , dans ces jardins
» que mon ennemi lèmble n’avoir embellis que
» pour moi, quoiqu'il y ait fi fouvent médité ma
» perte ! » Sentiment naturel, mais indigne ,qui
étale le vil triomphe de la vengeance & de l’u-
furpation.
L’hiftoire a quelques reproches graves à faire à
Volfey. Le duc de Buckingham, de la maifon de
Staford, connétable d’Angleterre , defeendoit par
les femmes , du duc de Gloceftre, dernier |des fils
d’Edouard III ; par conféquent il ne pouvoir avoir
de droit au trône qu’après les maifons dTorck &
de Lancaflre, qui defeendoient des frères aînés du
duc de G'oceftre ; on l’accufa d’avoir tenu des
difeoursindiferets qui annonçoient des vues; d’avoir
confulté fur l’avenir & fur la fucceflion future un
chartreux qui pafloit pour prophète ; fur ce fondement
, fur la déposition d’un de fes domeSHques
& fur celle du Chartreux, il fut facrifié aux inquiétudes
jaloufes de Henri VlII, ou plutôt à la
vengeance de Vo lfey qu’il ha’iSTort 8c qu’il avoit
menacé. Cette cruauté rendit Volfey odieux , 8c
fit dire que le fils d’un boucher devoit aimer le
fimg ; mais Henri VIII l’aima bien davantage ,
apres la mort de V olfey.
Ce fupplice de Buckingham fut le plus grand
crime de V o l f e y qui en général étoit plus enclin
à l’avarice qu’à la cruauté, & qui préluda par des
extorfîons aux grandes violences de Henri ; les
rois d’Angleterre aVoient quelquefois obtenu de
leurs peuples, à titra de bienveillance , des fecours
que le parlement n’avoit pas voulu accorder ; mais
ces bienveillances étoient libres comme autrefois
nos dons gratuits ; par fucceflion de tems, elles •
étoient devenues un impôt déguifé, l’autorité avoit
abufé de cette rcffource. Volfey ayant voulu recourir
à cet expédient, efluya un refus ; il cita
Edouard IV qui avoit employé ce même expédient
avec un grand fuccès. On lui répondit que
c’étoit un abus, 8c qu’il avoit été réformé par
Richard III. Oh ! dit Volfey , ne p a r le r p o in t de
R ic h a rd I I I > c é to it un ty ra n . Sans doute Richard III
étoit un tyran , mais fon exemple n’en avoit que
plus de force contre un abus que lui-même avoit
jugé tyrannique ; le fophifme de Volfey n’étoit
qu’une dérifion , 8c c’étoit lui qui étoit le tyran.
Au refte , l’ufage des bienveillances remontoit
jufqu’au tems de Richard II.
Quels qu’ayent été les torts de Volfey , fa mort
en eft un plus grand de la part de Ton maître.
Henri , en lui préfentant des alternatives équivoques
de faveur 8c de di(grâce, fembla prendre
plaifir à lui faire fentir fa chûte , 8c à- le faire
mourir d’inquiétude , d’agitation 8c de douleur.
L’acharnement avec lequel Volfey fut pourfuivi ,
excite la pitié , c’efl: un des traits Jes plus marqués
d’ingratitude & de cruauté dans Henri'VIII. Ce
miniflre *ne l’avoit que trop bien fervi3 d’ailleurs
il fut trop évidemment facrifié à l’amour.
Parmi des chefs d'accufation , tous affez vagues
& allez foibles , portés .contre ce malheureux
V o l f e y , on trouve celui-ci : « q u 'i l a v o it expofé
la f a n té du ro i , en lu i p a r l a n t a l'oreille & ref-
p i r a n t p rè s de fo n vifag e , dans un tems ou i l fe
f a v o i t infeElé de la m ala d ie vénérienne. » Par ce
grief, on peut juger des autres.
V o lfe y , près de mourir, rendit témoignage au
caraftère de fon maître. « P ren eç g a rd e a u x con-
f e i l s que vous lu i donnerez , dit-il à ceux qui lui
luccédoient dans la faveur , je f u i s quelquefois
refté p e n d a n t t ro i s heures a f e s genoux p o u r lu i
f a i r e rév o q u e r des réfolutions injufies , & n 'a i j a m
a is p u rien obtenir. I l p e rd ro it la m o itié de fo n
royaume , p lu tô t que d'aban d o n n e r u n de fe s
p ro je ts . »
Le cardinal Volfey avoit fondé une chaire de
grec dans le collège du Chrift à Oxford , ce qui
partagea l’univerfité d’Oxford en grecs 8c en
troyens ( ce dernier nom fut celui que prirent les
ennemis du grec ) ce parti, avec le tems, eut en
effet le fort des troyens , il fuccomba, 8c l’émulation
fit pénétacr le grec dans l’univerfité de
Cambridge.
