
De retour à Rome l’an 683-, fa fa&îori fe réunit
à celle de Pompée ; & comme il avoir pâlie par
la charge de préteur , il fut élu confuL On défera
la même" dignité à Pcmpée , quoiqu’il ne fut
que fimple chevalur , qu’il n’eûc pas été feulement
quefteur & qu’à peine il eut trente - quatre. ans :
njais fa haine réputation & l'éclat de fes vi&oires
couvrirent ces irrégularité* > on ne crut pas qu’un
citoyen qui avoir: été honoré du' triomphe, avant
^ l ’âge de vingt - quarte ans & avant que d’avoir
entrée au fénat, dût être aflujecti aux règles ordinaires.
Il fembloit que Pompée & Crafîus euflènt renoncé
au triomphe, étain eirrés dans Rome pour
demander le confulat ; mais , après leur éicêHan ,
on fut furpris qu’ils prétendiflent encore au triomphe
, comme s’ils étoient reliés chacun à la tête
de leurs armées. Ges deux hommes également ambitieux
& puiiîans vouloient retenir leurs troupes-
moins pour la cérémonie du triomphe,, que pour
oonferver .plus, de force & d’autorité JL-’ûn contre
l ’autre. Crafîus . pour gagner l'affêdion du peuple,
fit dreflër mille table-s où il traita toute la ville , & fit
diflrihuer en même tems aux familles du petit peuple
du blé pour les nourrir pendant trois mois. On ne
fera pas furpris de cette l ’béralité, fi l ’on confédéré
-que Crafîus regorgeoit de richeffes, & pof-r
fédoit la valeur de plus de fept mille ralens de
bien , c’eft-à-dire plus de trente millions de notre
monnoie ; & c’étoic par ces fortes de dépenfes
publiques que les grands de Rome achetoient les
fuffrages de la multitude.
Pompée de fon côté, pour renchérir fur les
bienfaits de Cralfus, & pour mettre dans fes intérêts
les tribuns du peuple, fit recevoir des loîx
un p*us grand nom que les Romains î\o fouh'iito'ent,
Si. qu’il n’avoir oie Jui-mçme efpérer, *
Dans ce haut dégré de gloire où la fortune le
; condüifrc comme par la main , il crut qu’il étoit
de fa dignité de fe familiarifer moins avec fes
concitoyens. 11 parodfoit rarement en public 5 &
s’il fortoit de fa maifon , on le vôyoit toujours ac-
' compagne d'une foule de fes çreaturess, dont ée
cortège nombreux reprçfentoic mieux la. cour d’un
grand prince, que la fuite d’un citoyen de la république.
qui rendoient à ces mâgifîrats toute l ’autorité dont
ils gyoîent été privés par celles de Sylla.
Enfin ces deux hommes ambitieux fè réunirent,
s’embraffèrent ; & aptes avoir triomphé l'un &
l ’autre , ils licencièrent de concert leurs armées.
CaraSlère de Pompée. Mais Pompée attira fur 1
lu i , pour arofi dire , les yeux de tonie, la terre.
C ’étoit, au rapport de Cicéron , un perfonnage né
pour toutes les grandes chofes & qui pouvoir atteindre
à la fuprême éloquence , s’il n’eût mieux aimé
cultiver les vertus militaires , & fi fon ambition
ne l ’eût porté à des honneurs plus brillans. Il fut
général avant d’être foldat, & fa vie n’offrit qu’une
fuite continuelle de vido res. I l fit la guerre dans
les trois parties du monde, & il en revint toujours
victorieux. Il vainquit dans l’Italie Carina &
Carbon du parti de Marius ; Domitius, dans l’Afrique
; Sertorius , ou pour mienx dire Perpenna ,
dans PEfpagne ; les pirates de.Cilicie fur la mer
Méditerranée ;& depuis la défaite de Catilina , il re-
vinc à Rome vainqueur de Mithridate & de Tigrane.
Par tant de victoires & de conquêtes» U acquit j
Ce n’eîl pas quJil abusât de fon pouvoir ,
mais dans une ville libre on voyoic avec peine
qu’il affeCtât des manières de fimverain.
Accoutumé dès fa jeuneffe au commandement des
armées, il 11e pou voit fè réduire à la fimplicitd
■ d’une vie privée. Ses moeurs à la vérité étoient
pures & fans tache : on le louoit même avec juf-
tîce de fa tempérance ; perfonne- ne le foupçonna
jamais d’avarice, & il recherdhoit moins dans les
dignités qu’il briguoit, la puiffance, qui en eft infé-
parable , que les honneurs & l ’éclat dont elles
étoient environnées.
