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ter ce furnom qui leur paroiflôit avoir quelque
chofe d’ignoble. C ’eft à moi , répondit Cicéron,
de le rendre aufli noble que ceux de Catulus &
de^ Sçàurùs\ en effet,ces derniers furnôms , ennoblis
par la gloire de ceux qui les avouent por-
tt>s » n’ étoienc aufli que d;s fobriquets, dont l’un
fignifie petit chien $ & l ’autre boiteux.
Des fes premières études Cicéron fut un objet
d’adm ration peur fes maîtres & pour fes compagnons.
Les pères de ceux-ci, avertis par leurs
enians, venoient contempler & fou vent envier ce
prodigejiaiflam; :1 embrafla tout, même laphüo-
lophie ; le droit & Péloquence l’occupèrent plus
particuliérement j fon goût pour la philofoph e fur-
tout fut une véritable paflion. 11 fe livra tout entier
auxleçons de 1 académicien Philon , que les troubles
de la Grèce, à l’approche de Muhridate, avohnt
force de qu.fer Athène-s, & de ù retirera Rome.
Totum Philoni me tradidi. Il lai fit d abord tous
les rapports qifont entre elles la diàleétique &
l'éloquence, les floicicns étoient ceux des philofôphes
qui cultivoient le plus la dialedique ; il prit parmi
e tx un maître, nommé DjoJote, avec lequel il pafla
fa vie, & qui mourut dans fa maifon.
Ses maîtres pour le droit furent les deux Scé-
vola, l’augure & le pontife, les* plus favans ju-
i.fconfu'tes & les hommes les plus vertueux de
la république. Il s’exerçoit à l’éloquence fnr toute
forte de fujets, il cempofoit en la tin, en grec ,
fuivoit tous les grands orareurs de fon tems, fai-
foic une amp e provifion & de connoiïïanccs &
d’ctùdes, bien réfolu d’arriver au harreau 3 orateur
tout formé , pourvu de toutes les reffouiçes du talent
& du t ava l , & non d’y venir bégayer comme
tant de cc mm encans , qui‘n’apprenant leur métier
qu'au barreau même, & n’étant jamais instruits
que par l'ufage_, le font toujours trop tard
& trop imparfa tement. Non ut in foro difeere-
Tiius y quod plerique fecerunt , fed ut 3 quantum nos
effiçere potuijfemus 3 dofîi in forum veniremus.
Ce plan lui réuflit, & ce fut avec le plus grand
éclat qu’il plaida fa première caufe considérable $
c’eft: celle de Rofcius d’Amérie , ( voyez cet
article ).
Un autre Rofcius, le comédien célèbre, [voyez
aufli fon article & les articles Rofcius Otkon , Ra-
birius , &c. ] lui révéla tous les fécrets de ce grand
art de l’aéHon ou de la déclamation dans lequel
Demoflhêne faifoit ccnfifter foute l’éloquence. Cicéron
& Rofcius s'exerçoient à. Pcnvi à rendre
une même penfée, un même fentiment, l’un par
les divers tours de phrafe qu'il pouvoir imagfner
l ’autre par la p!us grand® variété pcflible-de gef-
tes & de mouvemens.
L ’ardeur avec laquelle Cicéron fe livroit à tous
les tranlports de l’éloquçiice, parut d’abord me-
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nacer lï fo ïb le famé. Les médecins'l’avertirent
de le modérer, fes amis l’y exhortèrent, mais dût-
11 Pu',r.> comment renoncer à cette gloire qui le
couvroit_ déjà de fes premiers rayons, & qui lut
prefencou dans l’avenir la plus riante perfpeflive ?
