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de tout âge ,qüé la flatterie ou le devoir fe u lh ’ au- |f
J oit pas conduites jufques là , & donc les coeurs ,
déjà fi bien difpofés pour lu i , mais à l'attente def-
quels il falloit répondre , achevèrent d’être gagnés
par Ton abord facile , fes manières douces 6c aimables
, où la fîmplicité d'un particulier, la'fran-
chife d’un vieux guerrier fe joignoient- à la féré-
nité d’un empereur, venant après einquante-fix
ans de tyrannie rendre heureux des fujets long-
tems fes égaux. Toute la route depuis Brindes
jufqu’à Rome étoit bordée d’une foule de peuple ,
les acclamations le fuivoient par-tout. Domitien,
qui vint au-devant de lui jufqu’à Bénévent, le'
coeur encore plein de projets ambitieux & contraires
à Ion devoir, fut le feul que Vefpâfien distingua
par un accueil févère.
Il faifit d’une main fage les rênes Je l’empire
& fe livra tout entier aux foins du gouvernement.
Laborieux 8c appliqué , tous les jours éveillé de
grand matin, & dès fon réveil occupé d'affaires ,
il parvint a rétablir & revivifier toutes les parties
de l ’état 3 ébranlées & altérées parles convulfions
de la guerre civile. Jufte , mais ferme à l’égard
des guerriers , il les fournit à la plus exa&e aifci-'
pline , & ce qu’il avoit toujours fait étant général,
il le fit avec plus d’autorité encore étant empereur.
I l rendit au fénat & à l’ordre des chevaliers leur
ancien luflre , en les purgeant des fujets qui en
étoient l ’opprobre , & qui furent remplacés par
les plus honnêtes gens de l’Icalie & des provinces.
A peine avoit-il trouvé deux cent familles fénato-
riales, i l en augmenta le nombre jufqu’à mille,
6c créa aufii de nouveaux, patriciens. Il eut en
même tems la plus grande attention à renfermer
leurs privilèges dans les bornes légitimes 8c à maintenir
contre eux les droits naturels des moindres •<
cîroyens. Les tribunaux' étoient chargés d'une mul- \
tftude de procès, il les fit tous juger en très peu -
de tems, & en jugea lui-même une grande partie;
il parvînt à réformer le luxe des tables , .mais
comme le prince doit réformer le luxe, par (on
exemple. Il renouvella d’anciennes loix ou il en
fit de nouvelles pour le maintien ou le retabÜffe-
njent des moeurs. Les femmes libres qui fe prof-
tituoient à des.efclaves furent condamnées à la fer-
vitude ; vous l’avez cnoifîè, leur difoit-on j les ufu
riers qui prêtoimt aux fils de famille, & entre-
tenoient par-là leurs defôrdres , furent privés de
toute efpérance de payement, même pour le tems
ou les débiteurs feroient devenus maîtres de leur
pérfonné & de leurs' bieiis.
Ennemi mortel de la mollefie , qu’il regardoir
comme le figne & la caufe de la décadence des
empires , Vefpâfien vouloir fur-tout la bannir des
armées. Un jeune homme étant venu parfumé des
effences les plus exqu’fes, lui faire fes remerci- j
mens pour uh emploi militaire ou il venoit d être
nommé , faimer ois rnieux , lui dit Vefpâfien ; que
vous fentijfie£ l’ail., & il lui ota l ’emploi. Toujours
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fimple & amateur de la fimpliciié, né de parenÿ
pauvres dans la petite ville de Riéti, il conferva
toute fa vie une petite maifon de campagne qu’il
tenoit de fon ayeule, & il la conferva dans l ’état
où cette ayeule l’avoit laiffée. Attaché à d’anciens
meubles de famille , il ne les changea jamais. U
ne laiffoit ignorer à perfonne l ’obfcurité de foa
dr'iginè ; quand il fut parvenu à l’empire , des flatteurs
ne manquèrent pas de lui fabriquer une
fùperbc généalog’e , où ils le îaifolent defcendre
d’un dès compagnons d’Hercule , fondateur de
Rié ti, Vefpâfien’ fe moqua & de la généalogie 6c
des généalogiftes, & s’en tint à les païens connus»
Il triompha des Juifs, 8c il l ’a voit bien mérité,,
mais comme il avoit naturellement de l’averfion
pour le falle & l’éclat * la cérémonie l ’ennuya 8c
il s’cn expliqua franchement. « Je luis puni-comme
je le mérite, dît—i l , il me fied bien à mon âge
d’avoir defiré le triomphe, comme fi cet honneur
étoit dû à mes ancêtres , ou que j’eufîe. jamais été
dans le cas de l’efpérer. » Merito fe plefii qui trium
phum quafi aut débit um majoribus- fuis , a ut fperçi-
tum unquam fibi , tam inepte fenex concupijfet.
