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que d’en faire des matières d’état. Il ne fut pas difficile
de faire regarder le livre du pere Quefnël
comme coupable, après que l’auteur eut été traité
en féditieux. Les jéfuites engagèrent le roi lui-
même à faire demander à Rome la condamnation
du livre. C’éto't en effet faire condamner le cardinal
de Noailles qui en avoit été le protedeur
le plus zélé. On fe flattoit avec raifon que le
pape Clément XI mortifieroit l’archevêque de
Paris. Il faut fa voir que quand Clément XI éto t
le 'cardinal Albani , il avoit fait imprimer un
livre tout molinifte , de fon ami le cardinal de
Sfondrate, & que M. de Noailles avoit été le dénonciateur
de ce livre. Il étoit naturel de penfer
qu’Albani devenu pape, feroit au moins contre
les approbations données à Quefhel * ce qu’on avoit
fait contre les approbations données à Sfondrate..
On ne fe trompa pas , le pape Clément XI
donna, vers l’an 1708, un décret contre Je livre
de Quefnel ; mais alors les affaires temporelles
empêchèrent que cette affaire fpiiitueile qu’on
avoit -follicitée y ne réuffit. La cour étoit mécontente
de Clément XL qui avoit reconnu l’archiduc
Ch a rit s pour ror d’Efpagne, après avoir reconnu
Philippe V. On trouva des nullités dans
fon décret, il ne fut point reçu en France, & les
querelles furent afloupies jufqu’à la mort du pere
de là Chaife , confeffeur du roi, homme doux,
avec qui les voies de conciliation éroient toujours
ouvertes', & qui ménageoit dans le cardinal
de Noailles , l’allié de madame de Main-
tenon.
Les jéfiiites étoient en poflcflion de donner un
confeffeur au roi, comme à prefque tous les prince-
catholiques." Cette préroga ive eft le fruit de leur
inffitur, par lequel ils renoncent aux dignités
eccléfiaftiques : ce que leur fondateur établit par
humilité , -eft devenu un principe de grand-ur.
Plus Louis XiV vieiiiilïoit, Tus la place de con-
fefleor devenoit un miniftere confîdérable. Ce porte
fut donné au pere le T-llier, fils d’un procureur de
Vire en baffe Normandie , homme fombre , ardent
, inflexible , cachait fes violences fous un
fltgme apparent : il fit tout le mal qu’il pouvoir
faire dans cette place , où il eft trop aifé d’inf-
p rer ce qu’on veut, & de perdre qui l’on hait :
il avoit à venger fes injures pariicuîières. Les
janféniffes avoient fait condamner à Rome un de
fes livres fur les cérémonies ebinoifes. Il étoit
mal perfonnellement avec le cardinal de Noailles.,
& il ne favoit rien ménager. Il remua toute Pé-
giijc de France; il dreffa en 1711 des lettres &
des mandemens , que des évêques dévoient figner:
il leur envoyoit des accusations ^contre l e cardinal
de Noailles a au bas defqueiles ils n’avoient
plus qu)à mettre leur nom. De telles manoeuvres
dans des affaires profanes font punies ; elles Luxait
découvertes & n’en réunirent pas moins.
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La confeience du roi étoit allarmée paf fôn con«
feffeur,' autant que fon autorité étoit bleflée par
l’idée d’un parti rebelle. Envain le cardinal de
Noailles lui demanda juflice de ces myftères d’iniquité.
Le confeffeur perfuada qu’il s’etoit fervi dos
jvoies humaines, pour faire reuflir les chofes di-
îvines ; & comme en effet il défendoit l’autorité du
ipape, & celle de l’unité de l’églife, tout le fond
de l’a flaire lui étoit favorable. Lé cardinal s’adreffa
iau dauphin, duc de Bourgogne ; mais il le trouva
■ prévenu par les lettres & il s s amis de l’archevêque
de Cambrai. Le cardinal n’obrint pas davantage
;du crédit de madame de Maintenon , qui n’avoit
guère de fentimens à elle , & qui n’etoit occupée
que de fe conformer à ceux du roi.
