
facilite avec laquelle ce roi eft pris ainfi que toute fa
tour, tant de: promptitude ^ défuecès de la part du
Vainqueur, tant de négligence & de malheur de la
part du vaincu ; tout cela n’a pas le degré de vrai-
femblance qu’exigeroit la févéi ité de l’hiftoire, & rien
neit plus propre à confirmer l’opinion de ceux qui
regardent la Cyropédie comme un roman moral. Pour
comble, d’à propos romanefque , Tigrane , fils aîné du
j?a ^ Arménie * arrive au moment où fon père venoit
, tret fait pirifonnier ; il revenoir d’un voyage, 8c
navoit aucun foupçon d’une rupture entre l’Arménie
». ; ,er^e ou % Médie : ce fpeéîacie l’afflige autant
qu il l’étonne. Gyrus, pour le confoler, lui dit avec
une- gaîté aflez féroce : Prince, vous arriver à propos
pour ajjifter au procès de votre-père. En effet , il'lui fait
ion procès en préfence des capitaines Perfes & Mèdes ,
en préfence même des grands d’Arménie ; & par une-
juite, dinterrogatio s captieiifes. & fophiftiques, il
I amena a convenir auM a mérité la mort, comme fi
un fouverain peuvoit mériter la mort pour avoir
youiu s affranchir d’un tribut. On reconncît ici dans
Xenophon , auteur de la Cyropédie, un difciple de
Socrate, la manière dont Cyrus tire du roi d'Arménie
un aveu dont celui-ci étpit d’abord bien éloigné,
eft parfaitement dans la manière: de Socrate, & c’eft
bien moins l’art de faire accoucher les hommes de
jeprs penfees , comme ie difoit ce philofophe, que
l ’art de leS faire accoucher de la penfée de celui qui
les interroge & qui dirige de loin leurs réponfes par
interrogations. Tigrane, de. fon côté, par une
fuite, de raifonnemens auffi un peu fophiftiques, mais
m montrent une belle ame, prouve à Cyrus qu’il
eft de fon intérêt de rendre à fon père & la vie &.
fes femmes, <$c fes enfans 8c fon royaume, parce
qu’après une telle leçon fuiyie d’un tel aéle de cié-
pience , le roi d’Arménie redoutera toujours le prince
invincible qui. a pu fi facilement le détrôner, &
chérira toujours le prince généreux qui l’aura fi no-
blement rétabli. Cyrus goûta ces, raifonnemens i
plus encore ces fentimens , & il fe mit à parler des
rançons. Que medonneriez-vous, dit-il au roi d’A r-
menie, pour là rançon“ de la raine vôtre femme ? — -
Tout ce qüe je poisède. — Et pour celle dé vos
enfans ? ■— La même chofe. Ici Cy rus ou Xénophon
ne peut encore fe refùfer une petite fubtiiité foci a-
tique. Vous voilà donc redevable envers moi , dit
Cyrus, du double de ce que vous poffédez. Et vous,
prince , ajoutait il, en s’adreiiant à Tigrane:, de combien
rachèteriez vous la liberté de votre1 femme ?— -
£>e m lie vies , fi je les a vois, s’écria-r-U avec tranf-
port, car il en étoit éperduernent amoureux- Cette
. ïcene finit par un grand feftin ase-donna- Cyrus au
roi d’Arménie, à toute fa famille, & aux grands des,
trois royaumes. Au moment de la réparation , il les
embraffa tous pour marque d’une parfaite réconciliation
& d’une union fincère , &. les iàiiTa péné.rés
d’admiration & de reconnoifiance. Le roi d’Arménie
& fa famille & fa fuite, en retournant chez eux , ne
pou voient parler que de lui, & ne fe lafloient pas de
ç z lé b t e r fes louanges ; les uns yanîojeqt fa feptfe ,
dantres fon courage, -d’au»res fa grandeur cPamé J
d autres fa bonne mine, f o n air ferein , fon port majef-
' tü2tix. Que vous femble de fa figure , demanda
| Tigrane à fa jeune époufe ? — Je n’y ai pas fait attention
, dit-elle. —« Eh 1 quel pouvoir donc être l’objet
de votre attention ou de votre dift aefion, s’écria-t-il
avec étonnement ? ~—— C-lùi qui difoit qu’ il donnerait
mille vies pour racheter ma liberté» Cette charmante
reponfe fut la rccompenfe de Tigrane.
Tous ces faits peuvent n’être que romanefqües ;,veti
voici un qui femble n’avoir pu être rapporté que parce
qu’il étoit ou vrai ou au moins a’iégorique. Cyrus
ne voyant plus auprès de Tigrane un gouverneur qu’il
y avoit vu autrefois, 8c qui avoit mérité fon .effime ,
lui demanda ce qu’il etp.it devenu ; Tigrane fe troubla,
& parut embarrafie : il avoua enfin à Cyrus, en grand
Lcret, que le roi fon père voyant fon attachement
' pour ce gouverneur, en avoir été jaloux, & l’avoit
fait périr; il ajouta que ce vertueux gouverneur lui
avoit dit en expirant : » pardonnez ma mort à votre
” père comme je la lui pardonne ; fon injuffice à
” nion égard ne vient point de méchanceté , mais
«dune prévention aveugle dont il. n’a pu fe dé-
» fendre, » Cyrus , attendri par ce récit., donna des
larmes à la deftinée du gouverneur , & dit à Tigrane :
rioublie^ jamais le dernier mot d’un tel ami.