I c i , je l'avoue, V’efpafien me paroît trop modefte,
ou Suetone l ’-efl trop pour lui. Pourquoi donc V e f
pafien 3 général diflingué, qui avoit fait la guerre
avec gloire 8c avec fuccès, n’auroit-il Jamais été
dans le cas d’efpérer les honneurs du triomphe ,
s’il n’avoit pas été élevé à l’empire ? Je conçois
que le triomphe l’ait ennuyé , mais il n’a pas püt
s’en croire indigne. .-»»
Vologèfe, Fuivant l’étiquette parthîque & perfane,
lui ayant écrit avec cette fufeription : Arface, roi
des rois , à Flavius Vefpâfien, l'empereur fuivit
dms fa réponfe la même étiquètte : Flavius Vef-
pafien , à Arface, roi des rois. C’étoit affurémènt
la plus forte critique de cette étiquette altièrp de
l ’Orient. On dit que Philippe I I , roi d’Efpagne ,
dafis une lettre qu’il écrivoit à Henri IV , avoit
joint à fon titre de roi, l ’énumération de tous fês
royaumes, c’efi - à - dire de toutes les provinces
d’Efpagne , 8c que Henri I V , dans fa réponfe ,
s’intitula : bourgeois de Paris & feigneur de Goneffe ,
en répétant d’ailleurs par contrafte, l'énumération
de tous les royaumes de Philippe , le trait eft pliis
plaifant , mais la dérifion eft plus marquée.^
Vefpâfien vivoit familièrement avec les fénateurs»
alloit manger chez eux comme ils venoîent chez
.lui ; toujours fimple citoyen dans fes manières ,
8r empereur feulement par fon dévouement au
bien public ; n\ ne difb.it pas :
Suis-je leur empereur feulement pour leur plaire !
Il croyoit ne l’être qùë pour les rendre heureux.
Il n’y avôit point d’honneur qu’il ne prodiguât
au fénat en corps* Affidu à toutes fes affemblées.
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il le confultoit fur toutes les affaires j il fe eon-
ccrcoic avec lui fut toutes fes démarches, 8c
quand la fatigue ou quelque indifpoficion l’eco-
pêchoit de traiter en perfonne, avec cette compagnie
, c’étoient fes fils qui lui fervoient d’intei-
prètes.
Lorfque Titus eut pris Jé^ufa’em, il paffa en
Egyprc , il y fit la cérémouie de la confécration
du boeuf Apis , où il porta le diadème, pour le
conformer au rit ancien. Il lut que cette circonf-
tance avoit été empoitonnée , qu’on l’accufoit de
chercher à fe faire, dans l’Orie t , un écabliflc-
ment ind pendant , 8c qu’en a'oie efiayé de fore
cntrei quel ues foupçons dans l'cfpr t de fo • père 5
il accov rt aufli-tô a Ro e , vi nr fe ranger auprès
de lui, 8c le foumettre à fes ordres. Vespafien
fcnt.t toute la franchi c de ce procédé ; il partagea
l’honneur du triomphe avec lui ; car fi
Vefpâfien avo c fournis la Judée , TitU' ayoic
pris Jérufalem ; il affocia T iu s à la cenfurc, à la
puiffanre tribunitienne , à tout ; il le prit pour
collègue da s fept ccnfulats ; il le f it , à tous
égarés, fen p cm tr minftie, 8c confiant à fon
fucccffeur le foin de fa fureté perfon elL 8c de fa vie,
il le fît même préfet du prétoire & coinmandant-
géné al d>- fa ga de.
Plein de confiance dans' fes fujets, comme fes
fhjets ét-'ient peins de confiance dars fes vues
fup rieures 8c dans fies bontés pa ernel es , il abo ic .
même pendant que la guerre civile duroit enco e , la
hoiueufe coutume de vifi er 8c de fouiller ceux qui
Youlcicnt aborder l’cnapereur.
Je vois avec mépris ces maximes terribles
Qui font de tant de rois des tyrans invifiblci.
Les portes de fon palais étoient toujours ouvertes ,
8c Dion dit positivement qu’elles n étoient point
gardées.