taque cum me 6* amici & medici hortarentur, ut
caujus agerp dejîflerem , quodvls poti'us periculum
mi 1 udeundurtà, quam a fperatâ dicendi ’oriâ
recedendum putavi. Il ne put donc des confefs de
les amis & des ordonnances des médecins que
ce que le goût même lui en fit adopter, c’efl-à-
dire, qu il mit dans Ion débit moins d’impétuo-
fite , un feu moins continu, avec plus d'art, mieux
mefure foit fur fes forces , Toit fur les befoinv
de la caufe. Ainfî des intérêts même de fa faute
il tua de nouvelles perfêftions pour fon art. 11
j en“ re Four les intérêts de fa fanté un voyage
dans 1 Afîe Mineure, dans la Grèce & à Athènes,
voyage qu’il tourtia encore au piofit de l’éloquence
; il y vit les phi!orophes , les orateurs ,
les theteurs les plus célèbres du. pays; celui au-'
quel il s’attacha principalement fut Apollonius
iHolon, thodien, dont il avoit déjà pris des leçons
a Rome. Il lut un jour devant lui & devant
des auditeurs choi/îs un fort beau difeours qu’il avoir
compofé en grec. Tout le monde applaudit, mais
celui dont ilambitionnoit lur-toutle fuffrage , avoit
paru rêveur pendant tout le difeours , & gardoit
un lilence inquiétant à travers lequel on démê-‘
loit des apparences d’un chagrin décret. Cicéron
lui en demanda la caufe par intérêt pour' Apol—
Ion lus & pour lui même. Ah .Cicéron , répondit
Apollonius avec un foupir, le filence dont vous
vous plaignez, vous loue & vous admire encore
plus que leurs applaudiflemens ; mais je j ’avoue,
au milieu du plaifîr que vous me faifiez , l’amour
de la patiie eft venu me préfenter un fouvtnir
affligeant. Je plains le fort de la Grèce, elle a
tout perdu, il ne lui refloit plus que la gloire de
1 éloquence ; vous allez lui ravir ce dernier &
unique avantage, je vous vois déjà le tranfporter
tout entier aux Romains. Cette mauière d’applaudir
en valoit bien une autre.
Cicéron reconnoiflbit avoir en les plus grandes
obligations à ce maître , c’eft de lui qu’il apprit
a réprimer féyèrement les faillies les plus heu-
reufes de fon génie , à ne fe rien permettre d’étranger
à fa caufe, ni de fur-abondant, à fe renfermer
dans les bornes de fon lu jet comme un
fleuve bienfaifant dans fes rives.- 1s dédit operam.
f i modo id confequi potuit, ut nimis redundanles
nos & Jiiperfluentes juvenili quâdam impunitate 6*
licentiâ dicendi reprimer et & quafi extra ripas dif-
fiuentes coerceret. Cette fur abondance, ente ardeur
de jeunefle ne furent pas moins réprimées dans
fon débit que dans,, fa compoficion , & quand il
revint à Rome au bout de deux ans , fon ton de
voix étoit adouci, fen flyle plus fage, fon aftiou
plus modéiée & jufte ayec plus de fineffe.
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ï l fut nommé à la qucflurc l ’an de Rome WM
& il l ’exerça l ’année (uivante en Sicile. Cette
île avoit toujours eu deux quefleurs , l’un réfidoit
à Syracufe, l'autre à Lilybée ; ce dernier dépar
tement fut celui de Cicéron > il en remplit les
fondions, non-feulement avec une exadiiude re-
li^ieufc, mais encore avec une diftinftion qui lui
concilia dans l ’île l’eftime générale, & dont il
ne doutoit pas que le bruit ne fut venu jufqu’à
Rome, & n’eüt rempli toute l ’Italie. Il raconte
lui-même à ce fuj.t un peut fait qui rentre dans
la moralité générale du néant de Ja gloire. En retournant
à Rome, & en paffant par Pouzzole dans
la faifon où l’on y prendit les eaux , ce qui rafi-.
fembloit beaucoup de monde , il crut qu’il n’alloit
être queftion que de fa queflure & de la manière
dont il l’avoit remplie. Le premier homme de con-
noiffance qu’il rencontra lui demanda, quand il
étoit parti de Rome & ce qu’on y difoit. Je ne
■viens point de Rome, répondit-il afîèz mécontuit
d’un tel début, mais de la province ou fexercois
la quèjlure. — Oh ! oui , répliqua le queflionneur,
neft-ce pas de VAfrique ? Non c e fi de la Sicile.
Sans doute, dît un troifième qui voulut paroître
plus inflruit & faire rougir le premier de fon
ignorance , ne fave^ vous donc pas que Cicéron
étoit quefteur à Syracufe ? — Eh non , c efl a
Lilybée. De cette ignorance générale, effet de l’indifférence
des romains fur-tout ce qui fe pafloit
loin de leurs yeux & dont ils entendoient feulement
parler , il conclut qu’il falloic refter fous
leurs yeux , s’y produire & s’y reproduire tous
les jours ; & les occuper de foi fans cefle. Il
penfa comme fit depuis Horace, que c’ étoit les
yeux qu’il falloit frapper plutôt que les oreilles.