Le cardinal archevêque, opprimé par un jc-
fuite j ô?à les pouvoirs de prêcher & de confefîèr à
tous les jéfuites, excepté à quelques-uns des plus
fages & des plus modérés. Sa place lui donnoit le
droit dangereux d’empêcher le Tel ier de confeffer
le roi. Mais il n’ofa pas irriter à ce point fon fouve-,
rain ; & il le laiffa avec refpeét entre les mains
de fon ennemi. « Je crains , écrivit-il à madame
» de Maintenon, de marquer au roi trop de fou-
-o million , en donnant les pouvoirs à celui qui
» les mérite le moins. Je prie Dieu de lui faire 33 connoître le péril qu’il court, en confiant fon
» ame a un homme de çe caraélere. »3 v..
Quand les efprits -font aigris, les deux partis ne
font plus que des démarches fuoeftès. Des partions
du pere le Teilier, des évêques qui efpéroient
le chapeau j employèrent l'autorité royale pour enflammer
ces étincelles qu’on pouvoit éteindie. Au-
lieu d’imiter Rome, qui avoit plufieurs fo s impofé
fîlençe aux deux partis; au-lieu de réprimer un religieux
, & d’éconduire le cardinal; au-lieu de défendre
ces combats comme les duels , & de réduira
cous Ls prêtres , comme tous les feigne rs, à être
utiles fans être dangereux ; au-lieu d"accabler enfin
ies deux partis fous le poids dé la puiffance fuprême ,
foutenue par la raifon & par tous les magiftrats :
Louis XIV crut bien faire de folliciter lui-même la
fameufe conftitution , qui remplît le refte de fa
vie d’amertume.
Le pere le Teilier & fon parti envoyèrent à Rome
cent trois propofitions à condamner. Le faint office
en proferiv t ccnt &, une. La bulle fut don,
née au mois dé fep'embre 1713. Elle vint & fou-
leva contr’eile prefque toute la France. Le roi l’a-
voit demandée pour prévenir un fçhifme ; & elle
fut prête d en eau fer un. La clameur fut générale ,
parce que parmi res cent & une p> opofitions, il y en
avoit., qui paroiiïoirm à tout le monde contenir
le fens.le plus innocent , & la plus pure morale,.
Une nombreufe aiiemblée d’évêques fut convoquée
à Paris. Quarante acceptèrent la bulle pour le
bien de la paix ; mais ils en donnèrent en même
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temps des explications, pour calmer les ferupuïes
du public.
L’acceptation pure& (impie fut envoyée au pape;
ïfc les modifications furent pour les peuples. Ils
prétendoient par-là fatisfaire à la fois le pontife , lè,
roi. & la multitude. Mais le cardinal de Noailles „
& fept autres évêques de raffemblée qui fe: joignirent
à lui, ne voulurent ni de là bulle > ni de fes
correâifs, ils écrivirent au pape pour demander des
correctifs même à fa fàinieté. C’éroit un affront
qu’ils lui faifoient refpcéhieufement. Le roi ne le
fouffrit pas : il empêcha que la lettre ne parût,
renvoya les évêques dans leurs diocèfcs, & défendit
au cardinal de paroitre à la cour,
La perfécutipn donna à cet archevêque une nouvelle
con fi dé ration dans le public. C’étoit une véritable
diviffon dans l’épifcopat, dans tout le clergé
, dans les ordres religieux. Tout le monde
avouoit, qu’il ne. s’agi(Toit pas des points fondamentaux
de la religion; cependant il y avoit une
guerre civile dans les efprits, comme s’il eût été
queftion du renvertement du chriftianifme ; & on
fit agir des deux cotés tous les reiïorts de la politique
, comme dans l’affaire la,plus profane.
Ces reflorts furent employés pour faire accepter
la conftitution par la Sorbonne. La pluralité des
fuffrages ne fut pas pour elle; & cependant elle
y fut enrégiftrée. Le miniftere avoit peine’ à fuf-
fire aux lettres de cachet , qui envoyoient en pri-
fon ou en exil les oppofans.
Cette bulle avo’i été enrégiftrée au parlement,
avec la referve des droits ordinaires de la couronne,
des libertés de l’églife gallicane, du pouvoir
& de la jurifdidion des évêques; mais le cri
public perçoit toujours à travers l’obéiflance. Le
cardinal de Biffi , l’un des plus ardens défen-
feurs de la bulle, avoua dans une de f e s lertres,
qu’elle n’auroit pas cté reçue avec plus d’indignité
à Genève qu’à Paris.