M. le comte de Trefville -, cité par' M . Rollin,
croyoit ce fait allégorique ; il jugeoit que Xénophon
avoit voulu peindre ici la mort de Socrate, que l’attachement
& l’admiration de la jeuneffe d’Athènes
avoient rendu fufpecl à l’état , & qui avoit fubi fon
lort non-feulement fans fe plaindre , mais en plaignant
. même ceux.qui l’immoloient. L’idée eft ingénieufe ;
mais avec de l’efprit que n’exphquera-t-on pas par
' des allégories? L’Àrménie fut fidelle à l’alliance de
Cyrus , & Tigrane commanda foes lui les troupes
Arméniennes.
z*. Le plus célèbre des Tigrams d’Arménie, eft le
gendre'de Mithridate , qui. fit avec lui la guerre aux
Romains ;• il écoit fils d’un autre Tigrane, auffi roi
d’Arménie. Il avoit éié donné en otage aux Parîhes
pendant la vie de fon père ; il fut relâché à fa mort,
arrivée l’an 395 ava h J. C. & fit avec les Parthes un
traité par lequel il L-ur cédo.u des places & des pays
à leur benféance. Les Syr.ens, , las des guerres civiles
qu’excitoient continue-lrinent chez eux les princes
de la maifon de Seleucus, offrirent leur couronne à
Tigrane, qui l’accepta & rir. la por a dix-huit ans ;
il gouverna la Syrie pendant quatorze ans par un
Vioeroi.
Ce fut ce Tigrane > qui le premier réunit l’Arménie
entière , partagée julqu'alors entre divers princes ; il
y joignit plufieurs des pays vuifin.- fournis par fes
.. armes, & en forma un royaume puiffant. Avant lui ,
l'Arménie avoit été toujours ou foir.de ou dépendante.
Elle avoit d’abord appartenu aux Perfes , puis aux
Macédoniens ; après la mort d’Aléxandre, elle avoit
fait partie du royaume de Syrie. Deux généraox 4’Anijochus le Grand , apparemment gouverneurs
d’Arménie , A rtaxius 8c Zadriadès, s’établirent dans
eette province avec la peun'ffion de ce prince , 8l la
gouvernèrent avec une autorité prefquë fou ver aine ;
après la défaite d’Ar.ticchus , ils s’attachèrent aux
Romains , qui les reconnurent pour rô;s ils avoient
partagé l'Arménie. Tigrane , defeendu d’Artsxius , la
réunit & l’egg andit, comme nous venons de le dire.
Le fameux Mithridate , roi de Pont, cherchant partout
à fiifciter aux Romains des ennemis puiffans , lui
donna eh mariage Cléopâtre, fa fille, & ils partagèrent
d’avance ks cqn uê'es qu’ils fe propofo .eut’de
faire. Tigrane clépôu.lia de la Cappad.oce, Aridbarzane,
protégé dos Romains , 8c y rétablit un fils de Mithri-
. date , nommé Ariarà'the. C e fur Tigrane qui bâtit
la ville nommée de fon nom Tigranocerte-, & qui en
fit la capitale de fon royaume. Oit te ville étoit peu
peuplée , 8c les états en général manquoient d habi-
tans : aü’ffi dans .fon partage avec Mithridate fe fit-il
«donner lés hommes au lieu du butin ; il traniplanta
chez lui trois cents mille Cappadoctèns, & continua
de peupler fes états aux ’ dépens ‘ des états conquis.
. Mithridate ayant été vaincu par Lucullus, fe retira
chez Tigrane forç gendre , où Lucullus l’envoya redemander
par Appius Clodur. Tigrane étoit alors au
comble de la puiffance & de la gloire , c étoit le
plus grand monarque de JA fie; c’étoit à luiqu’avoit
paffe ce titre faftueux de roi d e s 'r o is ; il avoit conquis
la Syrie & la Pakffine , dompté les Parthes,
fournis- les Arabes &c. Çe fut' à l’audience de ce
prince, qui voulut y paroître dans tout l’éclat de la
majefté royale 8c du luxe afiatique , qu’Apprus Clo-
dius vint redemander M.thridate avec cette hauteur
impérieufè fi ordinaire aux Romains 1 cette hauteur , :
que perfonnë ne s’etoit jamais permife à fon égard .
lui parut bien érrange il eut même la fatuité d’être'
blelîé de ce qüe Lueüllus, dans la lettre qu’il lui avoit
écrite,, ne luii donnoit que le fimple titre de roi,-
comme s’il n’tût été qu’un roi ordinaire , lui qui
commândoit à des rois , & qui fe faifoit fervir par
eux comme par des efeiaves ; qui, dans les cérémonies
publiques, en avoit toujours plufieurs rangés
en haye autour de fon trône , prêts à recevoir fes .
ordres & à lui rendre les fèrvkes les plus vils. Dans .fa
répônfe au général Romain , rl n’ajôuta aucun titre à
ce nom de Lucullus y qui en effet n’en avoit pas befoin ;
il relia fa , comme on peut le croire , de remettre
Mithridate ; & fur ce refus, Tambaffadeur Appius
Clodius lui déclara l'a guerre. De ce moment, Tigrane
rendit à fon beair-père les honneurs qu’ il liai devoit p
wilques- là il l’avoit traité avec mépris 8c arrogance r
P'avoit' tenu éloigné de lui, le faifànt garder comme un
prifonnier d’état.