VOLTAIRE, ( François Marie Arouet de)
( hift. l i t t . mod.) Deux excellens écrivains, M. le
marquis de Condorcet 8c M. de la Harpe , ont
écrit, l’un la vie, l’autre Péloge de cet homme
illuflre. Nous tirerons principalement de ces deux
ouvi'ag-es, les matériaux de fon article. Nous laif-
ferons à ces deux écri/ains leurs opinions fans les
rejetter, fans les adopter, fans les difeuter; nous
les énoncerons quelquefois , mais nous ne les jugerons
pas. Nous ne jugerons pas non plus M. de
V o lta ire ; il a eu tous les ennemis > tous les envieux
, tous les admirateurs, tous les détracteurs
que donne le génie, qui tantôt fe fait amer, 8c
tantôt fe fait craindre. Nul n’a plus fait rire, 8c
nul n’a plus fait pleurer dans tous les fins pof-
fibles ; nul n'a eu fur fon fiée le une influence
plus fenfible, nul n’a exercé un plus grand empire
fur les efprits. Le voilà feul avec fes oeuvres
fous les yeux 8c fous la msin de la poftérité ,
c’eft - elle qui va le juger. Tous les intérêts
d’amour ou de haine, de vanité, de rivalité, de
parti, qui pouvoient s’élever entre fa gloire 8c la
juilice 8c la vérité, qui pouvoient corrompre les
jugemens qu’on portoit. (ur lui, vont toujours de
plus en plus s’àffbîblir 8c difpàroître. Il fera jugé
fur l’impreflion totale qui reliera de la ledure de
fes nombreux ouvrages , 8c fur quelques grandes
8c bonnes adions dont les motifs ne feront plus
empoifonés par des conjedures malignes.
François-Marie Arouet qui a rendu le nom de
Vo ltaire fi célèbre, naquit à Ghatenay, le 22 février
i 6 $ 4 , 8c fut baptifé à Paris en l’églife de faint
André des Arcs, le- zi novembre de la même
année; delà eft venu l’erreur de plufieurs perfonnes
qfli ont placé au 21 novembre, l’époque de fa
naiffànce. La raifon qui fit retarder ainfi la cérémonie
du baptême fut l’exceflive foiblelfe de l’enfant.
La même raifon avoit auflï f a i t baptifer ou
ondoyer Fontenelle dans la maifon paternelle. « Il
eft alfez fingulier que- les deux hommes cclèbaes
de ce fiècle, dont la carrière a été la plus longue,
8c dont l’efprit s’eft cônlervé tout entier le plus
long-tems , foient nés tous deux dans un état de
foiblelfe 8c de langueur ».
Le père de M. de V o lta ire étoit tréforier de
la chambre des comptes ; là mère, Marguerite
d’Aumart, étoit d’une famille noble du Poitou.
La fortune dont ils jouilfoient, procura deux grands
avantages à leur fils : celui d’une éducation foignée
8c de l’indépendance. «; jamais M. de V o lta ire
n’éprouva le malheur d’être obligé , ni de renoncer
à la liberté pour allurer la fubfiftance, ni de
foumettre fon génie à un travail commandé par
la néceflité de vivre , ni de ménager les préjugés
ou les partions d’un proteéleur. Ainfi fon ef-
prit ne fut point enchaîné par cette habitude
de la crainte qui, non-feulement empêche de produire,
mais imprime à toutes les produ&ions un
caraétère d’incertitude 8c de foiblelfe. Sa jcunelïc
à l’abri des inquiétudes de la pauvreté , ne l’expofa
point à contracter, ou cette timidité fervile que
lait naître dans une ame foible le beloin habituel
des autres hommes, où cette âpreté 8c cette inquiété
8c foupçonneule irtitabilité , fuite infaillible
, pour les âmes fortes, de l’oppofition entre
la dépendance à laquelle la néceffité les fou met ,
F f f f i