Les efprits étoient fur-tout révoltés contre le
jefu’te le Teilier. Rien ne nous itrite plus qu’un
religieux devenu puiffant. Son pouvoir nous pa-
roît une violation de fes voeux ; mais s’il abufe de-
ce pouvoir, il eft en horreur. Le Teilier ofa pré-’
•fumer de fon crédit jufqu’à propofer de faire dé-:
pofer le cardinal de Noailles , dans un concile
national. Ain fi un religieux faifoit fervir à fa vengeance
fon roi, fon pénitent & fa religion ; & aVec
tout cela, j’ai de très-fortes raifons de croire qu’il
étoit dans la bonne foi : tant les hommes s’aveuglent
dans leurs fentimens & dans leur zèle l
Pour préparer ce- concile , dans lequel il s’agi
ffoit de dépoter un homme devenu l’idole de
Paris & de la France , par la pureté de fes moeurs ,
par la douceur de fon caraét're , &' plus encore
par la perfécuiion ; 011 détermina Louis XIV à
faire enregiftrer au parlement une déclaration ,
par laquelle tout évêque, qui n’auroit pas reçu
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, la bulle purement & Amplement, feroit tenu d’y
I fouferire , ou qu’il fenoit pourfuivi à la requête
du procureur-général, comme rebelle.
Le chancelier Voifin , fecrétaire d ’ é t a t d e Ta
guerre, dur & defpotique , avoit dreffé cet_ édit.
Le procureur-général d’AgueffeauV plus verfe que
le chancelier Voifin dans les loix du ^royaume»,
& ayant alors ce courage d’efprit que donne la
jeuneffe , refufa - abfolument ' d & S - e charger d'un«
telle pièce» Le premier préfidemt de Mefmes en
remontra au roi les conféquences. On traîna l’af-
Lire en longueur. Le roi étoit mourant ; ces mal-
heureufes difpptes troublèrent fes derniers momens.
Son impitoyable conRffeur fatiguoit fi foibleffe par
des exhortations continuelles a confommer un ouvrage
, qui- ne devoit pas faire chérir fa mémoire.
Les domeftiques du roi indignés lui refufèrent deux
fo:s l’entrée de la chambre ; & enfin ils le conjurèrent
de ne point parler au roi de la constitution.
Ce prince mourut & tout changea.
Le duc d’Orléans, régent ,du royaume, ayant
renverfé d’abord toute la forme du gouvernement de
Louis XIV , & ayant fubftirué des confeils aux
bureaux des fecrétàires d’érat, compofa un.cohfeil
de confeience, dont le cardinal de Noailles fut
le préfîdent. On exila le père le_ Teilier, chargé
de la haine publique & peu aimé de fes confrères.
Les évêques oppofés, à la biille , appellerait
à un futur concile, dût-il né fe tenir Jamais. La
Sorbonne , les curés du diocèfe de Paris , des
corps entiers de religieux, firent le meme àppel,
& enfin le cardinal de Noailles fie le fien eh 1717 >
mais il ne voulut pas d’abord le rendre public ,
on l’imprima malgré lui. L’églife^de France refta
divifée en deux fadions, les acceptans & les re-
fufans. Les accepta ns étoient les cent évêques qui
avoient adhéré fous Louis XIV avec les jéfuites
& les capucins. Les refufans é:oient quicze.évêques
& toute la nation. Les1 acceptans fe prévaloient
de Rome ; les autres des Univerfîtés , des parle-
mens & du peuple. On ‘mprimoic Volume fur volume
, lettre fur lettre ; on fe traicoit récipro-
quenient de fehifmatique & d’hérctique.
Un archevêque de Rheims du nom de Maillv,
grand & heureux parti'an de Rome , avoit mis
fon nom au bas de deux écrits que le parlement
fit brûler par le bourreau. L’archevêque l’ayant
feu - fit chanter un T e Deum , pour remercier
Dieu d’avoir été outragé par des fehifmatiques.
Dieu le récompenfa; il fut cardinal. Un évêque
de Soiffons ayant effuyé le même, traitement du
parlement , & ayant fîgnifié à ce corps que ce n’etoit
pas à lui de le juger, même pour un crime de
lèfe-majefté , il fut condamné à dix-mille livrés
d'amende; mais te régent ne voulut pas qu’il Yes
payât , de peur , dit-il , qu’il ne devînt cardinal