Le fi upçon entroit difficilement dans fon ame ,
la fuperflition en étoit à jamais bannie. Des af-
trol« gués de fes amis l’avertirent de fe défier de
Meti s Pompofia: us , pa ce qu’il étoit né, diTieut
il , fous une conjenétion des aftres qui lui pro-
mettoit '’emyùre ; Vefpâfien le fit co fui : vous
voyez, dit il à ces aftiologucs, que je ne néglige pas
vos avis , s’il dev ent empereur , il le fouviendra
que je 'ui ai fait du bien.
Plein de refpett 8c d’amour pour l’humanité ,
les fpeétacles cruels , les combats de gladi reurs
le révo toienr, 1 s fupplices même les p us juftes J
Jhji arrachoiem des larmes 5 ii l’on en v t que ques- !
Uns, même d’injuftes , fous ce règne, comme j
celui d Sabm s & d’Eponiiie, (voye^ i’ar'uL |
SaBinus ) comme la mort du dur, mais ver ueux j
Htlvidiu» Piiicus , L’hiitoirc en a îejetté la h a i n e >
v e s m '
fur le vicieux Mucien qui lui avoir, difoit-il,
donné l’empire qu'il auroit pi» tetenir pour lui-
même, 8c à qui la reconnoiffance laiffa long-tcmft
une grande partie de l’autorité fuprême.
Le reffentiment 8c la vengeance éto‘ent de*
mouvemens étrangers à l’ame de Vefpâfien 5 il
maria 8c dota la fille de Vhellius, fon concurrent.
( Voyef l’arti. le V itellius ) Lorlque Vefpâfien
avoit été difgracié , lot.s Néron , pour n’avoir
pas affez goû. é fes vers , « t . our avojr encore moins
goûté l’ufàge fi cher a Néron, de jouer publiquement
fur le théâtre , cornue aéteu & comme
muficien, ce qui lui par if! it indigne de la
majèfté de l’empire, un miférab^c affranchi de
Néron qui rempliùoit ’office ’huffier de la chem-
bre , avoit inluté à -a. d»fg ace de ia manière la
plus brou le j Vefpâfien dem ndeit à cet homme
ou devant lu i, en quel neu il fallo t q .’il fe
reirâc, ad furcas , jépondit Phebus ( c’étoit foa
nom) avec toute l’infi.lence d’un valet de cour,
qui par e à un h'mme ch .lié de la cour. Q and
Pheb<.$ vit ce proferit devenu cnpereur, l’effroi
le faifit 8c lui infpira l'audace de le préfente de-
v-nt lui pojr lui faire fia cour, 8c 1 i d mander
pa-don. Du plus loin que Vefpâfien l’apperçuc , ad
furcas , lui dir - il avec un fourire qui a tclloit à
la foi< 8c fon fouvenir 8c fa clémence.
Le ftoïcifme étoit devenu trop républicain pour
être toléié dans un gouvernement monarchique , il
d-généroit abf>lum^nt en cynifme ; Ls crimes des
Caiigula 8c des Néron avoient diffamé aux yeux
de la philofi phie, 1 autorité abfio uej c’éroit l’cffwr naturel
di/taot d'horreurs dont on venoit d’être témoin
8c dent l’imagination étoit encore toute effrayée 5 les
philofophis de ce temps, qui peut-être ne l’étoient
pas affoz, au lieu d attribuer ces horreurs au caractère
particulier de tel ou rcl empereur , en accufaient
ia conffituti n et propof ient de la changer ; mais
les efpTcs n’étoient pas difpofés > iors à un tel chan»
ment ;on avoi' ép ouvé fucrcffivement lesabu^ des
divtiS régimes 8c on en é oit préfqu également frappé,
on crut donc pour lors devoir s’en tenir au régime
établi, le p^rfedionner, le îeffreindre, le modifier,
mais en eonferver l’elfence. Le gouverneme t monarchique
, étoit, difoit-on, e fi ul qui cj. nvînt alors
à Rome ; en c.oycit ;-’en être alluré par de p:ofondes
médi atiens atpuyécs des exemples que iourniiioit
rhiftoire. DaiUeurs on efpéroit iput de Vefpâfien, le*
philofophcs iioïciens, difoir-on , ne vouloient pa*
voir c- mbien ce prince était différent de fes prédé-
ceff u;s, combien fon adminiftration étoit paternelle
; ils ne confidéroiem pas ce qu’il étoit, mais
ce qu’avoient été les autres ; en conféquence , les
k'çïxi s pu liques de ces 't hilofophes étoient devenues
des déclamations f-diti ufes contre le pouvoir
d’un fcul ; la douceur même du gouvernement de
Vefpâfien , la tolérance qui en formoic le caraftèrc
principal, ce faifoit que les enhardir par l’impu