\ Deux fois Pompée retournant à Rome , maître
d’opprimer la république , eut la modération de
congédier fes armées avant d’y entrer, pour s’af-
lurer les éloges du fénat & du peuple ; fon ambition
étoit plus lente & plus douce que celle de
Céfar, il afpiroit à la dictature par les fuffrages
de la république 5 il ne pouvoir conféntir à ufurper
la puiffance , mais il auroit défîré qü’on la lui
remît entre les mains« M vouloir des honneurs
qui le diftinguaffent de tous les capitaines de fon
tems.
Modéré en tout le refie , il ne pouvoir fouffrir
fur fa gloire aucune compâraifon. Toute égalité
le bieffoît, & il eût voulu ce fimble, être le feul
général de la république, quand il devait-fe contenter
d’étre le premier. Cette jaloufie du commandement
lui attira un grand nombre d ennemis ,
dont Céfar , dans la fuite , fut le plus dangereux
& le plus redoutable ; l’un ne voulut point d’égal ,
comme nous venons de dire 3 & l'autre ne pouvoit
fouffrir de fupérieur. Cette concurrence ambitieufe
dans les deux premiers hommes de 1 univers caufa
les révolutions , dont» nous allons indiquer l ’origine
& les fuccés à la fuite du portrait de Céfar.
Caractère de Céfar. Il étoit né de l’ihuflre famille
des Jules , q u i, comme toutes les grandes
maifons, avoit fa chimère,en fe vantant de tuer fou
origine d’Anchife & de Vénus. C ’étoit l ’homme de
fon tems le mieux fait, adroit à toutes fortes d’exer-.
cices, infatigable au travail, plein de valeur , &
d’un courage élevé ; vafte dans fes defleînc, magnifique
dans fa depente, & libéral jufqu’à la pro-
fufion. L a nature, qui fembloit l’avoir fait naître
pour commander au telle des hommes-, lui avoit
donné un air d’empire » & de la dignité dans fes
manières. Mais cet air de grandeur étoit tempéré
bar la douceur & la facilité de fes moeurs. Son
éloquence infirmante & invincible étoit encore
plus attachée aux charmes de fa perfonne, qu’à
la force de fes raifons. Ceux qui étoient affez
durs pour ré' fier à l’impreflion que faifoient tant
d’aimables qualités, n’échappoient point à fes bienfaits
: il commença par gagner les coeurs, comme
le fondement le plus folide de la domination à
laquelle il afpiroit.
Né fimple citoyen d’une république, il forma,
dans une condition privée , le p'ojet d’alfujettir
fa patrie. La grandeur & les périls d’une pareille
entreprife ne 1 épouvantèrent point. 11 ne trouva
rien au-deffus de fon ambition , que l’étendue
immenfe de fis vues. Les exemples recens de
Marius & de Sylla lui firent comprendre , qu’il
n’étbit pas impoflible de s’élever à la fouversine
puiffance: mais fage jufque dans fis défit s immodérés
# il diflribua en différens tems l’exécution
de fes defïeins. Doué d’un efprit toujours jufte ,
malgré fon étendue, il n’alla que par degrés au
projet de la domination ; & quelque éclatantes
qü’àyênt été depuis fes viéloires, elles nedoivent palier
pour de grandes adions, que parce qu’ëlles-furent
toujours la fuite & 1 effet dè grands dëffeins.
A peine Sylla fut-il mort, que Céfar fe jetta
dans les affaires : il y porta toute fon ambition.
Sa naiiïànce , une des plus illuflres de la république
, devoit l’attacher au parti du fériat & dè
la nobleffi ƒ mais neveu de Marius & gendre de
Cinna, ilfe déclara pour leur fa&ion, quoiqu’elle
eût été comme difTipée depuis la dictature de Sylla.
Il entreprit de relever ce parti qui étoit celui du
peuple , & il fi flatta d’en devenir bientôt le
chef, au lieu qu'il lui auroit fallu plier fous l’autorité
dé Pompée j qui étoit à la tête du fénat.