Segniüs irritant atûmos demijja per aurem
Quàm quee fant oculis fubjeRa fidelibus, & quas
Ipfe Jibi tradit fpeclator.
Cicéron avoit dit de même , populum romanum
dures hebetiores , oculos acres atque acutos ha-
bere.
Il fe fixa donc pour toujours à Rome & s’attacha
au barreau.
Ce fut pendant fa queflure de S ic ile , qu’il fit
la découverte du tombeau d’Archimède.
On vit dans une occafion éclatante combien
Cicéron avoit acquis la confiance publique dans
cette île ; ce fut à lui que les Siciliens, opprimés
par Verrès , curent recours pour obtenir
juftice j iis fe tranfporta lui-même fur les lieux,
y raflembla toutes les inftru&ions & toutes les
preuves dont il avoit befoin , & défendit fes
cliens avec autant de courage que d’éloquence,
il fit plus , il facrifia cette éloquence même a
l’intérêt de leur caufe , Verrès étoit fauvé , fi
le jugemeut de fon affaire pouvoit être diffété
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lufqu'à l*année fui vante. ( de Rome 683. ) il auroit
eu pour lui alors les deux confuls, dont l ’un, le
célèbre Hortenfius étoit fon défenfeur , l ’antre
Quintus-Cæcilius Métellus , étoit fon ami & lui
avoit obligation de plufeurs fuffrages que Verres
lui avoit achetés , Verrès auroit eu encore pour lui ,
le préteur de l’année , Marcus Mctellus , frère
de celui qui étoit nommé conful ; il ne cherchoit
donc qu’à différer , & il comproit que Cicéron
lui-même l’y aideroit par l’éclat & l’étendue que
fa vanité voudrolc donner à une caufe fi importante
; mais c’étoit dans les preuves qne Cicéron
avoit mis fa confiance ;-'l fe contenta d’un court
exorde pour expliquer les faits , & palTer tout
d’un coup aux dépofitions des témoins & aux
preuves, à la force defquelles il fut impoffible
de réfiffer. Ces belles harangues contre Verrès ,
chef-d’oeuvre de l’éloquence romaine , ont été
faites apiès coup, Cicéron ayant cru devoir faire
quelque chofe pour fa gloire après avoir fàti?-
fait à ce qu’exigeoit l’intérêt de fes cliëns. Qüoir
qffami de fon rival Hortenfius , il le^ fit rougir
d’avoir pu prendre la défenfe d’un feelerat , tel
que Verrès ; il lui cita l'exemple des grands
orateurs , leurs prédéceffeurs & leurs modèles ,
qui ne fe ohargeoient jamais que de caufes qu’ils
jugeoient juftes ; Hortenfius avoit poiifle la foible.lè
jufqu’à recevoir dès préfens de Verrès j ce
qu’on regardoit alors comme contraire a la
noblefle de la profeflion du barreau. On parlojt
1 d'un fphinx d’ivoire, ouvrage de prix, que Verrès
avoit donné à Hortenfius , & qui faifoit partie
de tant momimens des arts en tout genre cjpe
Verrès avoit volés aux Siciliens 3 Cicéron dans
un endroit de fon plaidoyer, attaqubit indire&e-
ment Hortenfius avec beaucoup de fineffe, celui-
ci feignant de ne pas l’entendre , répondit qu’il
n'avoit point l'art d’expliquer les énigmes. J’en
fuis furpiis répliqua Cicéron , car vous avez
chez vous le fphinx. Atqui debes , cum fpkir.gem
domi kabeas.
La diverfité des intérêts dans les affaires, foit publiques
, foit particulières, put en quelque' rencontres ,
répandre ainfî de légers nuages fur leur amitié, mais
cette amitié eut lé pouvoir de les difliper & la gloire
de triompher de la jaloufîe qu’ils pouvoient s’inf-
pirer l’un à l ’autre , en quoi il faut avouer que
le plus grand mérite paroît être du côté d’Hor-
tenfîus , qui ayant précédé Cicéron au barreau v fe
vit promptement & entièrement effacé par lui.
Cicéron“ parle honorablement de ce rival en toute
occafion, & après la mort d’Hortenfiusiî rendit
un noble témoignage à la noble amitié qui les
avoit unis.
» J’aî perdu , dit-il , non point un rival ja-
» îoux de ma gloire , comme quelques lins fe Pi^
« maginoient, ni'ais un compagnon fideîe dans
» des travaux utiles & glorieux. Dans la carrièré
D d d i