Pendant que les flateurs de Tigrane lui djfoient que
Lucullus leroit bien téméraire s’il ofoit feiifement l’attendre
à Ephèfo ^Lucullus ayant pris Sinqpe & Ami lias
fur le pont Euxin , traverfoît la Cappadoee paflbit
l’Euphrate 8c le T igre,. & s’avançoit à grandes, journées
vers Tigranocerte. Le. premier qui ofa donner
avis à Tigrane de cette marche de Lucullus, apprit à
fes dépens ce que c’eût que de dire la vérité à uii
defpôtô , i) fut misa mort : cepend^at Lucyllus avançant
toujoürs,, & touchant déjà pour a nfi dire aux
portes du palais, les coùrtifons trtmbl.ans, engagèrent
Mithrobarzane'^, un ' des favoris dû prince , à
prendre fur lui d’annoncer cette nouvelle' ; Tigrane,
pour toute réponiè , lui donna ordre d’an'.ener Lucullus
prifonniér , .ommë il auroiè ordonné d’arrêter.le
moindre de fes fl jets ; Mithrqbarzane j en eff'ayant
de' remplir fa dangei’eufe & difficile comra ffion ,fu t
tàilié en pièces avécr ce qu’il avoit pii raffembler de
troupes à la hâte,
Tigrane commença enfin à comprendre que.l’affaire:
étoit lërieûfe ; il fortit de Tigranocerte, mit le Monc-
Tauius entre le vainqueur 8c lui , raflèmbla
autour lui fes innombrables tFoupes. Lucullus, pour
l’attirer au combat, aiiiègea Tigranocerte. Mithridate ,
- quifavoit mieux que Tigrane , comment il fallait’ faire
; la guerre aux romains , envcÿoit de fon royaume-
de Pont où il étoit allé faire deS levées, couriers
fur couriers à fon gendre, pouf ; ldi recommander
d’éviter la bataille , 8c de fe lervir feulement de fa.
■ cavalerie pour couper les vivres à Lucullus ; les*
Courtifans de Tig/ane attribuèrent ce confeil de;
Mithridate, à une iècretre envie des la gloire dont
Tigrane allait le'couvrir; ôh le hâta donc dé livrer
bataille avant l’arrivée de Mithridate y pour le priver
de la part qu’il -auro t pu avoir ou prétendre à. une
; viétoire qu’on regardoit comme infaillible , même1 fans
fon feçours. L’armée de Tigron? ;-ér©if -1^ .de
trois cents mille hommes, Lu cuti us n’en, avoit pas trente-
; mille, . Cette poignée de iponde excita la ri fée de-
Tigrane. Il n”y eut pas un .de les eour.qfans oiî de
ces rois , efeiaves attachés à fa fuite , ( ur (je demandât
. en grâce d’être chargé foui d’aller châtier eette petite
1 troupe d’infoler-.s &c ür.n‘enfés. S’ ils viennent comme:
i arnbaffadeurs y dit. agréablement Tigrane , ils font\
■ beaucoup -, j j c'èfi comme ennemis 7 franchement ils font'
bien peu.
Et flatteurs- d’applaudir^
Une rivière féparoit les deux armées, LuculTtis %
étant forti de fes retranchentns’r parut , vouloir s’ëloigne
h & précipiter fa marche,; T n ’alloit aue chercher
* un gué, commode 6c .qu’il .avoit fat reconnoître^
Tigrane ne doutant pas qu’il, ne- cherchât à lui
échapper r appelîa Tax le , un des géi;éiaux de
Mithridate ,, que ce . prince lui avoir envoyé pour
le détourner de livrer bataille , Taxile ne flattait,
point Tigrane ,.. ne décriait poim des ennemis redoutables,
8c avoit fouvent. parlé avec effime des légions;,
romaines venez x lui dit Tigrane avec un-, ris ir.a*-
queur, venez voir fuir ces invincibles légions rcmaioeSr
» Je fouhaiie, reprit Taxile , que la fortune da
. » Votre Majefté faffe aujourd’hui ce miracle ,, mais ce
« n’eft point là la démarche de gens qui fùyent,
E.n effet on i vit bien-tôt les-légions s’avancer en hors
ordre & marcher à. l’attaque,, Qjm l •s’ectia Tigrane a,
nè pouvant revenir de fà furprife '. Quoi ! ces gen<£
làvùnnmt à nous 1; Lucullus monte, for une. uninar. jg. ^