Sylla avoit fait abattre pendant fa diélature les
trophées de Marius. Céfar ri’étoit encore qu’édile,
qu’il fit faire fecretement par d’excellens artifies
la fl a tue dé Marius , couronné par les mains de
la victoire. Il y ajouta des infcr'ptions à fon honneur
, qui faifoient mention de la défaite des
_ Cimbres, & fit placer de nuit ces nouveaux trophées
dans le capitole. Tout le peuple accourut
en foule le matin pour voir ce nouveau fpedacle.
Les partifans de Sylla fe réciièrent contre une
entreprife fi hardie j on ne douta point que Céiar
in’en fût l’anteiir. Ses ernemis pubiioient qu’il afpiroit
à la tyrannie, & qu’on devoit punir un
homme qui ofoit de fbn autorité privée relever des
trophées, qu’un fouverain magiftrat avoit fait abattre.
Mais le peuple dont Marius s’étoit déclaré pio-
tcâeur, donnoit de grandes louanges à Céfar, &
d'foit qu’il étoit le feul qui, par fon courage méritât
de fuccéder aux dignités de Marius. Audi
les principaux de chaque tribu pe furent pas long-
tenis fans lui donner des preuves de leur dévouement
à fes interets.
Apres la mort du grand pontife Métellus , il
obtint cet emploi , pafia avec facilité à !a préture,
& en fortant de cetre charge , le peuple lui déféra
lé gouvernement de l ’Efpagne.
Céfar en pofTeflion de ce gouvernement, porta
la guerre dans la Galice & dans la Lufitanie , qu’i l
fournit à l’empire Romain ; mais dans cette conquête
il ne négligea pas fes intérêts particuliers
II s’empara, par des contributions violentes , de
tout l’or & l ’argent de ccs provinces , & il
revint à Rome chargé de richeffès, dont il fe
fervit pour fe faire de nouvelles créatures , par
des libéralités continuelles ; fa maifon leur étoit
ouverte en tout tems ; rien ne lèur étoit caché
que fon coeur, toujours impénétrable même à fes
plus chers amis. 1
. On ne doutpit, point qu’il.ne fe; fut mis à, la.
tête de la conjuration de Catilina , fi elle eût réufii $
& ce fameux rebelle qui croyoit ne travailler que
pour là propre grandeur, fe fut.vu enlever le fruit
de fon crime , par un homme plus autorifé que lui
dans fcij: prqpre-parti , & qui avoic eu l’adr.flê
de ne lui laifier que le péril de l ’exéeutipn. Cependant
le m.aqvais fuccès de cette entreprife ,
& Je fou venir de la mort des Grâc.qù'és , alfa [fines
aux yeux de Ja-multitude- qui les' sdôroit., lui
fijént comprendre .que la faveur feule du peuple
ne fuffifoit pas pour le fuccès de fis alfa 1res : &
il jugea bien qu’i;l ne s’éleveroit fàjnais jufqu’ à la
fouveraine puiffance , fans le comiràndement des
armées, 8Î fans avoir un parti dans le fénat.
Formation du. premier trium-virat. C è corps Yi
augufte étoit alors partagé entre Poîiîpée & Cralfus,
ennemis & rivaux dans le gouvernement, l’un le
plus puiffant, l ’autre le plus riche de Rome. La
république tiroit au moins cet à van ragé de leur di-
vifion , qu’en partageant le fénat, elle fenoit leur
puifiasioe en équilibre, Si mainte noir la liberté. Céfar
réfolut o s i ’unir tantôt avec l’un, tantôt avec l’autré,
& d’emprunter pour ainfi-dire leur crédit de tems-
en-tems , dans la vue de s’en fefvir pour parvenir
plus a.ifémenc au confulat 8e au commandement
des armées. Mais comme il ne pouvoit ménager
en même tems l ’amitié de deux ennemis déclaré,
il né fongea d’abord qu’à les réconcilier. Il y
réufllt , & lui feul tira toute l’utilité d'une réconciliation
fi pernicieufe à la liberté publique. Il fut
perfuader à Pompée & à Cràfïus de Ini confier ,
comme en dépôt, le confulat , qu’i !s n’auroient
pas vu fans jaloufie palier entre les mains de leurs
partifans. Il fut élu cohful avec Calphurnius Bi-
bulus, par le concours des deux factions. Il en
gagna fecretement les principaux, dont il forma
un troifième parti, qui opprima dans la fuite ceux
^nêmes qui avoient le plus contribué à fon élévation.
Ecorne fi vit alors en proie à l’ambition, de trois